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22 juin 2010 2 22 /06 /juin /2010 12:24

LA FOLIE LIBERALE
Par Michel EYNAUD

Etre enfermé dans des paradoxes dont on vous empêche de sortir, cela rend vous fou. Or l’état libéral, ses serviteurs et ses amis, ne cessent de nous engluer dans des contradictions particulièrement destructrices. Pour ne pas sombrer dans la folie libérale, il faut dénoncer un jeu aux règles aliénantes, un jeu de dés pipés.
Depuis les années 1950, Grégory Bateson et l’école de Palo Alto ont structuré une théorie de la communication qui a montré comment des formes de communication particulière pouvaient être à l’origine de la schizophrénie. C’est ce qu’ils ont appelé le « double lien », ou « double contrainte » : on vous enferme dans deux obligations contradictoires qui s’empêchent mutuellement, et on vous interdit d’en sortir. Il s’agit d’un paradoxe qui est imposé et maintenu par une autorité, et qui conduit à des troubles psychiques. Il a été décrit aussi bien dans les familles, qu’en entreprise ou en communication internationale.
Du paradoxe au double lien
Par exemple, on vous déclare constitutionnellement « DOM », Département d’Outre Mer. Mais si vous vous réclamez du droit commun de tous les départements nationaux, comme par exemple pour revendiquer l’égalité sociale et bénéficier du RSA, on vous renvoie à votre spécificité et on vous l’interdit. En revanche, si vous vous réclamez de votre spécificité, que ce soit votre situation géographique, sociale, économique, culturelle,  pour des adaptations des règles nationales, on vous rappelle que vous appartenez à un grand pays un et indivisible qui ne saurait tolérer de tels écarts. Bref vous n’êtes jamais celui que vous croyez être, jamais tout à fait département, ni tout à fait ultramarin, et ce n’est pas vous qui en décidez… Quoique vous choisissiez de faire, quoique vous espériez, vous êtes condamné à violer un principe qui contredit un autre. Comme le dit Gregory Bateson : « vous êtes damné si vous le faites, et vous êtes damné si vous ne le faites pas ».
Or le système libéral qui influence la plupart des gouvernements européens, et celui de la France en particulier, est particulièrement efficace pour générer ces situations impossibles. Notre Président n’est pas le dernier dans cet exercice, notamment grâce à son talent de communication : il y a ce qu’il dit et ce qu’il fait, il y a l’intention psalmodiée et l’action subie, il y a l’annonce médiatisée et les stratégies inavouables. Il y a la musique du « story telling » (les histoires dont on nous berce), et les larmes de la misère qui s’impose. Mais dans tous les cas, la recette est la même : nous enfermer dans un paradoxe, qui semble exprimer une chose logique à un niveau, mais qui est contredit à un autre niveau, où sa logique apparente se révèle fausse… sans qu’on puisse en sortir facilement. Car si on s’y laisse engluer, on est impuissant jusqu’à la folie… tandis que si on refuse les règles de ce jeu mortifère en les dénonçant, les renégociant, les recadrant, on peut se sauver. La double contrainte étant une situation insoluble directement, sa résolution passe par un changement de niveau ou d'échelle. Par exemple communiquer sur l'absurde de la situation peut être une façon de dépasser cette situation. C’est la fonction thérapeutique et libératrice du « 4° pouvoir », les médias… quand ils ne sont pas aux ordres.
La casse de la solidarité
Une victime de choix de la folie libérale, c’est la solidarité nationale. Sécurité sociale, retraite, minima sociaux sont dans le collimateur  des lobbies libéraux. Tous les analystes ont montré que la crise mondiale a moins durement touché la France grâce à son système de solidarité sociale, qui a joué un rôle d’amortisseur. La consommation s’est moins effondrée qu’ailleurs grâce à cela, et a donc soutenu une demande qui a alimenté l’économie. On devrait s’en féliciter, le valoriser, le conforter… mais au contraire l’état UMP fait feu de tous bois.
On nous dit « il faut sauver les retraites », et tout le monde est d’accord avec le slogan. Le problème c’est que cela signifie cotiser plus longtemps, plus fortement, pour des pensions plus faibles. Comment accepter que la « sauvetage » annoncé cache une régression ? On nous promet plus d’égalité (en augmentant les cotisations du secteur public), mais en repoussant l’âge de la retraite on pénalise  les plus défavorisés : les ouvriers qui ont commencé à travailler tôt, qui ont eu des travaux pénibles, qui se sont plus mal nourris et soignés, et dont l’espérance de vie est de 7 ans inférieure à celle des cadres… Cherchez l’erreur !
Vous redoutez des pensions réduites ? Pas de problème : on vous dit d’épargner, de « capitaliser »… Vous placez vos économies à la bourse, et elles vont alimenter des fonds de pensions avides de profits immédiats dans une économie virtuelle endiablée. Dans le pire des cas, votre argent se volatilise lors d’un Krach boursier périodique, et vous avez tout perdu. Dans le meilleur des cas, les « traders » qui gèrent « vos sous » les font fructifier en finançant des délocalisations dans des contrées où les plus values sont plus « juteuses ». Votre entreprise, ou celle des voisins, fait faillite, et vous retrouvez au chômage, incapable de retrouver du travail vu votre âge trop avancé, mais aussi incapable de prendre votre retraite vu votre âge trop jeune. Et de toute façon, vous n’avez plus les moyens d’épargner pour votre retraite, en attendant les « restaus du cœur » quand vous arrivez en fin de droits…
La ruine du service public
Dans la folie libérale, ce sont toujours les mêmes qui « trinquent » : ce sont les pauvres qui doivent payer pour que les riches deviennent plus riches. Pour que les amis de Monsieur Sarkozy jouissent de leur bouclier fiscal, il faut que d’autres passent à la caisse.  La nouvelle priorité de l’état UMP est de combler les déficits qu’il a creusés depuis 3 ans. Il faut trouver 50 milliards en 3 ans répète Mr Fillon, et c’est simple : il suffit d’économiser 45 milliards sur le dos des fonctionnaires, en se contentant de 5 milliards à trouver dans quelques « niches fiscales » (encore l’outremer qui va être dénoncé et pressuré ?).
Dans la république des comptables, cela se traduit par le non remplacement d’un fonctionnaire sur deus. Dans la république des citoyens, cela se  concrétise par la dégradation du service public : moins d’enseignants et d’éducateurs, donc des classes plus chargées, plus agitées, moins d’individualisation des soutiens… plus d’inégalités. Moins de postiers, de cheminots, de policiers, etc. Moins de service public, moins accessible, et donc plus d’attente, plus de déplacements, plus de tracas… et d’abord pour ceux qui en dépendent le plus, ceux qui n’ont pas le choix, les plus modestes.
C’est la logique du grand chantier nationale de la RGPP (« Révision Générale des Politiques Publiques »). Son objectif officiel « moderniser et améliorer le service public »… mais surtout supprimer 30000 emplois et économiser 7,7 milliards d’euros… C’est pour cela que les Impôts et le Trésor ont fusionné, que les Assedic et l’ANPE ont accouché de « pôle emploi », et c’est aussi pour cela qu’un grand nombre des administrations concernées sont plus occupées à se réformer qu’à assurer vraiment leur mission au service des usagers.
L’état libéral continue donc dans sa logique : faire des économies sur les plus pauvres. Mais ses attaque contre le service public ne sont pas seulement économiques, ils sont aussi idéologiques. C’est évident pour la justice. Certes la réforme de la carte judiciaire avait un objectif économique manifeste. Mais la réforme de l’instruction visait surtout à attaquer l’indépendance d’un magistrat trop libre de ses investigations. Et la prochaine étape annoncée, celle de la suppression des jurys de cours d’assise, est carrément une remise en question des acquis de la Révolution, le principe d’un jugement rendu au nom du peuple souverain, par un jury représentant le peuple. C’est en fait la démocratie que l’on attaque au prétexte d’une professionnalisation qui devient de plus en plus confiscation technocratique.
Les paradoxes de la santé
Un des avatars de la RGPP a été la création au 1 avril dernier des ARS (Agences Régionales de Santé). Leur jeunesse interdit de leur faire des procès d’intention. Il n’empêche que là encore les écarts sont abyssaux entre les annonces et les premières réalités constatées. Nous avons eu droit à une grande campagne nationale de communication sur le thème : « vous serez mieux soignés parce qu’une seule autorité va s’occuper du sanitaire et du médico-social, du soin et de la prévention », qu’elle serait au service de la population grâce à une réelle démocratie sanitaire, et particulièrement pertinente grâce à la régionalisation des politiques de santé.
La territorialisation des politiques de santé mise en avant, vantée comme une ambitieuse décentralisation, est en fait une terrible concentration. L’ARS, bien plus qu’une agence de définition de politiques régionales de santé, est surtout un relai dans l’application de politiques nationales. Quelles que soient les spécificités sanitaires ou sociales locales, les ARS sont mobilisées pour appliquer 9 priorités nationales. En fait une priorité absolue et huit  annexes : d’abord « Rétablir durablement l’équilibre financier des établissements de santé », et puis  « Réduire la mortalité prématurée évitable, Développer la promotion de la santé et la prévention des maladies ; Renforcer l’efficacité du dispositif de veille et de sécurité sanitaires ; Réduire les inégalités territoriales et sociales de santé ; Optimiser l’organisation de la permanence des soins ; Adapter l’offre de soins et des services médico-sociaux aux besoins ; Améliorer la qualité et l’efficience des soins et des services médico-sociaux ; Développer les parcours de soins et de vie des personnes âgées et des personnes handicapées ». Si on a encore un peu de temps et surtout d’argent, peut-être pourra-t-on rajouter quelques attentes régionales… En attendant on réduit les crédits accordés aux réseaux de santé, aux addictions, et on réduit les effectifs dans les hôpitaux.

Quant à la démocratie sanitaire, cela ne s’annonce pas brillant ! La représentation des élus a été réduite, ils n’ont aucun rôle décisionnel. La Commission Régionale de la Santé et de l’Autonomie, supposée être un espace de débat,  s’annonce comme un « gros machin » d’une centaine de membres… alors qu’on y a réduit fortement les représentants de l’hôpital public (plus de place pour la psychiatrie, un seul représentant des médecins hospitaliers !). Déjà on murmure qu’on ne la réunira pas très souvent et que l’essentiel se passera dans une commission permanente réduite… Exit la démocratie, place à la technocratie ! La Guadeloupe illustre bien ces paradoxes : pour présenter l’ARS, outil supposé unificateur, on a multiplié les réunions : d’un côté le médico-social, de l’autre le sanitaire, d’un côté les « institutionnels » (directeurs d’établissements), de l’autre les personnes qualifiées et les syndicats… Faut-il déjà diviser pour mieux régner ? En tout cas c’est une bien drôle démocratie qui s’annonce !

On peut aussi s’interroger sur la désignation des membres des tout nouveaux conseils de surveillance, qui ont succédé aux anciens conseils d’administration. La démocratie sanitaire selon la loi de mars 2002 (Kouchner), c’était des représentants des usagers formés et informés, acteurs et co-décideurs de la santé. Mais si l’on prend le conseil de surveillance du Centre Hospitalier de Montéran, l’ARS y a nommé un agent de l’APAJH et un membre de l’UDAF. Quelle que soit la valeur individuelle des personnes chargées de cette fonction, elles sont employées par des associations de tutelle des malades mentaux : ce ne sont donc pas les usagers qui sont écoutés, mais des professionnels qui parlent à leur place. Alors que des associations de famille, connues pour leur engagement et  nationalement reconnues, comme l’UNAFAM, sont superbement ignorées… ainsi que bien d’autres associations (familles de personnes atteintes de schizophrénie, d’autisme, de maladie d’Alzheimer, du VIH, etc). Triste « démocratie sanitaire » où la parole des usagers est confisquée ou étouffée.     

Lutter contre la folie libérale
L’effort pour nous rendre fou en nous enfermant dans des doubles liens, dans des paradoxes, devient inefficace quand on prend  une distance critique, quand on en démonte les mécanismes. La parole continue de sauver, dans l’intimité des cabinets de psychothérapie ou des confessionnaux comme dans les débats de la place publique. Et la démocratie peut se régénérer dès lors qu’on y restaure un équilibre des pouvoirs. Le danger est dans la soumission à la volonté de toute-puissance de ceux qui nous imposent leurs paradoxes, ceux qui nous promettent autant qu’il nous mentent, ceux qui nous imposent tout en nous rendant responsables de ce qu’ils nous imposent.
 Dans un jeu où les puissants fixent les règles et n’hésitent pas à les changer quand elles ne leur conviennent plus, quand ils ne trichent pas avec, il faut se protéger. D’abord en s’appropriant le bouclier de la loi et en le faisant valoir de toutes les façons possibles. Ensuite en s’associant : partis politiques, syndicats, associations de consommateurs sont autant d’espaces de résistance à l’arbitraire et à l’absurde qui saisissent les individus isolés soumis aux paradoxes du libéralisme. Enfin en exigeant que les élus jouent leur rôle de représentants du peuple, de ses intérêts, de ses besoins, de ses attentes, et qu’ils nous servent au lieu de se servir de nous ou de leur position.
Si la parole reste une arme puissante pour échapper à l’étreinte de la folie libérale, il faut encore qu’elle soit entendue. Sinon elle se transforme en cri de colère et en passage à l’acte. C’est la surdité et l’entêtement de ceux qui nous aliènent dans leurs doubles liens qui engendrent la « juste colère » de bien des explosions sociales. 





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