LE DISCOURS QUE N'A JAMAIS PRONONCÉ VICTORIN LUREL DEVANT LE CONGRÈS DE LA MÉTHODE
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Monsieur le président du Conseil général,
Mesdames et messieurs les conseillers généraux et régionaux,
Mesdames et messieurs ici présents,
Mes chers compatriotes,
Nous voici sur le point d’entamer un exercice nécessaire, mais singulier et délicat. Nous, les représentants élus du peuple, nous nous réunissons cet après-midi en Congrès pour discuter d’une
méthode d’élaboration d’un projet guadeloupéen, alors qu’il apparaît clairement aux yeux de n’importe quel observateur que les Guadeloupéens ont encore beaucoup de mal à se parler entre eux dans un
espace démocratique apaisé et dans une atmosphère sereine.
Deux mois, jour pour jour, après la signature d’un accord qui devait nous permettre de repartir sur des bases nouvelles, au terme d’une grève générale historique après laquelle, on l’a tellement
dit, « plus rien ne serait comme avant » ; quatre mois ou presque, après le début de cette mobilisation populaire, qui a bouleversé bien des certitudes, ébranlé bien des convictions
et défié jusqu’à présent la plupart des analyses : une partie de notre peuple est toujours en mouvement.
Des grèves se poursuivent avec leur lot de défilés, d’occupations de locaux et d’invectives entre Guadeloupéens. Ce matin même, Basse-Terre était le théâtre d’une nouvelle mobilisation syndicale
qui se prolonge au moment où je parle à l’extérieur de l’enceinte du Conseil général. Cette tension toujours vive nous montre, s’il en était besoin, que la Guadeloupe peine à se relever de cette
grande crise sociale. Elle nous montre aussi qu’un fossé est en train de se creuser entre ceux qui voudraient ouvrir un nouveau chapitre et repartir de l’avant, forts de l’élan et des réelles
avancées générés par le mouvement social, et ceux qui estiment que la crise n’est pas encore mûre et qu’il faut coûte que coûte prolonger et prolonger encore l’instabilité pour atteindre une
victoire totale par anéantissement, dont – au passage – on cache toujours soigneusement la finalité.
Or, les collectivités, les exécutifs, Jacques Gillot et moi-meme, se sont massivement engagées pour répondre aux urgences sociales. Pour la seule Région Guadeloupe, ce sont pas moins de 50 millions
d’euros qui ont été mis sur la table. Nous avons immédiatement mis en œuvre l’application de notre part de l’accord du 4 mars. L’augmentation de 200 euros des bourses d’étudiants est déjà une
réalité, la baisse de l’octroi de mer pour des milliers de produits est sur les rails, nous sommes sur le calendrier initial pour verser d’ici juillet notre part des 200 euros de l’accord Bino avec
rappel des mois non versés depuis mars et la prime de 100 euros de vie chère sera également versée par la Région à ce moment-là. Et, nous recommandons toujours aux entreprises qui le peuvent de
signer l’accord BINO.
Malgré cela, il y a une semaine, le 1er mai, le jusqu’au-boutisme, la persistance dans l’invective et l’insulte, cette Guadeloupe qui se dresse contre une autre Guadeloupe, a pris la voix du
porte-parole du LKP :
- « Quelles que soient les méthodes que les travailleurs emploient, ils ont raison ! Quel que soit ce qu’ils peuvent faire, ils ont raison ! Quels que soient les séquestrations et les coups
qu’ils peuvent foutre à ces gens-là, ils ont raison ! »
- Lurel et Gillot ? « Ils font tous partie d’une même bande de voleurs ».
- Man KOURY ? « Nous devons nous occuper de son cas. Wi, fo nou fann tchou ay ! »
- « Quand dans 6, 8 ou 3 mois ça pétera à nouveau, il faudra que chacun se dégotte un endroit où courir se cacher. Car nous n’accepterons pas les discours du type, ben oui, ce sont ces
guadeloupéens…. Chacun devra choisir son camp ! »
- « Choisissez le modèle de société que vous voulez, choisissez ce que vous voulez, mais le peuple n’en fait pas partie, nous sommes en dehors. Et il faut à tout moment leur démontrer que
c’est nous qui avons le pouvoir. »
Voilà donc où nous en sommes aujourd’hui, dans un « après-crise » qui ressemble furieusement aux plus « belles » heures des tensions de janvier et février.
Voilà où nous en sommes, dans une Guadeloupe où l’on ne respecte plus les personnes et où l’on foule au pied, dans l’indifférence, des principes élémentaires de la démocratie en pratiquant la
menace, le mensonge, l’intimidation avec force posture de « ti mal ».
Voilà des syndicalistes qui, pour combattre des injustices, sont parfois prêts à instaurer de nouvelles injustices. Prêts à remplacer le mal par le pire.
Voilà cette Guadeloupe qui a du mal à se parler, à se respecter et qui, sur cette lancée, peut se préparer à vivre de nouvelles heures sombres.
Voilà cette posture que l’on répand, que l’on diffuse et qui consiste, en permanence, à rendre l’Autre, le patron, le voisin, le Français de France pour ne pas dire le « blanc », l’élu,
l’immigré, seul responsable de nos maux.
Et voilà notre exercice singulier : discuter méthode, discuter projet guadeloupéen, sous la contrainte d’un mouvement qui, désormais ouvertement, conteste la légitimité des élus et qui, depuis
la rue, refuse et promet de combattre par avance tout ce qui pourra sortir de nos travaux.
Si je suis là aujourd’hui, c’est justement parce que je crois nécessaire de réaffirmer ici solennellement que la Guadeloupe demeure et doit demeurer une démocratie.
Une démocratie au sein de laquelle les choix de société, les orientations politiques et les décisions économiques majeures se font dans les urnes, par le vote libre et sans contrainte.
Une démocratie au sein de laquelle on est libre d’avoir ses opinions et de penser différemment, sans avoir peur pour sa personne, pour sa famille ou pour ses biens.
Une démocratie dans laquelle les conflits, qu’ils soient sociaux ou civils, se règlent par le dialogue et, si besoin, devant la justice, mais pas systématiquement dans la rue.
La Guadeloupe, malgré le portrait de pays de cocagne qu’en font certains qui, eux aussi, prétendent l’aimer, possède d’abord en elle-même les ressources qui doivent lui permettre de se sortir de la
crise dans laquelle elle est aujourd’hui plongée.
C’est une terre riche et fertile que nos voisins nous envient. C’est une jeunesse talentueuse et volontaire qui atteint l’excellence en de nombreux domaines et qui s’exporte dans le monde entier.
C’est un esprit d’entreprise audacieux et dynamique qui nous classe régulièrement parmi les premières régions de France pour la création d’entreprises. Ce sont des femmes et des hommes qui, chaque
jour, dans les associations, dans les institutions, s’emploient à faire progresser notre économie, à créer du lien social, à former les jeunes et les moins jeunes, à valoriser notre patrimoine
culturel. Ce sont nos artistes et nos sportifs qui contribuent à faire rayonner la Guadeloupe par-delà nos petites frontières. Ce sont aussi des élus, oui j’ose le dire, qui savent travailler
ensemble, comme la Région a su le faire avec le Département depuis 2004, pour mettre en commun leurs moyens, leur expertise et leurs ambitions afin de s’attaquer aux handicaps structurels qui sont
les nôtres.
Oui !, chacun le sait, notre peuple, quand il se rassemble, est capable d’atteindre l’excellence. Il est capable de dépasser les blessures de l’histoire, de se libérer des chaînes du passé, de
ne pas être l’esclave d’une mémoire douloureuse – comme le disait Frantz Fanon. Il est capable de ne pas s’attarder sur ce qu’on a fait de lui et de se préoccuper de ce qu’il fait lui même de ce
qu’on a fait de lui.
Et si, comme dans bien d’autres pays, dans l’Hexagone, dans la Caraïbe toute proche, il est incontestable que notre société souffre d’injustices criantes, de situations tragiques pour des familles
dans la détresse, pour une certaine jeunesse à la dérive, s’il est nécessaire de poursuivre avec constance la lutte contre toutes les profitations, contre tous les abus économiques, contre les
rentes de monopoles, contre l’exploitation des salariés, et nous avons besoin de syndicats forts pour cela, il faut aussi avoir le courage de nous regarder tels que nous sommes. Il nous faut
arriver à faire la part de nos forces et de nos faiblesses, sans fard, sans faux-semblants, et, surtout, arriver à faire la part de ce que nous devons attendre des autres, de l’Etat, des
institutions, des élus, et de ce que nous avons, nous-mêmes, à faire sur nous-mêmes.
Il faut le faire pour dépasser l’image univoque que nous sommes en train de forger dans notre imaginaire et dans celui de ceux qui nous regardent : celle du peuple en lutte et en contestation
permanentes, contre des ennemis de l’intérieur et de l’extérieur. Le peuple qui marche, résolu, déterminé, combattant, mais qui finit par ne plus savoir ce qu’il cherche en définitive.
Je m’interrogeais publiquement, il y a quelques jours : pourquoi glorifions-nous exclusivement les figures de résistance ? Certes, Delgrès est un personnage immense de notre Histoire,
dont il nous reste d’ailleurs beaucoup à apprendre, mais pourquoi diable, dans notre Panthéon, n’y a-t-il pas d’autres figures ?
Pourquoi savons-nous si bien créer des liyannaj’ « contre » et beaucoup moins des liyannaj’ « pour » ?
Pourquoi savons-nous si bien combattre, alors qu’on a plus de mal à construire dans la durée ?
Pourquoi sommes-nous meilleurs dans la dénonciation que dans la proposition ?
Pourquoi avons-nous autant de difficultés avec la règle et l’autorité, aussi bien quand il s’agit de l’exercer que de la subir ?
Pourquoi l’Observatoire du dialogue social nous classe-t-il dernière région sur 26 pour le lien social, quand nous sommes à la 20ème place pour la performance économique, soit devant des régions
hexagonales bien plus développées que la nôtre ?
Pourquoi cumulons nous une mortalité routière, une délinquance, un absentéisme au travail ou encore un taux de conflits sociaux records ?
Pourquoi battons-nous tous les records d’abstention aux élections ?
Pourquoi nos solidarités familiales sont-elles moins fortes aujourd’hui et si éloignées de ce que nos aînés nous ont transmis ?
Pourquoi nous, les hommes, laissons nos femmes élever seules nos enfants ? Pourquoi sommes-nous si absents ?
Peut-on sérieusement se poser ces questions et y répondre sans invoquer exclusivement le passé colonial ou le passé esclavagiste et prétendre que si nous en sommes là, nous n’y sommes pour rien
?
C’est comme si l’incroyable omniprésence dans le débat public des conflits du travail, en arrivaient à masquer d’autres réalités qui pèsent lourd sur notre lien social, sur notre vivre ensemble,
sur notre vouloir vivre ensemble et sur notre savoir vivre ensemble. Pourtant, ces réalités, nous devons aussi les regarder en face et nous devons résolument y répondre.
Croyez le, c’est au moins aussi prioritaire que de résoudre tous les conflits sociaux en cours. Et, un projet guadeloupéen ne pourra faire l’impasse sur ces questions.
Il y a en effet dans notre société des non-dits, des contradictions, des frustrations, des problèmes qui, pour certains, datent de plusieurs décennies et on ne peut espérer les régler en quelques
semaines, ou en quelques mois, ni même en une seule mandature du Conseil régional. On n’y arrivera pas non plus en dressant une Guadeloupe contre l’autre. Et, encore moins en fomentant un grand
soir révolutionnaire qui, toujours, se traduit par des lendemains qui déchantent pour les plus faibles.
On ne peut, non plus, espérer progresser en ces domaines sans une prise de conscience, certes collective, mais qui parle d’abord à chacun d’entre nous, dans sa famille, dans sa vie de parents, dans
sa vie de jeune futur adulte, dans sa vie d’aîné.
En fait, il s’agit aussi de changer l’Homme, d’évoluer vers un nouvel homme, un homo guadeloupensis.
Car, cette Guadeloupe qui a tant de mal à se parler, qui a tant de mal à se comprendre, qui a tant de mal à se respecter, il faut pourtant la rassembler.
Oui, il faut la rassembler pour que, de nouveau, elle avance et qu’elle progresse vers plus de justice, plus de tolérance et plus de lien social. Quand d’autres ont choisi d’exclure et de diviser,
c’est notre responsabilité, à nous, élus du peuple, pour certains maires ou conseillers généraux depuis à peine un an, d’œuvrer à ce rassemblement sans concéder le moindre terrain à ceux qui
pratiquent l’anathème et l’intolérance, avec de surcroît une curieuse conception du respect des libertés collectives et individuelles.
Un projet guadeloupéen peut évidemment contribuer à ce rassemblement. Mais, il doit s’adresser à toutes les Guadeloupéennes et à tous les Guadeloupéens, sans exclusive, et qu’il permette à chacun
de pouvoir accéder à sa parcelle de bonheur, conquise dans la richesse que ce pays peut créer et non prélevée, préemptée ou confisquée au détriment de l’un ou l’autre de ses compatriotes.
La Guadeloupe est née diverse, multiethnique et multiconfessionnelle. Elle s’est construite par des bras de toutes les couleurs et un formidable métissage y est à l’œuvre. Mieux encore, une
formidable créolisation la travaille. Il n’est qu’à regarder cette salle pour mesurer ce que nous sommes. La Guadeloupe est une terre accueillante qui s’enrichit, dans le moindre de ses
interstices, de sa diversité et la haute idée que je me fais de mon pays me permet de dire que celui qui a fait le choix de s’enraciner ici, sans y être né, est aussi Guadeloupéen que celui qui,
comme moi, y est né par hasard.
Toi l’indien, toi le béké, toi le blanc « péyi », toi le syro-libanais, toi le nègre, toi l’asiatique, toi le pied noir, que l’histoire ou la vie a conduit ici un beau jour, tu es de ce
pays si tu es prêt à le bâtir, à t’y investir et à te sentir lié à cette communauté de destins que nous formons.
Ici, il y a un peuple avec ses traditions, avec sa culture, avec ses « mès et labitid », et quiconque les respecte et les partage, est le bienvenu et peut travailler, avec nous, à
construire ce pays. Lorsque nous, antillais de couleurs, nous allons n’importe où dans le monde, nous n’attendons pas autre chose de ceux qui nous accueillent. Et nous nous révoltons, à juste
titre, contre ceux qui ne nous acceptent pas, voire nous rejettent. Pourquoi faire à d’autres, ce que nous haïssons tant que l’on nous fasse ? Cela a-t-il un sens d’adopter la stupide loi du
Talion, œil raciste pour œil raciste, dent injuste pour dent injuste ? « Si zot ka trété nou kon chyen, nou ké trété zot kon chien », eskè sé sa yo vlé pou péyi an nou ?
Parce que je sens, en ces temps troublés, que certains dans le pays sont prêt à vaciller sur ces principes et qu’ils pourraient succomber, en une période de crise économique grave, à la facilité
d’identifier ce qu’il croit être à la source de ses problèmes et d’exiger d’en être débarrassé d’une façon ou d’une autre, je veux dire avec gravité que la Guadeloupe pour laquelle je me bats et
pour laquelle je suis prêt à me battre encore ce n’est pas celle là.
Ce n’est pas celle des fermetures forcées de magasins, mais celle où règne un dialogue social apaisé.
Ce n’est pas celle du concours permanent de légitimité entre la rue et les élus, mais celle où la société civile participe au débat démocratique en respectant ses règles et en jouant un rôle de
contre-pouvoir efficace.
Chômeurs,
Ce n’est pas celle d’une certaine culture de l’irresponsabilité qui conduit, comme dans le cas de l’ex-AFPA, certains anciens responsables de la structure à ne jamais évoquer leur propre rôle dans
le naufrage de l’outil dont ils étaient les gestionnaires. Mais, celle où l’on a conscience qu’un euro, c’est un euro et qu’il faut de la rigueur de gestion dans toutes les structures, de
l’association à la mairie en passant par l’entreprise ou la collectivité locale.
Cette Guadeloupe qui m’anime à chaque instant, ce n’est pas non plus celle du fantasme de l’oppression et de la répression coloniales que l’on instille désormais en permanence, alors que l’Etat n’a
cessé de confier davantage de pouvoirs au niveau local et qu’il a mené avec la départementalisation, j’ose le redire ici, une forme originale de décolonisation. Tellement originale, il est vrai,
que pendant plusieurs décennies, la loi de 1946 n’a pas été totalement appliquée chez nous et qu’il a fallu que les élus – comme quoi ils peuvent servir à quelque chose – arrachent progressivement
l’égalité sociale.
La Guadeloupe pour laquelle je me bats, c’est celle pour laquelle nous avons élaboré, depuis 2004, Région, Conseil général, Etat, communes, avec les partenaires sociaux qui ont bien voulu
travailler avec nous et les citoyens qui ont participé à nos assises territoriales, une cinquantaine de plans et de schémas pour penser et construire la Guadeloupe de demain. Cette somme
considérable de travaux d’analyses, de prospective, de propositions et de plans d’action dessine les contours de notre territoire à l’horizon 2020-2030, voire même 2050.
Nous en avons effectué une synthèse que nous remettons aujourd’hui au Congrès et qui présente les différentes orientations retenues et, pour la plupart, validées par le Congrès ou par nos
assemblées respectives. Ces documents stratégiques décrivent une Guadeloupe qui choisit résolument la voie d’un développement durable et solidaire, qui place l’homme et la femme guadeloupéens au
centre de sa stratégie de développement, qui est poreuse au souffle du monde, mais cherche à développer ses moyens propres de production, et qui fait de l’éducation et de la formation une priorité
absolue, car c’est là notre richesse essentielle.
Investir dans nos enfants, investir en l’Homme, tel est – nous le croyons – le primum movens du développement et de la modernisation.
Plus qu’un projet de société dont certains rêvent, dont d’autres parlent et que nous avons là déjà élaboré de façon très concrète, ces travaux sont à la base de ce que je préfère appeler une
société de projets. C’est-à-dire que la Guadeloupe, plutôt que de s’enfermer dans une planification autoritaire de son avenir, dont on sait qu’elle résiste rarement aux aléas du monde, offre à
chacun la possibilité de mener à bien son projet, sa contribution au développement du pays.
Dans cette optique, le sujet qui occupe certains esprits, à savoir la question institutionnelle n’est qu’un paramètre parmi d’autres. Le statut reste un moyen et non pas une fin et je sais gré à
mon ami Jacques Gillot et à d’autres collègues de l’avoir compris.
En effet, la problématique institutionnelle est aujourd’hui à la fois plus simple et plus compliquée que jamais. Plus simple, parce que contrairement au fantasme que véhiculent les nationalistes,
la France n’est plus en Guadeloupe dans une logique coloniale. Et nous sommes peut-être plus près que jamais dans notre histoire de pouvoir demander notre autonomie, voire notre indépendance si
telle est notre volonté. Le gouvernement actuel et le chef de l’Etat, conscients de l’évolution de l’opinion publique hexagonale, ne fera jamais obstacle à une telle volonté, si elle est exprimée
par le peuple à l’occasion d’une consultation.
Il n’y aurait donc pas de guerre de libération nationale à déclencher, ni de barricades à ériger, pour aboutir à cela, sauf si certains – peut-être – décidaient de convaincre par la force ceux qui
refuseraient une telle option.
C’est donc très simple, d’autant que le champ des possibles est vaste : du statu quo institutionnel à la séparation ou à la sécession pure et simple ; en passant par l’assemblée
délibérante commune avec maintien des deux collectivités existantes dans l’article 73, ou par une collectivité unique résultant de la fusion de la région et du département, toujours dans le cadre
de l’article 73 ; ou encore l’autonomie dans le cadre de l’article 74 ; sans oublier l’option d’un préambule à la Calédonienne, qui prévoirait un référendum d’autodétermination à horizon de 20 ans…
Nous n’avons finalement que l’embarras du choix, si telle est la volonté du peuple.
Mais c’est aussi, tout à la fois, très compliqué. Car, si nous croyons que la lutte contre les profitations sera plus aisée dans un cadre plus autonome, il n’est qu’à méditer sur l’expérience
calédonienne, où une autonomie poussée n’a pas empêché les inégalités et les injustices d’exploser.
C’est compliqué, aussi, parce que si l’on observe bien, cette question institutionnelle est peut-être celle qui nous divise le plus aujourd’hui. Entre ceux qui pensent que c’est prioritaire, et
c’est leur droit, et ceux qui pensent qu’il y a d’autres urgences. Entre ceux qui militent pour le maintien dans l’article 73 dont on n’a pas à l’évidence exploré toutes les possibilités, et ceux
qui veulent évoluer vers l’article 74. Entre ceux qui pensent, comme c’est mon cas, que le mandat des électeurs de 2003 et 2004 n’autorise pas à remettre cette question sur le tapis avant 2010, et
ceux qui ne cessent de répéter que malgré le vote à plus de 75% des Guadeloupéens, ceux-ci se sont trompés ou, pire, ont été trompés, et ainsi en arrivent à mépriser le vote populaire. Bref, nou ja
paré pou manjé nou !
C’est compliqué, enfin, parce que seul le peuple détient la clé. Et qu’il n’y a rien de plus compliqué que de conquérir sa confiance sur une question qui suscite immédiatement sa méfiance et sa
circonspection.
La sagesse commande, je l’ai dit à plusieurs reprises et je le répète ici, d’adopter un calendrier réaliste, qui nous laisse le temps de faire le travail de pédagogie nécessaire pour tenter
d’emporter la conviction. Un calendrier, si possible, déconnecté des échéances électorales et donc, d’éventuelles arrière-pensées que le peuple décrypte assez aisément. Et puis, il faut à mon sens
une démarche qui replace les différentes instances dans leur rôle. Le seul Congrès des élus qui impulserait une évolution institutionnelle d’apparence consensuelle, venue d’en haut, sans un travail
politique préalable, cela me rappelle quelque chose… Et les divers positionnements que j’ai pu entendre ces derniers jours ne laissent plus beaucoup de place au doute. Or, il me semble que nous
cherchons tous à éviter un remake du 7 décembre 2003, au terme duquel les mêmes causes produiraient les mêmes effets.
C’est pourquoi je reste fidèle à mes options de toujours et à un calendrier qui respecte le temps des élections à venir et qui permet à chaque parti politique de bâtir d’ici 2010, avec ses
militants et ses alliés, un programme dans lequel il fera figurer à la place de son choix sa formule d’évolution institutionnelle. Les élections ne sont-elles pas le meilleur moment pour recueillir
l’adhésion du peuple sur des bases claires et précises ? A charge pour ceux qui auront été élus en 2010 et en 2011 de se donner deux ans pour proposer, dans le cadre d’un Congrès, une
évolution que la population aura à donner son consentement en 2013 ou en 2014. A Saint-Martin, où la problématique était pourtant nettement moins complexe, il s’est écoulé 4 ans entre la
consultation et l’élection de la nouvelle COM.
La sagesse, mais surtout l’intérêt supérieur d’une Guadeloupe qui doit se remettre au travail d’urgence, consistent donc, selon moi, à différer ce débat qui porte en lui des ferments puissants de
division et de chiraj’.
Et à ceux qui voudront néanmoins ouvrir ce débat dès aujourd’hui, je répondrai calmement, sereinement : allez aux élections ! Tout comme, j’invite aujourd’hui ceux qui défendent une
vision de la Guadeloupe différente de la mienne, voire différente de celles de tous les élus qui sont dans cette salle, à ne plus se cacher derrière des banderoles. La démocratie a ceci de puissant
qu’elle permet à chacun de prendre ses responsabilités, de présenter devant tous les citoyens son programme, ses idées et son modèle de société. Une Nation, disait Renan, c’est un rêve d’avenir
partagé. Tous ceux qui aspirent à conduire demain notre Nation guadeloupéenne en devenir se doivent de dire quel est leur rêve et quels moyens ils se donnent pour le faire partager au plus grand
nombre.
Pour ma part, hier c’était et c’est plus que jamais la « Guadeloupe pour tous ». Aujourd’hui, compte tenu du contexte médian, c’est aussi « Tous pour la Guadeloupe ».
Je vous remercie.