J’AI VU LA GUADELOUPE
J’ai vu la Guadeloupe qui marche, la Guadeloupe en marche, une Guadeloupe qui en a assez qu’on lui marche sur les pieds. Cela m’a rappelé les grandes marches de l’histoire menées par des leaders
comme Martin Luther King et Mahatma Ghandi. J’en avais des frissons et j’étais fière !
Le LKP a un leader charismatique en la personne d’Elie Domota. Il a un talent oratoire exceptionnel. Son air désinvolte et son style simple tranchent avec le fin stratège qu’il est. Ils ont pensé
que les Guadeloupéens allaient faire des démonstrations de force comme par le passé et qu’ils pourraient ainsi les discréditer. Mais là, ils avaient à faire à un mouvement très organisé, très
documenté. Ils étaient bluffés ! Ils peuvent tenter de décapiter le LKP, mais tèt an nou rèd ! Nous connaissons ces méthodes. Dignité, Respect, Solidarité !
C’est le même espoir qu’a insufflé le « yes we can » de Barack Obama que j’ai ressenti ces dernières semaines grâce au LKP. Nous sommes Guadeloupéens, pourtant nous sommes invisibles dans
les postes d’encadrement dans les entreprises de Guadeloupe. Nous sommes sous payés. Il y a une politique tacite qui fait qu’entre deux candidats on choisit celui qui est originaire de l’Hexagone.
Qui peut trouver cela normal ? Personne.
Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Nous avons un héritage colonial lourd qui fait que nous avons cette capacité à souffrir en silence. Nous sommes dignes et fiers, mais nous sommes arrivés
à un point où ne n’en pouvions plus.
J’ai vu des patrons qui, lorsqu’il y avait pénurie de carburant, venir chercher et ramener leur salarié. J’ai vu des patrons qui ont laissé leur véhicule à leur salarié pour leur permettre de venir
travailler. J’ai vu la gendarmerie venir chercher des salariés (Agent de sureté aéroportuaire) à leur domicile pour les inviter à rejoindre leur lieu de travail. J’ai vu des hommes de fer (des
battants), des femmes d’acier (des guerrières), des hommes de paille (ballotés), des hommes et des femmes en bois (durs et secs). J’ai vu des SMS plus ou moins rigolos circuler. Le mouvement a
suscité l’imagination et les passions.
J’ai vu parmi les jeunes des jeunes désoeuvrés. Ils survivent seuls ou dans leur famille. Ils ne sont pas sûrs du lendemain. Ils soutiennent la lutte de conscience du LKP mais pour eux, le mot
lutte est à prendre au sens propre du terme. Eh oui, j’ai vu ça aussi. J’ai vu des magasins pillés, incendiés. J’ai vu des familles en pleurs, angoissée pour leurs enfants accidentés ou en deuil
pour leurs enfants disparus. Oui, j’ai vu ça aussi. J’ai vu une économie ralentir, s’immobiliser. Eh oui, j’ai vu ça aussi. J’ai vu que la pwofitasyon est une opportuniste. En effet, je fréquente
régulièrement les lolos de mon quartier et j’ai noté que les prix avaient augmenté de 50 cts à 1€. Eh oui, j’ai vu ça aussi.
J’ai vu que la Guadeloupe a trouvé un hymne local : la Gwadloup sé tan nou, la Gwadloup sé pa ta yo… Qui eût cru que le « yo » aurait été l’objet d’un tel tollé ? Le
« yo » ne m’a jamais choqué et ceux qui ont voulu racialiser le conflit en clamant que le yo s’appliquait aux Blancs (mousach o solèy ?), ce sont ceux- là même qui participent à
diviser la Guadeloupe. Ce sont ceux-là même qui sédimentent le pays en faisant des lots comme la ménagère fait pour laver son linge sale. Car le yo, je vous le dis, s’applique à tous les profiteurs
quelque soit leur couleur de peau. A toute cette minorité qui aime la Guadeloupe et qui la purge comme un citron pour en extraire le jus. Et ce jus, ils veulent se le garder pour le boire entre
eux. Pourtant, j’ai des amis Blancs qui viennent de l’Hexagone ou même de Croatie et ils ne se sentent pas visés. Car eux ont voulu devenir les enfants adoptifs de la Guadeloupe en s’intégrant à la
population et en ne vivant pas en cercle fermé. Eux n’ont pas voulu être les mamans et les papas de la Guadeloupe. Cessez de parler de racisme, c’est la réalité. Eh bien, le LKP dit non. Nous
sommes la force vive du pays et il n’est pas question que nous soyons écartés de sa richesse. Dignité, Respect, Solidarité !
J’ai vu, bien avant la grève, des jeunes Guadeloupéens diplômés à Bac ++++ comme moi s’entêter à vouloir rester au pays pour travailler. Et quel travail ? Des postes discrets dans lesquels les
employeurs tentent de payer le moins que possible. Des postes où les personnes qui vous encadrent, arrivés bien souvent de l’Hexagone, s’évertuent à vous infantiliser et à vous faire courber
l’échine. On connaît l’adage qui dit que l’élève dépasse le maître dans l’enseignement ; et généralement le maître en est fier. Cependant, dans la vie pratique, il est hors de question que le
sous-fifre, aussi talentueux puisse t’il être, dépasse le maître ou du moins l’égalise. Ces maîtres là ont la peau dure. Mais nous sommes la Guadeloupe. Nous ne courberons plus l’échine, nous avons
mal au dos. Dignité, Respect, Solidarité !
J’ai vu… Non, je n’ai pas vu les Guadeloupéens vivant en Hexagone et ailleurs (nos chères personnalités). Je ne les ai pas vus et je ne les ai pas entendus. Ou peut-être ont t’ils murmuré leur
soutien. Ou peut-être sont-ils bien loin physiquement et mentalement de la réalité guadeloupéenne. Asiré pa pétèt qu’ils sont à l’abri du besoin, peut-être le sont-ils aussi de la lutte pour la
dignité et le respect. Peut-être ont-ils trouvé leur place dans ce monde (c’est tout le bien que je leur souhaite). Peut-être ne sont-ce que des chimères ou même des caprices comme l’ont laissé
entendre ceux qui n’ont rien compris. Dignité, Respect, Solidarité !
Car j’ai vu aussi des gens, venus en vacances, nous expliquer que « la France était un pays très généreux en terme de politique sociale et qu’il ne fallait pas cracher dans la soupe ».
Comme l’a dit Elie Domota, que ceux qui critiquent les grévistes échangent leur emploi avec eux. S’ils estiment que revendiquer des droits revient à « cracher dans la soupe », qu’ils
laissent leur situation de privilégiés pour prendre celle d’un gréviste. Des volontaires ?
J’ai vu que le monde entier a entendu notre cri. La presse nationale s’est déplacée et beaucoup d’articles ont été consacrés à la grève générale en Guadeloupe. Cependant, je déplore que certains
aient donné une image bien réductrice de la mobilisation en mettant l’accent sur l’augmentation des plus bas revenus de 200 € et sur la baisse des prix. Si cela n’était qu’une question d’argent, la
mobilisation aurait-elle duré si longtemps ? Aurait-elle brassé une population si diverse (hommes, femmes, jeunes, travailleurs, chômeurs, intellectuels, artistes, et obtenu le soutien de
personnes aussi bien démunies que hors du besoin, aussi bien des Noirs, que des Indiens ou des Blancs).
Un grand woulo bravo à MM Domota, Nomertin, Tacita, Lollia, Clavier, Plaisir, Numa, Beauchamps, Flémin, Alidor, Madassamy (Elie avait le prénom et Mada avait la barbe) et tous les autres membres du
Lyannaj Kont Pwofitasyon, aux gardes du corps de M. Domota, à la sécurité LKP, aux associations culturelles ( Akiyo, Voukoum…), à la foule qui suivait sur place les négociations et celle qui
allaient le soir devant le Palais de Mutualité, à la population qui marchait, aux femmes, aux tambouyers qui battaient, aux chanteurs qui s’égosillaient, aux personnalités : artistes (Admiral
T, Dominik Coco) qui ont eu le courage d’associer leur image au mouvement, à tous ceux qui n’avaient pas peur de brandir un ruban rouge (je n’ai pas de voiture mais j’en ai distribué autant que
j’ai pu), à la presse locale (écrite, radio, télé) qui a parlé d’une même voix, l’essentiel étant d’informer coûte que coûte, dans la salle des négociations, dans la rue, sur les barrages, dans les
fusillades à toute heure du jour et de la nuit, à l’Eglise qui s’est impliquée aux côtés de la population et du LKP légitimant l’expression de la souffrance humaine en lançant des messages d’espoir
et de paix et aux politiques des plus timides aux plus fervents. MM Lurel et Gillot que l’on a même surnommés Laurel et Hardy, ont commencé par croire qu’on leur jetait la pierre. Lorsqu’ils ont
compris que les revendications dépassaient le conflit de personnes, ils se sont réveillés.
Dans mes vœux pour l’année 2009, j’ai souhaité on lanné nèf pou démilnèf. Que l’on s’attache à de vraies valeurs comme nous avons su le faire ces dernières semaines : s’écouter, se respecter,
marcher ensemble, lutter contre la division. La division fut l’arme suprême que les colonisateurs mirent en place dès le début de la traite négrière. En effet, la stratégie consistait à acheter des
esclaves de tribus différentes. Souvent ennemis, ils ne parlaient pas le même dialecte, donc ne pouvaient pas communiquer et donc s’associer. Pire, cette stratégie consistait aussi à séparer les
familles, le père en Trinidad, la mère à Cuba, les enfants en Guadeloupe. Lorsque l’on vous a si bien démantibilé, vous êtes vidés comme les poissons à qui on enlève les entrailles et que les
colonialistes assaisonnaient à leur gré. Le terme anglais est seasoning pour exprimer le processus de déshumanisation de l’Africain pour le rendre un « bon » esclave dans le bassin
caribéen, c’est-à-dire, sans racine et sans dignité, donc malléable.
Coïncidence de la signature de fin de conflit avec l’entrée en carême. Poussé dans le désert, Jésus va marcher durant 40 jours, sujet aux tentations du diable. Après 44 jours de marche, de lutte,
nous avons souffert. L’économie de la Guadeloupe a souffert. Pleine d’espoir, la Guadeloupe reprend le travail, reconstruit. C’est une réalité difficile que nous retrouvons au bout de la grève,
mais comme l’a dit Jésus, « n’ayez pas peur ». Et durant le carême, et tous les jours qui suivront, nous réapprendrons à résister aux tentations du caddie. Yes we can ! Nou pé, é nou
ké fèy !
Les profiteurs et tous ceux qui se sentent yo car ils ne se sentent pas nou, doivent se préparer au changement car désormais nous aurons l’œil, nous sommes véyatifs. Aujourd’hui, grâce aux
revendications immédiates obtenues par le LKP, une certaine justice est rétablie. La lutte commence. DIGNITE, RESPECT, SOLIDARITE !
Marie-Céline NESTOR