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9 novembre 2009 1 09 /11 /novembre /2009 16:35
TRIBUNE LIBRE
Mais où est donc le pouvoir ?
Par Michel Eynaud

Le pouvoir préoccupe bon nombre d'individus. Il obsède véritablement certains d'entre eux. Quelques uns en ont même fait leur profession. Particulièrement dans le monde de la politique... mais pas seulement. Mais il faut bien se dire que si tant de monde court après le pouvoir, c'est que pas grand monde ne le possède réellement.

Dans les relations entre individus ou entre groupes sociaux, la relation de pouvoir tient une grande place, implicite ou explicite. Mais il s’agit bien d’une relation, donc d’une intéraction qui se construit et se modifie au fil de l’évolution des échanges ou des représentations. L’actualité récente montre bien comment cette relation est éphémère. Tel ancien Ministre de l’intérieur, un jour patron des barbouzes du SAC (le « Service d’Action Civique » gauliste des années 60), une autre fois jurant de « terroriser les terroristes », se voit aujourd’hui condamné par la justice dans une histoire de trafic d’armes, et devra peut-être passer par la « case prison »… Un Président en exercice est partie civile contre un ancien et brillant premier Ministre qui hier tenait tête à Bush et à sa « guerre du Golfe » et qui serait maintenant promis, paraît-il, à « un croc de boucher » dans une affaire de fichiers informatiques bidouillés par un individu affabulateur… Sans oublier un ancien Président de la République, longtemps intouchable et protégé par des « fusibles » dont certains, comme Aain Juppé,  payèrent cher leur fidèlité, qui va devoir répondre de vieilles histoires d’emplois fictifs.

Le pouvoir entre fantasme et réalité
Alors qu'ils sont nombreux à se le disputer et à manoeuvrer pour mieux tenter de le saisir, le pouvoir ne cesse donc d'être remis en question. D'abord parce que le cadre démocratique impose qu'il soit soumis à la validation périodique des urnes. Ensuite, parce qu'à peine étreint par un candidat, il menace toujours de disparaître, soit au profit de la quête d'un autre pouvoir, supposé plus grand, soit pour aller ravir transitoirement un autre candidat. Et puis aussi parce qu’il dépend du crédit qu’on apporte à celui qui est supposé le détenir, et qu’en la matière l’opinion publique est versatile et les juges patients !

Le pouvoir a ceci de fascinant qu'il est à fois pur fantasme évanescent, et pourtant réalité agissante dans l'organisation des activités humaines ! En fait, il n'existe que partagé, insaisissable car pris dans la mouvance de relations complexes. Dans l'état actuel de notre démocratie, nous rencontrons d'ailleurs effectivement plusieurs partenaires.

Les plus évidents sont les professionnels de la politique. Leurs visages couvrent nos murs lors des élections –et il y en a souvent-  sur de grandes affiches polychromes et leurs noms sont distillés tous les jours par les médias au fil des événements, le plus souvent protocolaires, électoraux ou ... judiciaires. Théoriquement nous les élisons pour mettre en oeuvre une politique, c'est à dire pour effectuer les choix qui permettront à nos aspirations profondes de se réaliser le mieux possible. Mais ils nous confrontent souvent à la perplexité : leurs alliances sont parfois imprévisibles, la direction de leurs orientations n’est pas toujours perceptible. Le monde politique des Abymes en est une illustration assez tragique, où la constance et la fidélité sont trop souvent soumises à l’oportunité et au populisme, et où les trajectoires des leaders sont tout sauf clairement lisibles.

Les mécanismes du pouvoir politique
Les principales logiques qui animent ces professionnels semblent pouvoir se résumer à quatre types principaux, mais chacun pourra les compléter avec quelques variantes inspirées par l’actualité :
- une certaine forme d'idéologie, qui trouve sa limite dans le dogmatisme
- un plan de carrière personnelle, qui exige des compromissions évolutives
- l'influence de l'opinion, qui débouche sur la démagogie
- un "réalisme" au quotidien, qui s'enlise dans la technocratie.

Tous unis devant le fantasme du pouvoir, on peut donc se demander si les hommes et les femmes politiques en lice dans certains combats ont vraiment des politiques différentes ou bien seulement des conflits d'intérêts. Sinon, comment comprendre en Guadeloupe  les opposition de ceux qui se disent socialistes ou de ceux qui se déchirent les oripaux de l’UMP, et dans l’hexagone la vieille haine entre Chiraquiens et Sarkozyens ?... Le complément de ces rivalités souterraines est le noyautage organisé pour « placer » ses amis et éviter les conflits trop voyants en s’assurant du contrôle des appareils de décision.  C’est la tactique de notre « hyperprésident », qui construit en douceur "son état" en plaçant ses hommes au contrôle de toutes les entreprises sensibles. Derrière les discours de circonstances, destinés à "rassurer" une opinion publique que l'on écoute tout en tentant de l'influencer, se déploie une stratégie personnelle alimentée par une logique implacable.

Les décisions politiques hésitent donc à se prendre entre deux lieux de pouvoir: les fantasmes plus ou moins inconscients des politiciens, et l'arrière-cour des cabinets de conseillers plus ou moins occultes. C’est pourquoi  les technocrates sont aussi des partenaires incontournables dans le jeu du pouvoir ! Ils ont fait des Grandes Ecoles, ils ont été élevés dans des pépinières familiales ou corporatistes, ils sont formés pour s'adapter à toutes les missions, toutes les institutions. Ils prétendent tout savoir sur tout, ont réponse à tout... c'est leur métier. S'ils n'y parviennent plus, s'ils commettent une "bavure", ils ont le choix entre tenter leur chance dans le privé, ou se faire oublier sous la forme de banals bureaucrates. Théoriquement ils n'ont pas le pouvoir car, outre écrire les discours de leurs employeurs, ils sont supposés fournir les informations nécessaires aux choix politiques, sans choisir eux-mêmes. Il est difficile de savoir qui utilise l'autre: le politicien sélectionnant dans le rapport de l'expert ce qui va justifier son propre projet (ou suivre au mieux l'opinion du moment), ou bien le technocrate induisant subtilement la décision d'un élu qui parade dans une pièce dont il n'a pas écrit le scénario...

Les partenaires du pouvoir   
Mais quoi qu'ils aient décidé, ni le politicien ni le technocrate ne peuvent réellement agir sans tenir compte d'un troisième partenaire, le bureaucrate... Car, à force de vouloir centraliser un pouvoir qui ne cesse de se diluer, ils ont dû constituer des Administrations. Que ce soit celle de la "Nation" ou celle de "l'Europe", l'administration doit perpétuer la continuité d'une machine de pouvoir, même quand ceux qui la servent (ou s'en servent) se renouvellent. Le bureaucrate a le pouvoir de l'inertie et de la réglementation, c'est-à-dire, celui du temps et de l'habitude. D'une certaine façon, le pouvoir se partage donc entre le politique, qui doit choisir sans toujours réellement savoir, le technocrate, qui croit savoir sans être mandaté pour décider, et le bureaucrate, qui fait fonctionner la machine sans savoir ni décider...

La décentralisation avait voulu lutter contre la bureaucratie centrale. Elle a parfois compliqué le jeu du pouvoir en développant ses lieux et ses partenaires. Les bureaucraties se sont donc multipliées, tandis que les politiciens s'associaient... avec les financeurs. Que ce soit pour alimenter des caisses électorales ou pour réaliser des travaux d'intérêt collectif, les relations entre élus et marchands sont obligatoires, les tentations incontournables. Et pas tout le monde y résiste toujours ! Il n'y a pas de pouvoir hors de toute réalité économique, et la cité ne vit que de ses échanges. Les financeurs détiennent donc normalement une bonne part du pouvoir. Il est sain de le savoir, il est plus douteux de considérer comme une fatalité la collusion qui en découle trop souvent. D'autant qu'elle induit l'irruption d'un autre pouvoir grandissant dans le champ social, celui des juges.

Les arbitres du pouvoir
L'institution judiciaire a donc sa place comme partenaire du pouvoir. Malheureusement une place grandissante, qui signe d'une part la compromission grandissante des acteurs de la cité, et d'autre part la perte des évidences morales des citoyens. Car si la justice doit de plus en plus arbitrer des conflits, légiférer sur des questions d'éthiques, c'est que les partenaires de la cité se respectent de moins en moins, et que les valeurs de la communauté sont moins évidentes. S'il y avait moins de complices, certains abus de biens sociaux ne seraient pas possibles, et si la vertu était plus mutuelle, les choix de société seraient moins dévolus à la magistrature.

Le pouvoir attribué aux juges découle donc du reflux de la morale publique : moins le consensus social est partagé, moins les valeurs communes sont claires et pratiquées, et plus il faut écrire la loi. Et la coercition menace de remplacer l'autodétermination.

Les artisans du pouvoir
Le relation de pouvoir ne concerne pas que les politiques et leurs partenaires. Dans toutes les organisations sociales se constituent des hiérarchies. Les catégories de chefs et sous-chefs y fleurissent, quelle que soit leurs dénominations ou leurs niveaux. Le management participatif est à la mode –au moins dans les paroles !- et leur pouvoir devrait être celui de permettre l’expression du potentiel de leurs collaborateurs, en gros le pouvoir de dire « oui » à l’initiative… Mais être directeur (cadre ou contre-maître) c’est encore trop souvent le pouvoir de dire « non » !... Les employés ne sont pas en reste, au quotidien,  dans l’emploi de ce pouvoir du « non »… et la stagnation est souvent la résultante d’une multiplicité de petits pouvoirs de paralysie. 

Même l’espace domestique est un espace de pouvoir. Dans certaines maisonnées règnent de véritables « tyrans domestiques » laissant peu de place aux initiatives. Ce sont parfois des matrones toute puissantes et castratrices, couvant leur progéniture et excluant les pères condamnés à n’être que des géniteurs erreants, comme ce sont parfois des « pater familias » violents, menant tout le monde à la trique ou à la calotte, ou distribuant avec parcimonies des revenus pas toujours consacrés en priorité à la famille.

Et le citoyen de base? Lui aussi participe au pouvoir, même s'il l'oublie trop souvent. Tout d'abord structurellement, en tant que membre de la cité, c'est lui qui délègue aux élus politiques (ou syndicaux) leur exercice provisoire et partiel du pouvoir. Ensuite parce qu'il possède la prérogative du Verbe : il dicte ses choix lors des élections ou, lorsqu'il n'est pas entendu, en descendant dans la rue. Certes, beaucoup de citoyens ne se déplacent pas pour voter, et un élu ne représente que rarement plus du tiers des inscrits... Certes, certains manifestants ne courent qu'après des privilèges de corporation... Mais les grands mouvements sociaux prouvent que l'on peut infléchir le cours des événements d'autant plus facilement que l'union fait la force...

Le pouvoir partagé
Quelle que soit l'assise des interlocuteurs impliqués, le pouvoir est toujours partagé. Il résulte d'interactions mouvantes et complexes. Et ce qui fonde la légitimité d'une démocratie est le dosage qu'elle réussit dans l'équilibre des pouvoirs entre partenaires aux prérogatives limitées. L’essentiel de la démocratie, à côté des débats et des votes, c’est bien cet équilibre des contre-pouvoirs, ouvrant des espaces de négociation et limitant les hégémonies dangereuses. Aucun dirigeant ne doit l'oublier.

Pour les citoyens que nous sommes, le seul pouvoir que nous ne devons jamais abdiquer, est celui de notre liberté de pensée et de parole. Cette liberté fondamentale permet de faire exister  dans nos consciences, du sens, et donc de la vie, entre une naissance et une mort que l’on subit irrémédiablement…et aussi de nous faire entendre et d’exister dans une communauté ouverte que nous pouvons participer à construire. Le pouvoir est d’abord dans nos têtes.
Le Progrès Social daté du 7/11/2009, p  PAGE 3
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