TRIBUNE LIBRE
QUE FAUT-IL PENSER DE LA CASTRATION CHIMIQUE ?
Par Michel EYNAUD
Les statistiques de la justice montrent que la Guadeloupe connaît un très fort taux de violences, et notamment de violences sexuelles. Alors qu’à l’occasion d’un fait divers dramatique, le
Président de la république a lancé une polémique nationale sur la castration chimique des délinquants récidivistes, chez nous on ne semble pas pressé de prendre des mesures efficaces. Que faut-il
en penser ?
Selon les statistiques de la violence pour 2008, publiées par l’Observatoire National de la délinquance en avril dernier, la Guadeloupe se classe en 4° position (juste derrière la Guyane) dans le
hit-parade national de l’insécurité. Pour les violences sexuelles, entre viols, harcèlement et autres atteintes sexuelles, notre région se place en 5° position : plus de 240 affaires connues
en 2008… plus toutes les autres encore recouvertes par le voile du silence complice et de la honte mortifère. Nous avons un sérieux problème dans les rapports hommes-femmes, où le passage à l’acte
remplace trop souvent le contrôle des pulsions. La lutte contre la violence sexuelle devrait être une grande cause, mais on n’en parle pas beaucoup en dehors de la chronique périodique des cours
d’assises…
De l’utilisation politique d’un drame
La Guadeloupe paraît donc bien loin de ce territoire national, où le terrible meurtre d’une femme faisant du jogging près de la forêt de Fontainebleau a mobilisé le Président de la République et
quasiment tous les médias. Ce viol suivi de meurtre a été perpétré par un homme en libération conditionnelle depuis 2007 à l’issue d’une peine de 11 ans de prison pour le viol d’une adolescente en
2000. Il a soulevé une grande émotion, celle de l’insupportable de la récidive et c’est bien compréhensible : toute victime, famille de victime voire tout parent ne peut que réagir avec
émotion à de tels drames.
Ce qui est plus étonnant c’est la réaction des pouvoirs publics, qui se sont de nouveau lancé dans des propositions présentées comme radicales, notamment « la castration chimique », que
bien des professionnels n’analysent que comme de nouvelles illusions. Une fois de plus la politique du pire est appliquée à l’occasion d’un fait divers monté en épingle, et permet d’éviter les
analyses et les solutions de fond. Une fois de plus, à partir d’une situation critique et spécifique, on décontextualise, on généralise et on stigmatise…
Il est évident qu’il faut prendre en compte la souffrance des victimes. C’est une impérieuse, immédiate et absolue nécessité ! Mais cela n’autorise pas à la justice expéditive vis-à-vis des
auteurs de violences, même médicalisée sous la forme d’une « castration chimique »… Les réactions impulsives de l’appareil d’état ne sont pas dignes de la complexité des problèmes
posés.
Délinquants ou malades ?
Face à la simplification démagogique et à l’escalade des lois sans effets, il est de notre devoir de rappeler et préciser quelques faits. Le premier est que tout délinquant sexuel n’est pas
forcément un malade. Il est anormal de transgresser la loi et de passer à l’acte, mais toute transgression n’est pas obligatoirement l’expression d’une maladie. Parmi la masse des délinquants
sexuels il en existe d’effectivement malades, et alors ils peuvent relever de traitements variés dont chacun a des indications variables, à appliquer de façon personnalisée si on veut qu’ils
soient efficaces. Quand un traitement est nécessaire pour un délinquant sexuel malade, il ne peut être que médicalement décidé, puis appliqué, évalué, modifié, arrêté ou poursuivi.
S’intéresser particulièrement aux délinquants récidivistes est pertinent, car ils non seulement ils constituent un danger potentiel, mais ils nous interrogent aussi sur les échecs et les limites
des solutions appliquées, à perfectionner. Mais la récidive des agressions sexuelles est très faible : 1 à 2 % seulement des agresseurs récidivent. C’est déjà trop… mais cela est loin de
constituer un risque fréquent. La réalité, c’est seulement que l’immense majorité des agressions sont des premiers épisodes, qu’il est donc très difficile d’anticiper et de prévenir. Si on devait
viser un risque « zéro » il faudrait donner des médicaments à toute la population sexuellement active, et même là on ne serait sûr de rien, car aucun traitement n’est efficace à 100%. La
médecine est incapable de supprimer cette part d’incertitude.
Quel traitement ?
En ce qui concerne la « castration chimique » proprement dite, elle consiste en fait à donner des médicaments de type « anti-androgènes ». Ils font baisser le taux d’hormone
masculine (la testostérone), et diminuent ainsi la libido ainsi que la production de spermatozoïdes. Ils rendent donc impuissants, et par la même occasion ont tendance à faire gonfler les seins (et
même parfois les faire couler), sans oublier quelques troubles hépatiques et des syndromes dépressifs. Bref ils ont pas mal d’effets plus ou moins faciles à tolérer…En fait ils ne représentent
qu’une possibilité de traitement parmi d’autres, et ne peuvent concerner qu’une faible proportion de malades. S’il peut être utile, il ne peut être systématique ni être étendu abusivement
Si peu d’auteurs de violences sexuelles présentent des troubles pouvant relever de ces soins, il faut donc les employer à bon escient. Comme pour tout traitement, qu’il soit à base de médicaments
ou de psychothérapies, il faut une démarche rigoureuse adaptée à l’individu. Une démarche où les critères médicaux doivent s’imposer. Cela commence par un diagnostic, cela se poursuit par une
réflexion sur les indications et les contre-indications des traitements possibles. Ensuite, il faut informer le patient et obtenir son consentement, et cette étape conditionne une bonne part des
possibilités de réussite du traitement, de son suivi et de sa continuité. Enfin, il faudra adapter le traitement à l’évolution du patient, de sa situation, des effets positifs ou négatifs des
médicaments.
Quels moyens réels ?
S’occuper des individus, victimes ou auteurs de violences sexuelles, est donc la base de toute approche de ce problème à la fois de société et de santé. Mais cela ne suffit pas. Les traitements
étant encore souvent insuffisants ou mal employés, il faut envisager aussi une approche plus large. La prévention de la récidive exige particulièrement un abord global, où les évaluations doivent
tenir compte à la fois du soin, de l’éducatif et du pénal. Tout un arsenal de lois le permet déjà en théorie, alors que ce sont les moyens de les appliquer qui manquent.
Il en est de même pour l’application des traitements. C’est notamment la loi du 17 juin 1998 « relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection
des mineurs » qui a instauré le suivi socio-judiciare avec injonction de soins, et qui prévoit la participation coordonnée de différents professionnels : Juge d’application des peines,
service pénitentiaire d’insertion et de probation, médecin coordonnateur, réseau de médecins et de psychologues traitants. Mais quelque soient tous les moyens déployés, il est impossible d’en
prédire les résultats. Et il faut bien avouer que les moyens actuellement déployés sont notoirement insuffisants : ils ne sont ni à la mesure de la fréquence de ces violences, ni à celle des
réactions d’émotion politique étalées à la une des médias !
Au plan national, beaucoup d’équipes attendent encore les études scientifiques et épidémiologiques rigoureuses qui permettraient de mieux cerner le phénomène, au-delà des a priori et des
idéologies. Mais les chercheurs ne sont pas les seuls à être démunis. Les équipes de cliniciens attendent aussi les personnels nécessaires à la prise en charge des ces cas socialement si décriés,
ainsi que des évaluation sérieuses des mesures réellement mises en place depuis 1998. A quoi sert d’annoncer une nouvelle législation, quand on n’a pas pris la peine d’appliquer la
précédente ? Le plus urgent serait donc de mettre en place des centres de recherche et de soins, permettant de faire évoluer les savoirs, de structurer des repères scientifiques, et de
produire des outils partageables. C’est là encore, d’ailleurs, ce que la loi avait prévu…
La Guadeloupe en attente
Chaque région aurait dû se voir doter d’un Centre de Ressources pour la prise en charge des auteurs de violences sexuelles (CRAVS). Partout dans l’hexagone, et même en Guadeloupe. Il s’agissait
d’un plan national et des enveloppes budgétaires avaient été prévues pour cela. Bien que ce soit une priorité nationale autant que régionale, la Guadeloupe attend pourtant toujours le sien !
On peut se demander où se sont égarés les crédits prévus, entre l’Agence Régionale de l’Hospitalisation qui les a reçus, et le Centre Hospitalier de Montéran qui aurait dû créer cette structure du
côté de Baie-Mahault. Les CRAVS sont théoriquement chargés d’aider à la formation des professionnels devant prendre en charge les auteurs de violence sexuelle, de mener un travail de
sensibilisation et d’information en partenariat avec d’autres professionnels pour prévenir les premières violences sexuelles, plus fréquentes que les récidives. La Guadeloupe en aurait bien
besoin !
Combien faudra-t-il de drames pour que les projets deviennent réalité ? Ou bien sommes-nous tellement blasés qu’au fil des faits divers et des annonces, rien ne changera vraiment une fois
l’émotion dissipée ? Plutôt que de brasser des illusions, et de rêver de nouvelles molécules qui « castreraient » tous les violeurs, ce qui est irréalisable, il vaudrait mieux rendre
opérationnel les dispositifs prévus, les faire fonctionner avec des moyens suffisants et évaluer ensuite leurs résultats concrets. Et d’ailleurs, plutôt que de « castrer », ce qui n’est
guère attractif, même pour un malade délinquant récidiviste, on ferait mieux de se donner les moyens de traitements diversifiés, facilement accessibles.
Dans le domaine de la prise en charge des auteurs comme des victimes de violences sexuelles, la Guadeloupe est bien en retard alors qu’elle devrait être à la pointe. Pourquoi ? Pourquoi est-il
si difficile de mettre en place des actions réfléchies, réalisables, coordonnées, évaluées ? Ce n’est pas parce que le Président de la République donne le mauvais exemple en s’agitant à
l’occasion de faits divers dramatiques, que nous devons faillir à notre responsabilité. Nous avons un devoir envers les victimes meurtries qui se multiplient autour de nous, comme envers les
malades que la science pourrait aider, et qui sont privés de cette chance. Nous ne devrions pas nous satisfaire de la démagogie de l’état, de la pénurie des moyens, et des paralysies
bureaucratiques quand le prix à payer est fait de larmes et de sang, de souffrances indicibles et de vies à jamais déchirées.
Pour en savoir plus :
Voir le site de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agression Sexuelle (ARTAAS) : HYPERLINK "http://www.artaas.org" www.artaas.org
Contacter la Société Caribéenne de Psychiatrie et de Psychologie Légales (SOCAPSYLEG) : HYPERLINK "mailto:socapsyleg@orange.fr" socapsyleg@orange.fr
Le suivi socio-judiciaire
(source : plaquette : Socapsyleg/IS/2009/v3)
La juridiction de jugement peut ordonner un suivi socio-judiciaire qui est une mesure assez large obligeant un condamné pour certains types d’infractions à se soumettre, sous le contrôle du juge de
l’application des peines, pendant une durée fixée au moment de la condamnation, à des « mesures de surveillance et d’assistance ».
Le suivi socio-judiciaire ne s’exerce qu’en milieu libre et ne s’applique pas en prison. Il s’agit à la fois d’un contrôle (surveillance) et d’une aide (assistance). Ces mesures ne sont pas
uniquement répressives. La durée du suivi dépend de la nature de l’infraction (délit ou crime) et peut être sans limite en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité.
La durée maximum d’emprisonnement prévue lors du jugement est prononcée si le condamné ne remplit pas les obligations qui lui sont signifiées. Les nombreuses mesures que comporte le suivi
socio-judiciaire sont prévues par le Code pénal. Elles vont de l’interdiction à paraître en certains lieux, d’exercer certaines professions jusqu’à l’injonction de soins.
Michel EYNAUD
Progrès Social daté du 31/10/2009, p PAGE 3