RENCONTRE
Pierre Bonnot, ingénieur
« Une génération pour reconstruire Haïti »
Pierre Bonnot, qui a dirigé Route de Guadeloupe pendant deux ans, vient d'intégrer la Banque mondiale.
Il devra gérer pour le compte de celle-ci la reconstruction d'un pays : Haïti.
Vous vous êtes très vite intéressé à Haïti...
Oui, ma première mission en Haïti date de 1997. De cette date à 2001, j'ai donné des cours d'ingénierie routière à l'institut de coopération franco-caraïbes pour des ingénieurs et techniciens
haïtiens. En 2005, j'ai été missionné pour une expertise technique pour le compte de la Banque mondiale. Après le séisme de 2010, j'ai fait partie de la première mission sur le terrain pour
évaluer les dégâts et les besoins immédiats.
Qu'avez-vous trouvé là-bas après le séisme ?
Le chaos. Port-au-Prince ravagée. Des gens en détresse. Des difficultés de circulation, plus du tout d'eau et d'électricité, des centaines de milliers d'habitations endommagées, un Etat à
reconstruire.
Vous avez mis en place un audit de la situation à Port-au-Prince pour évaluer les dégâts matériels.
Oui, nous avons formé deux cents ingénieurs haïtiens pour qu'ils expertisent chaque bâtiment de la capitale. Ils en ont recensé environ 400 000 qu'ils ont visités, expertisés minutieusement. Ils
faisaient, chaque jour, de 3 à 4 000 expertises !
« 130 000 bâtiments endommagés »
Une évaluation de ces dégâts ?
Il y a 130 000 bâtiments qui sont affectés, ce fait la moitié des bâtiments de Guadeloupe, dont 25% qui sont à détruire ou détruits. 75 à 80 000 bâtiments sont à réparer ou à reconstruire.
Va-t-on déplacer la capitale comme certains l'ont souhaité ?
Non, la capitale va rester où elle est mais il faudra reconstruire certains quartiers très touchés ailleurs. C'est le moment de rééquilibrer le territoire vers la province.
Qu'est-ce qui a été fait en un an ?
Beaucoup plus de choses que ce que l'on dit ! Il y a eu un travail d'urgence qui était celui de stabiliser la population. Il y a 1,5 million de personnes affectées ou déplacées. Il faut s'occuper
d'eux, ce qui n'est pas simple. Reste la reconstruction...
Comment celle-ci va-t-elle se faire ? Des barres style Mortenol ?
Les Haïtiens seraient heureux d'avoir de telles structures, aux normes. Non, il va falloir faire en fonction des besoins, des zones. Pour reconstruire des logements, il est prévu une somme
d'environ 10 milliards de dollars. C'est ce qui a été promis par les pays riches. Or, pour construire 80 000 logements, ce qu'il faudrait rapidement, c'est 20 milliards de dollars !
Dans un pays ravagé, sans institutions établies ?
Il y a une réelle volonté de bien faire. Là, rapidement, pour pouvoir commencer à reconstruire, il va falloir refaire un tissu économique : des usines, etc. Et puis mettre en place des outils
financiers pour que les gens puissent emprunter et rembourser leurs prêts sur le long terme. La plupart des Haïtiens ont la capacité de rembourser. Mais, pour reconstruire, il faut aussi pouvoir
fournir les services de base que sont l'eau, l'électricité, l'assainissement. Il faut les services de base, sinon tout ce qui est entrepris n'aura pas servi à grand-chose.
Combien de temps faudra-t-il pour tout mettre en place et avoir tout cela ?
Le ministre des Travaux publics de la République d'Haïti s'est exprimé dans Le Nouvelliste cette semaine. Il dit que la reconstruction sera finie... dans un temps indéfini ! Moi, je pense une
génération... au moins !
Propos recueillis par André-Jean VIDAL
Profil
Pierre Bonnot a 40 ans, c'est un ancien élève de l'Ecole nationale des travaux publics de l'Etat (ENTPE).
Il vient d'être recruté par la banque mondiale au service qui s'occupe plus particulièrement de la zone Amérique latine/Caraïbes (45 pays) pour gérer le portefeuille d'affaires infrastructures en
Haïti. En fait, il va gérer les dons des pays riches en faveur d'Haïti, soit environ 150 milliards de dollars immédiatement, 500 milliards de dollars dans l'avenir.
Pierre Bonnot quitte la Guadeloupe après quinze ans de présence.
En 1996, il est nommé en Guadeloupe, chargé de mission reconstruction après les passages dévastateurs des ouragans Luis et Marilyn. Responsable de la gestion du patrimoine, des ouvrages d'art, il
supervise les 600 ponts de Guadeloupe. Responsable du parc de matériel et production de travaux de la DDE, il quitte ce service au bout de quatre ans pour celui de l'entretien des routes et
grands travaux. C'est l'époque ou la DDE finissait la déviation de Petit-Bourg et celle de Beausoleil.
Il est directeur de Routes de Guadeloupe après la création, en 2008, d'un service commun qui fait suite à la loi de transfert de compétences à la région et au département des routes nationales et
départementales (2004).