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29 décembre 2009 2 29 /12 /décembre /2009 23:21
TRIBUNE LIBRE
QUE VOULONS-NOUS ?

Par Michel EYNAUD

A l’approche d’échéances électorales majeures, on a du mal à comprendre les manœuvres qui agitent les cohortes de candidats potentiels. Les grandes paroles fusent, mais derrière les belles affiches, les couteaux sont sortis. C’est un spectacle qui en délecte certains et en dégoûte beaucoup. Au lieu de le subir, et si nous exprimions nos attentes ?


Il y a un an la Guadeloupe était le théâtre d’un mouvement social sans précédent. Il faudra encore du temps pour en percevoir toutes les conséquences, et surtout pour en solutionner toutes les causes. Car les discriminations continuent : le RSA ne s’applique toujours pas dans les outre mers, là où on en a le plus besoin ; les prix des carburants sont toujours opaques et l’Etat ne décide rien d’autre que de créer des commissions ; beaucoup de prix n’ont pas baissé, et ceux qui ont été bloqués vont bientôt être libérés ; la montagne des Etats Généraux a accouché d’une souris ; le plan santé outremer est dérisoire ; etc, etc.

Le gouvernement libéral qui conduit la France ne rêve que d’une chose : faire des économies en réduisant les services publics afin de ne pas augmenter les impôts des plus riches. Il est aussi d’accord pour « larguer » les outremers qui le souhaiteraient. Il vient de le faire pour les Iles du nord, et Saint-Martin sait maintenant ce que cela veut  dire : c’est la cessation de paiement et la ruine. Une partie des élus de la Martinique sont prêts à tenter l’aventure, et l’on verra bien le 10 janvier si le peuple est prêt à en assumer les risques et les conséquences. Ce n’est pas ce que prévoient les sondages, qui annoncent une victoire d’un « non » prudent.

Les fausses alternatives statutaires

En Guadeloupe les élections régionales sont l’occasion de nouveaux déchirements entre « amis » d’hier. A entendre certains, on devrait se faire la guerre à propos du cadre constitutionnel le plus propice à l’évolution de la Guadeloupe. Personne ne prône le statu quo, c’est déjà pas mal ! Au fond, il y aurait les partisans d’un « article 73 renforcé » contre les adeptes d’un « article 74 »… 

Le problème c’est que pas grand monde sait vraiment ce qu’ils mettent réellement derrière cette « guerre des numéros », et qu’on peut craindre qu’il s’agisse surtout de revanchards cherchant avant tout  à « régler le compte » de Lurel et de son allié fidèle Gillot.

Car ils nous mentent ceux qui présentent le 73 comme l’impasse où nous enfermeraient la faiblesse et l’immobilisme. Cet article de la Constitution a été rénové en 2003 et en 2008, et il permet en fait des habilitations dans de nombreux domaines. Il offre donc la possibilité d’importantes responsabilités, et son potentiel est loin d’avoir été exploité. Le tout, c’est que les acteurs expriment un fort consensus pour réclamer ces responsabilités, et que le gouvernement accepte de les accorder dans le cadre d’une loi organique.

 Ils nous mentent aussi ceux qui présentent l’article 74 comme la voie assurée de l’autonomie: les collectivités qui en relèvent peuvent avoir des statuts extrêmement divers, et n’être pas très différentes d’un département ou très proches de l’indépendance. Se réclamer du 74 c’est brasser du vent, si on n’annonce pas clairement le contenu de ce statut… tout en sachant que ce contenu pourra varier au fil du temps.

Demandez le programme !

Pour l’instant, dans la cacophonie des chefs de clans en mal de reconnaissance, on n’entend pas vraiment l’expression d’un contenu de programme. On constate surtout une mobilisation de type politique de l’auto-stop : on se plante que le trottoir de sa commune, et on essaie de monter dans une voiture de passage, notamment celle du mouvement social qu’on espère récupérer et instrumentaliser. Ou bien on essaie de héler un chauffeur connu en mal de compagnie, si possible un élu ou un ex-élu supposé détenteur d’un bon « réservoir de voix ».

Il ne faut cependant pas généraliser  ce jeu politicien trop bien connu, et qui n’entraîne que l’adhésion temporaire de clientèles dépendantes des chefs de clans ou d’alliés de circonstances. Alain Plaisir et le Comité d’Initiative pour un Projet Alternatif proposent un nouveau pacte guadeloupéen fondé sur des valeurs et des principes explicites, notamment un besoin de responsabilisation, de construction et d’apaisement, qu’ils souhaitent proposer par  devoir de transparence et par  exigence démocratique. Ils appellent donc, outre à la responsabilisation politique, à une nouvelle gouvernance économique, à l’internationalisme, le féminisme, l’écologie… et à un article 74 avec une large autonomie. Au moins c’est clair. C’est clair aussi du côté de la Fédération du Parti Socialiste, dont le secrétaire Jules Otto s’exprimait récemment dans nos colonnes pour prôner aussi un nouveau contrat social fondé sur des valeurs fortes et un programme privilégiant une politique en faveur de la jeunesse et de l’insertion, une politique conciliant croissance économique, progrès social, aménagement du territoire et protection de l’environnement, dans une Guadeloupe apaisée, forte et solidaire, maîtrisant son destin, et plus ouverte sur la Caraïbe… et un article 73 renforcé.

On peut être sûr que tous les autres « bricoleront » un programme pour la campagne électorale, dès que les compromis auront été négociés entre chefs de clan, et en attendant que les divisions réapparaissent autour de l’épreuve de la réalité des faits.  Mais les citoyens ne devraient pas se contenter d’attendre ces nouvelles promesses dégoulinantes de démagogie, et plutôt s’exprimer sur ce qu’ils veulent vraiment pour leur archipel, pour leur famille et pour leurs enfants.

Que voulons-nous ?

Avant de décider ce que nous voulons, l’affirmer, le programmer et le réaliser, nous devons commencer par nous interroger. Rien n’est pire que les prophètes qui viennent amener des solutions magiques et définitives à des questions qu’on ne s’est même pas posées. En général ça sent le populisme ou le sectaire… Alors interrogeons-nous.

Voulons-nous plus de responsabilité, et donc nous donner les moyens de l’exercer ? C’est-à-dire sommes-nous prêts à contribuer à une fiscalité qui finance tous nos projets et nos solidarités ?
Voulons-nous plus de justice exercée par un Etat plus impartial ou bien faisons-nous confiance aux faveurs promises par nos chefs de clans ? Voulons-nous plus d’égalité des droits, ou croyons-nous que nos « filons » et nos « débrouya pa péché » nous permettrons toujours de nous en sortir ?

Voulons-nous plus de sécurité dans nos vies : dans nos rues, dans notre environnement, dans notre santé, dans notre démocratie et nos institutions ? Ou bien sommes-nous tentés par l’aventure et le risque, l’improvisation, la soumission à des « sauveurs » messianiques ?

Voulons-nous une solidarité forte, une protection sociale universelle, le RSA et le RSA jeunes, la CMU, ou bien sommes-nous prêts à nous contenter des revenus aléatoires issus d’emplois précaires, de la redistribution par la charité ou par la délinquance utilitaire, par l’embrigadement dans des milices ou des sectes ?

Voulons-nous une Guadeloupe propre, écologique, maîtrisant son développement durable et assurant une production endogène viable ? Ou bien allons-nous nous asphyxier sous les déchets de notre consommation effrénée, réclamant toujours plus de transferts sociaux et de dépendances toujours moins bien supportées ?

Voulons-nous des élus incarnant des valeurs de fidélité et d’engagement ou bien des beaux-parleurs opportunistes, des retourneurs de veste, des frustrés et des revanchards ? Cautionnons-nous les dynasties confisquant le pouvoir au fil des générations, de mère en fille du côté de Basse-Terre, de père en fils vers les Abymes, ou bien parions-nous sur le renouvellement de la classe politique, le non-cumul des mandats, une citoyenneté mieux partagée ? Voulons-nous des projets ou des promesses ?

Voulons-nous une Guadeloupe « arc-en-ciel » mêlant en son sein tous ceux qui veulent contribuer à son développement, ou bien allons-nous alimenter le cycle sans fin de la discrimination des uns par les autres, des autres par les uns ? Sommes-nous prêts à assumer notre diversité, ou bien remplacerons-nous un racisme par un autre ?

Bien d’autres questions pourraient être posées, pour questionner aussi bien l’inconnu que l’évidence. Et nombreux sont les sujets pour lesquels poser la question peut orienter fortement la réponse !

Pour un nouvel humanisme

Si la Guadeloupe a besoin de solutions concrètes à ses problèmes concrets, elle a aussi besoin de plus de sens partagé, de plus de valeurs appropriées. « Pacte guadeloupéen » ou « nouveau contrat social », nous avons à affirmer une identité qui s’affranchisse des aliénations du passé et des compromissions du présent.

Alors n’hésitons pas à affirmer quelques repères. Quelles que soient nos différences, nous appartenons tous à la même espèce, et notre condition humaine est donc un facteur universel. C’est cette base qui nous confère notre égalité de droits et nous protège de tous les risques de discrimination, de stigmatisation, d’exclusion. C’est ce principe qui garantit la possibilité de tisser un lien social solide. Or la sociabilité est un autre principe qu’il nous faut assumer : nous sommes dépendants les uns des autres pour nous nourrir, nous reproduire, échanger, parler. Nous n’existons que parce que nous sommes en relation avec des autres que nous reconnaissons et qui nous reconnaissent comme à la fois semblables et différents, universels et uniques. Mais malgré cette dépendance réciproque, nous demeurons relativement libres, c’est-à-dire toujours capables, en fonction de notre histoire, de notre identité, de nos rencontres, de réaliser des choix.

Quelles que soient nos questions, nous ne devrions donc pas avoir de doutes sur les piliers qui doivent soutenir notre société : la reconnaissance d’une dignité égale à tous, la préférence pour l’acte librement servi sur celui accompli par la contrainte. Et faire évoluer notre société en sachant concilier l’exigence de responsabilité avec celle de sécurité.  Le voulons-nous ?
Ka nou vlé ?
Progrès Social daté du 226/12/2009, p PAGE 1



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