« La défaite de la droite guadeloupéenne : Qu’est-il donc arrivé ? »
par Sully TACITE,
Ancien secrétaire départemental de l’U.M.P,
Membre de l’actuel comité départemental de l’U.M.P.
Jamais dans son histoire la droite locale ne s’était trouvée dans un tel état. Moins de quinze pour cent aux dernières élections régionales. Plus qu’une claque, c’est une véritable déculottée
électorale. Par cette terrible défaite, la droite guadeloupéenne s’est enfermée dans une nasse politique où grouillent les partis qui n’ont aucune vocation à exercer le leadership ou la
gouvernance régionale. Ce résultat d'une médiocrité effarante ne laisse pas d' interpeller, de soulever de lancinantes et d' épineuses questions.
Qu’est-il donc arrivé ? Comment peut-on si lamentablement perdre pied, trois ans seulement après le discours du « morne vergain » et le triomphe de Nicolas Sarkozy ?
L’esquisse d’une réponse rationnelle suppose ici un nécessaire flash-back, pour retrouver le point de rupture, le moment-clé où tout a basculé.
Au commencement était le verbe. Et, en ce mois d’août 2008, en visite officielle en Guadeloupe, accompagnée de Marie-Luce Penchard, secrétaire national de l’UMP pour l’Outre-Mer, le verbe du
ministre des affaires sociales Xavier Bertrand, secrétaire général adjoint de l’UMP, fixait la stratégie et sonnait la charge. « Je viens préparer la « Reconquête » affirmait-il
martial dans une interview en date du 29 août 2008. Pour ceux qui à l’époque n’avait pas bien compris, la « reconquête » ainsi annoncée avait alors un nom et un visage : ceux de
Marie-Luce Penchard. L’omniprésence de cette dernière lors de cette visite ministérielle prouve à l’évidence que, dès le départ, « la mission de la « reconquête » lui incombait
personnellement. Et très vite l'étonnant dispositif se mit en place: d’abord secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer - après les évènements de janvier à mars 2009, puis, dans la foulée, ministre délégué
auprès du ministre de l’intérieur - lors de la présentation des mesures présidentielles visant à sortir de la crise guadeloupéenne.
La mise en œuvre de cette stratégie allait rapidement conduire à des prises de décisions aux conséquences immédiates et cataclysmiques. Rouach ! Exit Sully TACITE, secrétaire départemental.
Rouach ! Exit Gabrielle LOUIS-CARABIN, présidente élue de la fédération départementale. Rouach ! Exit Louis MOLINIER, secrétaire départemental. On fut abasourdi par ce stupide travail
de sabre et de sape, mais on admira pourtant l’artiste. La démocratie du coutelas avait enfin trouvé son maître sabreur. Le glaive du crétinisme politique sabrait alors en diable les
« ennemis de l’intérieur ». Cette délirante politique de décapitation systématique des dirigeants de l’UMP locale, fut énergiquement menée jusqu’à la fatidique heure de vérité :
celle où, par le traitement démocratique, le masque de la reconquête se révéla n’être en réalité que le visage hideux de la défaite historique.
Cette stratégie ministérielle nous a coûté cher. Très cher. Si cher que l’on ne peut taire le double dogme qui le nourrissait abondamment.
D’une part, celui d’une conception patrimoniale et archaïque du pouvoir. Celle qui considère que l’on hérite d’un parti, d’un canton, d’une mairie, d’une région, …etc., comme on hériterait
d’un meuble, d’un terrain ou d’une maison. C’est une vision antirépublicaine du pouvoir. Une conception biologique et clanique de la politique. Elle a pour conséquence essentielle de réduire les
territoires en de vils fiefs familiaux, électoralement réservés en priorité aux progénitures d’élus usés et/ou en fin carrière. C’est l’adhésion des instances nationales de l’ UMP à cette
conception qui, principalement, explique la promotion fulgurante et la mise sur orbite de l’actuel ministre délégué à l’Outre-Mer. C’est elle qui a conduit la droite guadeloupéenne au crash
politique du 14 mars 2010. La « penchardisation » de l’UMP a abouti à la marginalisation électorale de la droite guadeloupéenne sur l’échiquier politique local.
D’autre part, le dogme du centralisme démocratique, hérité du marxisme léninisme. Ce principe de fonctionnement des partis politiques est une forme sournoise du « despotisme éclairé ».
Résumé grossièrement, il revient à considérer que ce que décide le sommet doit être aveuglément observé et mis en œuvre par la base. Et la décision du sommet – singulièrement de son chef - ne
peut alors souffrir d’aucune contestation.
C’est au nom de ce principe que Marie Luce Penchard s’est imposée comme tête de liste pour l’Outre Mer aux élections européennes de 2009. À toutes les objections émanant de la base sur la
pertinence de sa candidature, la réponse fusait cinglante et altière : « c’est le choix du président de la république ». Face à l’opposition véhémente mais de bon sens du président
de l’UMP-locale, Gabrielle LOUIS-CARABIN, députée maire du Moule, l’interrogation flagellant revenait comme un boomerang au visage de la rebelle rotulienne : « comment
peut-on s’opposer au choix du président de la république ? ».
De toute évidence, c’est le principe républicaine de l’infaillibilité qui est ici en œuvre. Le simple fait d’être oint de l’encens élyséen ou du bureau politique national, suffirait donc à faire
d’un âne un génie, d’une piètre ambitieuse une nonne politique zélée, d’un homme - ou une femme - sans qualité un ministre de la république. Raisonnement par l’absurde dira-t-on, mais les faits
sont têtus.
C’est en effet ce dogme du centralisme démocratique – décision prise par Paris et imposée aux instances locales - qui a été réitéré lors des élections régionales de 2010. Les mêmes causes
produisant les mêmes effets, la défaite fut comme en 2009 désastreuse. Pour protester contre cette pratique scélérate de la « ciguë politique », la fédération départementale de
l’UMP en Martinique vient de se faire « hara-kiri », en procédant librement par vote de son comité départemental à son autodissolution.
D’autres éléments plus lointains mais toujours actifs ont également joué un rôle déterminant dans cette calamiteuse défaite. Les résultats des élections régionales font apparaître en Outre-Mer
une ligne de démarcation incontestée et incontestable. La droite non antillaise, guyanaise et réunionnaise, sort vainqueur de cette consultation. La droite antillaise, guadeloupéenne et
martiniquaise, en sort au contraire éreintée et laminée.
L’une des raisons de cette différence se trouve évidemment dans leur positionnement respectif sur la question institutionnelle. Le refus de la droite réunionnaise et guyanaise de se lancer, en
2003, dans le débat sur l’évolution institutionnelle, les a manifestement protégés des fléaux qui ont liquidé la droite antillaise.
En refusant toute participation à ce débat institutionnel, la droite non antillaise a fait l’économie d’une division idéologique contreproductive en son sein. Elle évita de se draper dans le prêt
à penser idéologique de l’extrême gauche. Elle n’a pas eu à expérimenter le mélange des genres. Elle n’a pas fait peur à ses militants, électeurs et concitoyens. La droite non antillaise est
ainsi restée, dans l’esprit de son électorat, comme le rempart naturelle et fidèle contre toute aventure institutionnelle.
A l’opposé, par convoitise exacerbée du pouvoir, la droite antillaise a jeté le bébé départementaliste avec l’eau du bain. Par paresse intellectuelle, elle n’a eu d’autres préoccupations – depuis
1999 - que celle d’être le porte drapeau des visées autonomistes et/ou indépendantistes de l’extrême gauche. Au-delà de cette position, ce fut le néant de la pensée, le vide idéologique. Avec un
facteur aggravant pour la Guadeloupe : le culte de la personnalité brandi comme horizon indépassable de la conviction politique. On pensait « mettre les hommes sous sa jupe », mais
en réalité on s’est mis politiquement sous les talons idéologiques de Karam et de Marie-Jeanne. Et aujourd’hui, solidairement, on coule avec eux. En somme, pour la période considérée (1999-2010),
la question de l’évolution institutionnelle aura donc été le « titanic » de la droite guadeloupéenne. Elle s’y est embarquée, pour mieux y sombrer. Telle est la simple réalité, la
triste vérité. C’est ce que in fine l’histoire retiendra et rien d’autre.
Mais si en politique l’histoire est une chose, la culture en est une autre. L’UMP locale s’est créée en 2006-2007 contre la volonté opposée du parti « Objectif Guadeloupe ». L’UMP
locale, c’est l’anti-Objectif Guadeloupe. C’est le refus du culte de la personnalité et du parti unique. C’est la tentative de bâtir un parti exclusivement fondé, dans sa pratique interne, sur
des valeurs démocratiques. C’est un parti qui veut incarner et assumer sans craintes ses valeurs idéologiques. Bref, c’est un parti démocratique et moderne. C’est cette culture qui anime et
unie ses militants et adhérents. Elle est à l’antipode de celle d’ « Objectif Guadeloupe ».
C’est cette donnée culturelle majeure qui explique que toutes les tentatives des anciens cadres du parti « Objectif Guadeloupe », pour prendre la maîtrise de l’appareil de l’UMP
locale, ont piteusement échoué. Cette « OPA » n’a pu finalement triompher - avec la complicité active des instances nationales du parti, que lors de la préparation puis de la
constitution de la liste pour les élections régionales de mars 2010.
Nos militants, nos électeurs et nos concitoyens ne s’y sont pas trompés : cette liste des régionales de mars 2010 était en réalité une liste « chevriste », composée essentiellement
des anciens cadres du parti « Objectif Guadeloupe », et de quelques survivants - revenants devrait-on dire - du pittoresque et non moins spectral parti « Le renouveau
socialiste » de l’ancien maire des Abymes. On aurait voulu la défaite certaine de la droite guadeloupéenne que l’on n’aurait pas agi autrement.
La ficelle était grosse. Trop grosse pour nos militants et adhérents qui ont préféré aller voir ailleurs si l’UMP y était. Et c’est ainsi que la majorité de notre électorat a voté en masse pour
les listes autres que celle pompeusement estampillée « majorité présidentielle ».
Les défaites comme les victoires se construisent dans le temps. La déculotté de mars 2010 est la résultante d’une volonté politique, affirmée dès le mois d’août 2008, de l’actuel ministre de
l’Outre-Mer, de s’imposer coûte que coûte comme le nouveau leader providentiel de la droite locale. Cet entêtement imbécile a conduit la droite guadeloupéenne à sa plus grande catastrophe
électorale. Elle risque désormais d’y sombrer définitivement.
Depuis le 14 mars au soir, un lourd silence tombal surplombe la droite locale. Et singulièrement l’UMP. Les armes des maîtres sabreurs se sont tues. Les « décapiteurs » sont aux abonnés
absents. Et les bonimenteurs, claquemurés dans leur tour d’ivoire parisienne. Pourtant, de ce lourd silence, on entend sourdre l’éternelle question de nos militants et adhérents : non pas
« que faire ? » - puisque nous ne sommes pas des « marxistes-léninistes », mais plus prosaïquement « Et maintenant ? ».
Sully TACITE est ancien secrétaire départemental de l'UMP et membre élu de l'actuel comité départemental.