EL DIABLO :
L’ENNEMI PUBIQUE NUMERO UN ?
Par Dominique DOMIQUIN
Dans une lettre à Louise Collet, Gustave Flaubert écrivait "Le bonheur est un mythe inventé par le diable pour nous désespérer." Eh bien j’ai beau être agnostique ascendant athée, aujourd’hui je
l’avoue : je rêve d’être El Diablo, ou plutôt d’avoir son pouvoir. D’ailleurs, sauf à être hypocrite, quel homme sur cette île pourrait sérieusement me blâmer ? Imaginez, messieurs,
tomber des choupèpettes avôté kon matrité par charters entiers ! D’une œillade désinvolte, déclencher de secrètes inondations et force scènes d’hystérie collective ! D’un sourire
ultra-brite, provoquer l’ovulation spontanée d’un essaim d’enamourées ne demandant qu’à vous donner leur Bon Dieu sans confession ? Le pied quoi !
Certes, d’un point de vue purement technique, l’affaire n’irait pas sans comporter quelques inconvénients. Sur notre petit territoire où vivent six femmes pour un homme, difficile de satisfaire
tout le monde. Un bon cocktail de bwa bandé et de siwo pat a chouval devraient entretenir le priapisme nécessaire à l’assomption d’un tel pouvoir. A coup sûr, mes innombrables rivaux, aigris car
condamnés à l’onanisme, organiseraient de gigantesques battues et finiraient, l’écume aux lèvres, par m’enfumer dans un champ de canne…
Plus sérieusement, il faut le reconnaître, en interprétant sur scène le tube « Darling » de Patrick Saint Eloi, l’acteur-chanteur Jencarlos Canela (plus connu sous le nom de El Diablo)
a fait 1000 fois plus fort que le LKP :
Sans violences, sans bloquer l’économie de l’île, sans monter les uns contre les autres, ce type a rendu le plus bel hommage qui soit à la langue créole et... mis un maximum de détracteurs
moralisants et chauvins (donc bien français) dans sa poche. La force tranquille ? Je me suis laissé dire qu’un tract était en préparation pour dénoncer la venue du chanteur Infernal. Faut
qu’on se calme, les gars ! El Diablo est juste un chanteur qui fait (bien) son métier. Si on n’aime pas ce qu’il produit, qu’on évite de regarder son feuilleton, qu’on n’aille pas voir son
concert, mais par pitié, qu’on n’en fasse pas tout un chodo ! Si vous n’aimez pas ça, n’en dégoûtez pas les autres.
Quand on n’est pas kréyolopal, apprendre une chanson en créole et surtout l’interpréter, lui donner vie sur scène, oser reprendre à domicile LE tube du crooner local, ça demande des tripes et un
vrai travail de compréhension, d’imprégnation en amont. Ça s’appelle une sacrée leçon de professionnalisme. Qui osera arguer après cela que Le Diable est venu voler l’argent des
Guadeloupéens ? Les distraire de la « lutte » ? Et dire que les mêmes s’enorgueilliront demain qu’une star étrangère ait repris une chanson de PSE dans le texte !
MORALITE ; Je revendique le droit pour les guadeloupéens de regarder les séries TV qu’ils veulent. La liberté d’être fans de qui ils veulent. De s’identifier à qui ils veulent. Le droit pour
les guadeloupéennes d’être groupies autant qu’elles veulent, à s’en arracher les poils, à en ruiner leurs sous-vêtements et à s’en rouler orgasmiquement par terre si ça leur chante, que ce soit
pour un artiste local ou vini, peu importe qu’il soit blanc ou noir et quand bien même il ne parlerait pas un mot de créole.
Le XXIe siècle est là. Évitons de tourner en rond, recroquevillés sur nous-mêmes, allons à l’extérieur, allons vers l’autre, parlons-lui de notre culture et écoutons ce qu’il a à nous dire de la
sienne.
Guadeloupéens, Jakata ! Mettons nos gosses au mandarin, ça urge !
Dominique DOMIQUIN
Pointe-à-Pitre, le 14 novembre 2010