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Le syndicalisme est-il en panne ?
I- Pourquoi une telle question ?
Quand nous disons d’un appareil qu’il est en panne, nous voulons dire que son mécanisme est détraqué, qu’il a des ratés, qu’il ne remplit pas la fonction pour laquelle il était
prévu.
Effectivement, au cours des mois de Janvier, Février et Mars 2009, nous étions nombreux à penser que le mouvement syndical guadeloupéen répondait à la tâche qui est la sienne :
mobiliser le plus largement les couches populaires (salariés, chômeurs, retraités, jeunes, artisans) afin de trouver des solutions aux problèmes sociaux voire de poser les problèmes sociétaux de
la Guadeloupe.
Le LKP en favorisant le travail commun d’organisations politiques et syndicales, d’associations culturelles et d’associations d’usagers, d’organisations paysannes et de marins
pêcheurs, le LKP permettait aux couches populaires de s’élever au-dessus de leur ligne d’horizon.
La force du LKP a consisté à investir d’une manière originale le champ socio-politique, de faire émerger sur la scène politique et sociale des forces jusqu’alors marginales.
Cependant, après être partie à l’assaut du ciel, la Guadeloupe semble de nouveau se noyer sous une cascade de « petits riens ». Hypnotisés sous la féérie des apparences
nous nous enfonçons dans le marécage des futilités et des superficialités. L’effondrement des projets collectifs indique en creux la désintégration des identités sociales. L’angoisse individuelle
et collective qui en résulte laisse la voie ouverte à la démultiplication des aventures individuelles et égoïstes. Autant dire que la vision de l’avenir est venue s’égarer dans le flou du
présent.
Alors, une question se pose et s’impose :
*Que font les syndicats ?
A vrai dire, les syndicats ont reçu la défaite réelle de la grève générale comme l’âne reçoit le coup de gourdin sur la tête. Genoux ployés, les syndicats n’ont pu que subir le
retournement de rapport de force pensé et organisé par l’Etat et le patronat.
Certes, il existe de nombreux foyers de grève. Mais tout se déroule comme si le premier trimestre de l’année 2009 n’avait pas existé. Les 44 jours de grève générale ont été mis entre
parenthèses afin de revenir aux vieux réflexes pré-LKP.
Disons-le franchement, le syndicalisme ne saurait perdre les avantages de l’expérience LKP sans perdre du même coup, une part de sa raison d’être.
*L’immense avantage du LKP est d’avoir compris que :
- les problèmes sociaux ne sauraient être résolus entreprise par entreprise. Les problèmes de salaire, de licenciement, de démocratie dans l’entreprise sont des problèmes qu’il faut poser au
niveau global de la société.
- Mais en même temps, ces problèmes sociaux s’enracinent dans un système économique, juridique, politique et culturel qu’il faut interroger et disséquer et contester.
*Par contre ; le grand manquement du mouvement de 2009 a été de restreindre sa vision dans des limites guadeloupéo-guadeloupéennes alors qu’une fraction significative de l’opinion publique
mondiale avait le regard tourné vers nous.
Or, la Guadeloupe pour être un ensemble d’îles, n’est pas pour autant à l’abri de l’ensauvagement du monde que suscite la globalisation capitaliste.
• Le déchaînement des fièvres boursières affaiblit nos capacités de résistance.
• Le cortège de criminalités mafieuses, le trafic d’armes et de drogue, le piratage électronique et le cyber-terrorisme, les paradis fiscaux et les concurrences impitoyables,
les guerres impériales et l’endettement des pays appauvris ne nous sont pas étrangers.
• La concentration de la propriété foncière, l’émergence des multinationales agro-alimentaires, le diktat des semenciers, l’endettement et la mort de la production agricole des
pays du sud constituent un cadre contraignant dans lequel s’inscrit la lutte des paysans producteurs de la Guadeloupe.
• Les périls des changements climatiques, le péril du stockage des déchets nucléaires, le péril de la déforestation, le péril de la pollution des eaux, le péril de
l’appauvrissement des fonds marins, sont des problèmes écologiques d’ordre mondial qui par définition ne peuvent pas ne pas nous intéresser.
• Le dépérissement de l’espace public, l’inquiétante anémie de la vie démocratique, le déclin des souverainetés démocratiques, la construction d’un empire capitaliste sans
limites, la montée des nationalismes rances, des paniques identitaires, des réflexes xénophobes ; tel est le monde dans lequel nous vivons. Nous ne pouvons, ainsi, contempler notre nombril
sans nous interroger sur le sens de la politique.
Quelle est la signification de tout cela ?
La signification de tout cela est que nous ne pouvons pas faire du syndicalisme aujourd’hui, comme nous l’avons fait avant 2009.
*Il me semble que le LKP vient clôturer un cycle. Ce cycle qui débute après les évènements de 67 marqué sur le plan social par l’émergence de deux courants syndicaux nouveaux :
-Les « syndicats de type nouveau » à partir de 1971 avec l’UTA, puis l’UPG et l’UGTG, issus de la mouvance du GONG.
-Les « syndicats lutte de classes » à la fin des années 1970 avec Fraternité Ouvrière, la Fédération des Travailleurs de la Guadeloupe, puis le MASU, issus de la mouvance du
Groupe « la Vérité » et du GRS.
-Mais si le LKP clôture un cycle, il vient par là-même en ouvrir un autre : celui de la globalisation des luttes où se construit l’unité des couches populaires avec la potentialité d’une
transformation de la société. Dans ce cadre, il se peut que le LKP gagnerait à se regarder dans le miroir tunisien ou égyptien.
Les travailleurs perçoivent cette fin de cycle et ce début de nouveau cycle de manière plus ou moins claire quand ils en font l’expérience pratique.
• S’ils sont salariés d’une petite entreprise financée par des capitaux locaux, ils se posent bien évidement la question du partage des richesses, de l’augmentation des
salaires. Mais comment agir concrètement sans prendre le risque d’un dépôt de bilan par lequel la sauce coûterait plus chère que le poisson ?
• S’ils sont salariés d’une multinationale, ils se sentent soumis à la logique impersonnelle d’un capitalisme sans visage. Ils voient bien qu’ils peuvent toujours réclamer,
faire grève. Mais la grève est une question de temps. Le temps, c’est de l’argent. L’argent n’est pas de leur côté. Alors que faire ?
Le LKP a donné en partie la réponse :
*Poser des revendications qui unifient les classes populaires,
*globaliser le combat contre la profitation.
Cependant, il reste à faire un pas de géant vers la démocratie, la transparence, la loyauté dans le combat, le courage politique.
C‘est dans ce domaine que se situe le pêché originel du LKP. Ne pas comprendre qu’un mouvement qui met en alerte des dizaines de milliers de personnes ne saurait être caporalisé. Son
dynamisme et son succès résident dans son ouverture, dans la reconnaissance de sa diversité, dans la libre expression des thèses contradictoires, dans le débat sans complexe, dans l’autonomie des
structures de base, autrement dit, dans ce que les marxistes libertaires appelaient la démocratie des conseils.
CONCLUSION
Alors le syndicalisme est-il en panne ?
Oui !
Parce qu’il existe une forte tendance syndicale à se replier sur ses propres structures, à protéger son espace vital, à ignorer la formidable expérience du premier trimestre 2009.
Mais cette tendance n’est pas une fatalité.
Après la grande déception qui a suivi les 44 jours de grève générale, nous avons le droit et le devoir de recommencer, de renouer les fils brisés.
A travers des cafés-débats, des conférences, des forums, la discussion et la réflexion renaissent. C’est le signe d’un pressant besoin de tirer les leçons d’une période obscure.
Il importe de renouer le lien entre théorie et pratique, réflexion et action, s’il est vrai qu’on ne peut prétendre participer à l’émancipation humaine si on cultive un esprit
encombré des superstitions politiques des années 60..
Il faut un autre logiciel politique et social fondé sur une pédagogie du bien commun, du service public, du développement durable, de l’instruction citoyenne.
Les catastrophes menacent. Pour nous, il est temps de prendre les maquis des consciences.
Diane, Petit-Bourg, le 5 JUIN 2011
Alex LOLLIA