Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 novembre 2009 4 19 /11 /novembre /2009 16:15
TRIBUNE LIBRE
QUELLE POLITIQUE DE SANTE POUR LA GUADELOUPE ?

Par Michel EYNAUD



Le conseil interministériel de l’outre-mer a décliné un certain nombre de mesures pour la Guadeloupe. Quelques unes concernent la santé et avaient été annoncées par Mme Bachelot comme un élément essentiel de son plan de santé outremer. Elles sont saupoudrées dans diverses parties de l’annonce, et on a du mal à y déceler une réelle politique de santé pour notre territoire.


Le Président de la République, en présentant les conclusions du premier conseil interministériel de l’outre mer (CIOM) a été fidèle à sa méthode. Un discours au ton énergique, des grands principes, mais pas d’engagement chiffré. Des intentions et des promesses de la catégorie la plus affectionnée de ceux qui conduisent la nation depuis quelques années : celles qui n’engagent que ceux qui les croient…

Promesses, promesses…
Il est même assez remarquable de constater comment les promesses du jour conduisent inexorablement aux promesses du lendemain, dans la chaîne toujours renouvelée d’un espoir toujours déçu, et toujours relancé. Une fois de plus l’art de gouverner s’appuie sur deux piliers forts : l’art de l’annonce et la maîtrise du temps. Annoncez, annoncez et les citoyens patienteront ! Jusqu’à ce qu’ils se mettent à marcher et à enclencher une crise pour accélérer le temps… en attendant que les bâtisseurs d’illusion ne redressent leurs piliers avec de nouvelles annonces et de nouvelles patiences.

En ce qui concerne la santé, les lecteurs du Progrès Social n’ignorent rien des inégalités et spécificités qui frappent la Guadeloupe, et de l’effort important nécessaire pour offrir à tous nos concitoyens la garantie d’exercer pleinement leur droit à la santé. Nous avons décrit la problématique et lancé des pistes de solutions au fil d’articles réguliers. Nous avons appelé à une véritable politique de santé, fondée sur des valeurs fortes, notamment les principes de la démocratie sanitaire. Et les professionnels n’ont pas cessé d’alerter les décideurs, au fil de leurs passages, que ce soit le Président de la République, la Ministre de la Santé, ou la Secrétaire d’Etat à l’outre-mer. Or, rappelez-vous ce qu’écrivait Mme Bachelot dans le « plan santé outre-mer » qu’elle était venue promotionner en Guadeloupe le 21 juillet dernier :
« Les décisions déclinées sont modulables : il sera nécessaire de les croiser, bien entendu, avec les orientations qui seront prises à l’issue des Etats généraux de l’outre-mer. En bien des points, le présent plan est complémentaire des mesures évoquées dans les Etats généraux. Le présent plan devra être  complété par un volet « santé publique et prévention » à l’issue de ces Etats généraux afin de prendre en compte les priorités qui y auront été exprimées, et en relation avec les directions départementales de la santé et du développement social. Sur ce volet, la concertation avec les citoyens autant qu’avec les professionnels de santé est indispensable. »

De l’annonce à la réalité
Depuis le 21 juillet y a-t-il eu concertation avec les citoyens ? Evidemment non ! Ni directement par des réunions de travail, ni en répondant aux courriers. A moins que la concertation ne consiste qu’à convoquer les fonctionnaires que l’on nomme pour leur expliquer comment communiquer sur des décisions déjà prises et rarement budgétisées… sauf parfois par quelques redéploiements de crédits.

Y a-t-il un volet santé publique et prévention dans les décisions du CIOM ? Il n’y avait pas d’atelier travaillant sur ce sujet… et il n’y a pas de chapitre apportant de réponse structurée. En cherchant bien on trouve quelques mesures concernant la santé, dispersées au fil des chapitres, voire saupoudrées, en tout cas ni chiffrées, ni financées, ni programmées dans le temps. Mais analysons-les plus finement.

La fiche II-11 nous promet de « valoriser la biodiversité ultramarine (les plantes à parfum, aromatiques et médicinales) ». Nous applaudissons des deux mains. Le principe est en effet de valoriser une partie de notre patrimoine, et le Dr Henri Joseph y travaille depuis longtemps au sein d’un réseau caribéen, avec le soutien du député Lurel. Mais s’agissant d’abord de « lancer un plan d’actions reposant sur la mise en place d’une réglementation locale et nationale, sur une recherche et un enseignement des valeurs de ces plantes et sur la mise en place d’un environnement technique » il est évident que tout dépendra du calendrier réel de réalisation et des ressources déployées. En restera-t-on à un artisanat de la recherche et de la production, ou  bien aurons-nous les moyens d’un développement significatif ?

La fiche III-7 nous fait miroiter la possibilité de « faire de la santé une activité de pointe outre-mer ». Il s’agirait de se doter d’un outil de lutte contre le grave déficit de la démographie médicale. Là aussi, on peut être tenté d’acclamer. Le problème de la grave pénurie médicale qui menace la santé des guadeloupéens aurait été enfin entendu. La création d’une université assurant tout le cursus est une excellente nouvelle, de même que l’annonce faite dans une autre partie, de l’augmentation du nombre d’étudiants admis en 2° année de médecine (augmentation du « numerus clausus », réclamée par les professionnels depuis plusieurs années). Il y a juste quelques « petits détails » à régler : pas mal de locaux et équipements à trouver, des professeurs pour toutes les disciplines, des terrains de stage dans des services formateurs, des postes d’interne… et aussi 10 à 15 ans pour célébrer la « mise sur le marché » des premiers spécialistes. En attendant certains services hospitaliers ont du mal à assurer la continuité des soins du fait de la pénurie déjà installée… et aucune mesure d’attractivité n’est positionnée.

Cette faculté de médecine aurait aussi, dans le discours du Président, une autre fonction : participer au rayonnement de la France et de la francophonie en attirant des étudiants de la caraïbe qui y seraient formés. Par la même occasion, ils pourraient être tentés de rester aux Antilles, ce qui permettrait de participer aussi à améliorer la démographie médicale. Et en plus, comme les médecins étrangers sont moins bien payés que les européens, il devrait y avoir moyen de faire des économies… Mais là aussi il y a juste quelques « petits détails ». Les seuls francophones de la région sont dans les grandes Antilles, en Haïti. Il y a des chances que pas mal d’étudiants y soient effectivement prêts à émigrer, comme beaucoup l’ont déjà fait vers le Canada et l’Amérique du Nord. Mais est-ce vraiment « éthique » que de décider de vider ce pays de ses cerveaux ? N’y a –t-il pas comme un parfum de néo-colonialisme à vouloir « siphonner » les ressources intellectuelles des pays en développement pour alimenter au meilleur prix les provinces européennes ? Autre détail : pour exercer la médecine en Europe, il faut être européen… à moins qu’on envisage un régime dérogatoire pour les Antilles ?

Et si on parlait santé ?
Le CIOM profite de cette fiche II – 7 pour aborder un peu la santé publique, annonçant « des campagnes ambitieuses de dépistage et une communication plus opérationnelle en direction des publics cibles, en particulier pour le VIH » et l’objectif de « réduire de moitié en 5 ans l’écart entre les taux de mortalité infantile de l’outre-mer et ceux de la métropole ». Là les professionnels ont du mal à exprimer de l’enthousiasme. Dans le domaine du VIH, la contamination étant essentiellement hétérosexuelle au Antilles, favorisée par le multipartenariat, et avec un risque présent à tous les âges, le « public cible » c’est carrément tout le monde! Sauf si, au filtre des préjugés des conseillers du président, on pense à quelque catégorie particulière… que l’on stigmatisera inutilement. Quant à diminuer le taux de mortalité infantile, c’est vrai qu’il va falloir être ambitieux. Car il va falloir non seulement faire quelques efforts sur les personnels consacrés à la PMI, amis aussi consacrer une bonne dose d’énergie à améliorer pas mal de facteurs de risques sociaux. Car si la mortalité infantile a baissé en Europe, c’est d’abord grâce à l’amélioration du niveau de vie, et notamment des conditions de logement, de l’alimentation, ainsi que de la maîtrise de la fécondité (moins d’enfants moins précoces). Par ailleurs il est bien connu que plus le niveau d’éducation des filles est élevé, plus ce taux baisse. C’est donc  la diminution de la précarité sociale qui fera décroître cette mortalité, pas l’action de la nouvelle Agence Régionale de Santé (ARS)…

Et si on parlait solidarité ?
La dernière annonce se trouve à la fin du document (c’est l’avant-dernière), dans un chapitre « décisions particulières ». Elle vise à « aider au développement des hébergements pour les toxicomanes en lien avec les conseils généraux ». On ne peut que s’en réjouir. Le phénomène des dépendances est en effet un problème majeur aux Antilles. Il est d’ailleurs dommage de le limiter au crack, comme le fait le CIOM : ce sont le rhum et le cannabis qui font le plus de ravages dans la santé de la population. Dans ce domaine nous aurions dû avoir un schéma régional d’addictologie, que les professionnels et les familles attendent depuis des années, et qui doit envisager l’ensemble d’un vaste dispositif qui va bien au-delà de l’hébergement des usagers de crack.

L’absence de définition d’une politique globale de réponse aux problèmes des drogues (licites et illicites) et des dépendances aux Antilles ne sera pas compensée par l’ouverture d’une structure d’hébergement par le Conseil général. Et encore faudrait-il qu’il puisse l’ouvrir ! Car si tout le monde est d’accord pour affirmer que ce type de structure est absolument nécessaire, personne n’en veut à côté de chez lui. Les élus et les citoyens, individuellement, par pétition, en commissions de « co-production de sécurité » ou ailleurs se plaignent régulièrement de ces « drogués » qui errent à la marge de la société sur le bord de nos trottoirs. Mais les associations et les professionnels ont les pires difficultés pour obtenir les autorisations pour ouvrir des foyeres ou des maisons relais. Il serait temps que la solidarité, qui est une valeur forte des guadeloupéens, et qui joue si bien en cas de malheur ou de catastrophe, devienne une réalité quotidienne. Que les maires et conseillers généraux donnent donc l’exemple en facilitant l’implantation de structures d’insertion et d’hébergement dans leur commune, quelle que soit la nature des difficultés de ces citoyens fragilisés que nous rejetons si facilement à la rue, « drogués », « fous », « SDF » ou autres « ex-délinquants »… L’argent de l’état (ou des ARS) ne suffira pas à les réinsérer si la communauté continue de les rejeter et les stigmatiser. Mieux vaudrait unir nos efforts, et faire ainsi en sorte qu’ils soient moins dans les rues.

Pour une politique de santé
Après le pseudo plan de santé outremer de Mme Bachelot et les mesurettes du CIOM, une politique de  santé adaptée à la Guadeloupe reste donc encore à définir. Car nous l’affirmons une fois de plus, une politique de santé efficace est nécessaire, avec une finalité claire : le droit à la santé pour tous. C’est-à-dire la qualité de vie pour tous les citoyens, sans exclusive, et l’amélioration de notre bien le plus précieux : le capital humain de la Guadeloupe

La politique gouvernementale actuelle vise à un dépeçage méthodique et inexorable de notre système solidaire, dans toutes ses composantes, à un démantèlement du service public pour le livrer au secteur privé. Les conséquences frapperont de plein fouet les plus fragiles et les plus pauvres, sans épargner les classes moyennes, et creuseront encore plus les inégalités et l’injustice sociale.  Notre système de santé doit plutôt être modernisé, rendu plus efficace, orienté vers le service public et vers les réponses aux besoins des citoyens et de la population. Et surtout il doit donner à l’usager toute sa place dans ce système fait pour lui et avec lui, et les moyens adéquats doivent être mis au service de cette politique, dans un système solidaire qui seul peut les garantir. Tout reste donc à faire en Guadeloupe.
Progrès Social, Numéro daté du 14 novembre 2009, p  PAGE 3



Partager cet article
Repost0

commentaires

S
<br /> merci pour cette article<br /> bonne continuation<br /> et a bientot<br /> <br /> <br />
Répondre

Présentation

  • : Le blog de André-Jean Vidal
  • : Revue de l'actualité politique locale
  • Contact

Texte Libre

Recherche

Liens