Monsieur le secrétaire d’Etat,
Je viens de prendre connaissance avec intérêt d’un courrier non encore daté que vous vous apprêteriez à m’adresser et que des journalistes m’ont remis.
Dans l’hypothèse où ce courrier me serait finalement envoyé, vous trouverez ci-après les commentaires qu’il pourrait appeler de ma part.
« En premier lieu, je tenais à vous remercier pour l’attention que vous portez aux « échos » de la presse guadeloupéenne qui témoigne de tout l’intérêt du
Gouvernement pour les questions ultramarines.
Ensuite, malgré la méthode originale que vous avez choisie pour me faire prendre connaissance de votre message, je dois me féliciter de la volonté réaffirmée du Gouvernement de
tenir compte, dans le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, des enjeux spécifiques de l’outre-mer et des souhaits des élus ultramarins. Cette volonté correspond en effet à
l’engagement du Président de la République, exprimé le 26 juin 2009 à Petit-Bourg, de respecter le délai de 18 mois pendant lequel les élus guadeloupéens ont demandé à l’Etat de s’abstenir
d’engager tout processus d’évolution statutaire ou institutionnel. Ce délai devait en effet être mis à profit pour rechercher les adaptations nécessaires au projet de loi de réforme des
collectivités territoriales engagé au niveau national.
Toutefois, permettez-moi aujourd’hui de m’interroger sur la sincérité de cet engagement et sur la volonté réelle du Gouvernement de prendre véritablement en considération les
aspirations locales. En effet, l’application à la Guadeloupe du projet de loi adopté récemment en deuxième lecture par l’Assemblée nationale représente non seulement le lancement mais
l’aboutissement d’un processus d’évolution institutionnelle. L’intégration, avant l’expiration du délai de 18 mois, de la Guadeloupe dans le champ d’application de ce projet de loi qui y institue
incontestablement une assemblée unique commune à la région et au département, au sens du dernier alinéa de l’article 73 de la Constitution, constitue clairement une violation de l’engagement du
Président de la République. De surcroît, l’institution de cette assemblée unique, sans qu’ait été recueilli au préalable le consentement des électeurs guadeloupéens, est inconstitutionnelle. Le
Conseil constitutionnel aura d’ailleurs à trancher prochainement cette question.
Vous relevez à juste titre qu’aucune proposition relative à une évolution institutionnelle n’a été adressée à l’Etat par la région ou le département. Vous ajoutez enfin que,
faute de proposition, c’est le droit commun issu de la loi de réforme des collectivités territoriales qui s’appliquera en Guadeloupe et vous prétendez que la Guadeloupe ne pourra être maintenue
dans le statu quo. Ces affirmations m’interpellent doublement :
- sur le plan juridique, tant que les électeurs guadeloupéens n’auront pas été consultés et n’auront pas donné leur consentement à l’une des deux formules
d’évolution institutionnelle mentionnées au dernier alinéa de l’article 73 de la Constitution (collectivité ou assemblée unique), ces évolutions ne pourront leur être imposées. La loi de réforme
des collectivités territoriales créant une assemblée unique en Guadeloupe, ne pourra donc y être appliquée sans une consultation préalable des électeurs. Dans l’attente de l’expression de cet
éventuel consentement, c’est bien le statu quo qui trouvera à s’appliquer en Guadeloupe et non un nouveau droit commun localement inconstitutionnel ;
- sur le plan politique, je suis surpris de l’empressement du Gouvernement à recevoir les éventuelles propositions des élus guadeloupéens avant le terme du
délai imparti alors même qu’en tant que président du congrès, en accord avec Jacques GILLOT, sénateur, président du conseil général, j’ai entrepris, depuis fin août, une campagne d’explication
des enjeux de la réforme territoriale qui nous conduit à nous rendre dans chaque commune de Guadeloupe. La presse locale s’en est d’ailleurs largement fait écho. Mais je regrette surtout que le
Gouvernement limite le champ des possibles en écartant a priori le statu quo qui reste une option respectable à laquelle de nombreux Guadeloupéens restent attachés.
L’application forcée de la réforme nationale à la Guadeloupe ainsi que l’élimination a priori d’une option que les Guadeloupéens pourraient finalement retenir, constitue une
immixtion de l’Etat dans la démarche de recueil des souhaits de la population, que Jacques GILLOT et moi avons initiée depuis quelques semaines, qui altère gravement cette démarche. Les
commentaires récents de l’entourage de la ministre de l’outre-mer, repris par l’AFP et qui invitent les élus guadeloupéens à faire un choix « statutaire » alors que le débat ne porte
ici que sur la question institutionnelle ajoutent à la confusion créée par l’Etat.
Dans ces conditions, je ne suis pas certain que le débat populaire puisse se poursuivre dans la sérénité qui doit présider à des choix aussi importants.
Je vous prie de croire, monsieur le secrétaire d’Etat à l’expression de ma vive considération. »
Le député, président du conseil régional
de Guadeloupe,
Victorin LUREL
Monsieur Alain MARLEIX
Secrétaire d’Etat à l’intérieur et aux collectivités territoriales
1 bis, place de Saussaies
75800 Paris cedex 08