Adieu Patrick !
Patrick Saint-Eloi est au panthéon des musiciens, où il a rejoint Gilles Floro.
Décédé des suites d'une longue maladie, samedi, le monde entier le pleure.
Dans les années 80, nous étions en classe à Baimbridge. Patrick était un grand garçon, très mince, coiffure afro, le regard tendre, un peu dans le vague. Silencieux, observant tout. Ecoutant
tout. Ses condisciples l'aimaient parce qu'il était un bon camarade, prêt à faire taire les chahuteurs. Non pas en se lançant dans la bagarre, mais en séparant deux lutteurs, bras écartés, leur
parlant pour les calmer. Les apaisant.
Patrick, comme d'autres, était la tête de turc d'un prof de philo un brin sadique. Tandis que celui-ci éructait, il laissait passer l'orage d'imprécations, crayonnant sur son cahier, rongeant son
frein. Pour passer le temps, en classe, parce qu'il avait ce talent que nous n'avions pas, Patrick écrivait des poèmes, dessinait. Il n'était pas tout le temps avec nous. La tête pleine de mots,
de musiques, il s'évadait. Il prenait rarement la parole, n'était pas un meneur, mais il était toujours avec nous.
Et puis un jour, en quelques mots, il nous a dit qu'il voulait arrêter, aller là-bas... à Paris. C'était flou dans nos têtes mais pas dans la sienne. Il était si malheureux en classe. Il
s'ennuyait tellement.
Patrick a disparu du lycée du jour au lendemain. Tandis que nous passions le bac, il avait d'autres préoccupations. A 17 ans, il était devenu un adulte avant nous.
Des cours de chant vont lui permettre — il avait la foi chevillée au corps, savait qu'il réussirait — d'atteindre une réelle maîtrise vocale. Sa rencontre avec le bassiste Georges Décimus va
décider de son avenir. En 1982, choriste dans le groupe Kassav Patrick est de tous les concerts du groupe mythique, en Europe, en Afrique, partout dans le monde. Tout en étant l'un des leaders du
groupe, Patrick réalise ses propres créations en solo. Il est et restera longtemps LE crooneur guadeloupéen. En 1999, il se produit à l'Olympia, à guichets fermés. C'est devenu le zoukeur chéri
de la Caraïbe. Une véritable star.
Le roi du Zouk Love
L'a-t-on vu sur scène ? Il préférait composer, chanter en créole. Le français, confiait-il, ne lui permettait pas de s'exprimer avec ce feeling que nous aimons. PSE, comme on l'appele, restera
dans l'histoire de la musique comme l'un des pionniers du Zouk Love dans la Caraïbe. Son titre West Indies, dont il est auteur et interprète, est le premier gros tube de Zouk Love, sorti en 1985
sur son premier album solo, Mizik sé lanmou. L'Olympia à guichets fermés en 1999, sa collaboration avec le chanteur brésilien Gilberto Gil en 2005, le Zénith en 2007, en font un des chanteurs
français les plus connus. Une véritable icône qui va exporter loin, inlassablement, une belle image des Antilles. De retour au pays, entre deux tournées, deux scènes, PSE redevenait Patrick, se
reposait. Avant de repartir avec ses musiciens.
Et puis. Depuis 2008, la rumeur courait, saloperie de rumeur.
En 2007, il produira un best of de ses compositions dans l'album Zoukolexion. En mai 2007 pour ses 25 ans de carrière il se produit au Zénith de Paris. Le 13 août 2008, un concert-hommage sur le
site de Damencourt, au Moule, est organisé par la Région Guadeloupe avec un public estimé à près de 40 000 personnes.
Ces derniers temps, c'est un Patrick amaigri, renfermé sur lui-même que nous rencontrions parfois. Toujours heureux de revoir un camarade de classe. D'évoquer quelques souvenirs, demander des
nouvelles d'untel. Que dire quand la rumeur se fait persistante, sinon éviter un regard éloquent. Mais Patrick souriait, sans illusion sur la vérité. Son dernier live, c'était à Lakasa, en août
2009.
Vendredi, Patrick a quitté ce monde. Laissant une profonde tristesse.
A 52 ans, c'est trop tôt. Trop tôt pour un homme d'une gentillesse infinie, d'un talent fou. Trop tôt pour le roi du Zouk Love. Trop tôt pour ceux qui l'aimaient comme pour ceux qui l'admiraient.
Adieu Patrick !..
André-Jean VIDAL