NOTE
Le dispositif fiscal du rhum des DOM est menacé depuis le 1er janvier 2012
Le but de cette note est de démontrer qu’il existe une solution, et selon nous une seule, pour répondre aux contraintes communautaires en matière d’aide d’Etat tout en préservant la compétitivité
de la filière canne-rhum.
Le rhum traditionnel des DOM bénéficie depuis l’après guerre d’un dispositif fiscal spécifique en France. Depuis la création du marché unique, ce dispositif est autorisé par Bruxelles. Le Conseil
des ministres de l’UE a en effet autorisé la France à appliquer un taux réduit au maximum égal à 50 % du taux plein appliqué aux alcools dans la limite d’un contingent. Dans sa dernière décision
relative au rhum traditionnel des DOM (27 Juin 2007), la Commission, au titre de sa compétence en matière d’aide d’Etat, a autorisé parallèlement la France à appliquer un différentiel de taxation
de 42,41 % jusqu’au 31 décembre 2013. Par conséquent, la France devra renégocier ce dispositif pour l’après 2013 dès l’année prochaine.
En novembre 2011 une augmentation des accises sur les alcools, à l’exception du vin, de la bière et du rhum des DOM, a été décidée en France dans la loi de financement pour la
Sécurité Sociale (LFSS). Cette décision a entraîné mécaniquement une augmentation du différentiel fiscal déjà existant entre les alcools et le rhum traditionnel des DOM.
Cette augmentation du différentiel constitue du point de vue communautaire une nouvelle aide d’Etat qui doit par conséquent être notifiée à la Commission. Pour ne pas notifier il faudrait
augmenter proportionnellement le taux d’accises sur les rhums des DOM pour maintenir ce différentiel.
Simultanément, la LFSS a réformé la fiscalité de la vignette sécurité sociale qui n’est plus calculée sur la base du volume liquide mais sur la même base que l’accise, celle du volume en alcool
pur. Le rhum des DOM étant historiquement vendu à des titrages plus élevés et dans des formats plus grands que les rhums concurrents conformes aux standards internationaux du marché, la vignette
sécurité sociale a dû être plafonnée pour le rhum des DOM afin de ne pas réduire sa compétitivité par rapport aux autres spiritueux.
Ce plafond a introduit un nouveau différentiel fiscal en faveur du rhum des DOM et les autres alcools, différentiel qui constitue sur le plan communautaire une nouvelle aide d’Etat rendant
également nécessaire une notification.
Aucune notification de régime d’aides n’ayant à ce jour été effectuée par la France, celle-ci se trouve en infraction depuis le 1er janvier 2012 avec les règles communautaires en
matière d’aides d’Etat.
Il convient de préciser que le plafonnement de la vignette de Sécurité Sociale, générateur d’un différentiel additionnel, a eu pour objectif de compenser, mais pas totalement, un autre
différentiel en sens inverse, généré par la LFSS, au détriment du rhum des DOM.
Il n’y a là, à l’évidence, pas d’avantage supplémentaire pour les rhums des DOM, mais bien au contraire compensation seulement partielle d’une pénalisation générée par la loi elle-même.
En effet, les rhums concurrents des rhums traditionnels des DOM, provenant pour la majeure partie des pays tiers, sont vendus dans des bouteilles de 70 cl à 37,5° d’alcool alors que les rhums
traditionnels des DOM sont vendus dans des formats d’un litre à 40°, 50°, 55°, 59° (rhum Père Labat de Marie-Galante) et même à 70° (rhum AOC de la Martinique de la marque NEISSON).
La comparaison des coûts de cette vignette sécurité sociale en fonction des bouteilles proposées à la vente en application de la LFSS depuis le 1er janvier 2012 est explicite :
Calcul du coût de la Vignette SS par bouteille
Format bouteille
|
Taxe VSS en vigueur 1er 01 2012
|
Coût de la VSS par bouteille
|
70 cl à 37,5 °
|
533 € / HAP
|
0,375/(1/0,7) x 5,33 = 1,40€
|
1 l à 40°
|
348,85 € /HAP
|
1 X 0,4 X 3,4885 = 1,40 €
|
1 l à 50 °
|
348,85 €/HAP
|
1 X 0,5 X 3,4885 = 1,74 €
|
1 l à 55 °
|
348,85 HAP
|
1 X 0,55 X 3,4885 = 1,92 €
|
Le plafonnement de la vignette SS à 40 % du taux réduit pour le rhum des DOM permet par conséquent de rétablir l’équité fiscale pour les rhums vendus à 40 °, mais ce plafonnement ne compense pas
totalement l’écart défavorable subsistant pour les rhums traditionnels des DOM, tout particulièrement pour les rhums traditionnels à plus de 40 ° qui représentent l’essentiel de la production des
entreprises les plus fragiles du secteur.
Par rapport à la situation de novembre 2011, l’Etat a donc effectivement augmenté le différentiel d’accises et créé un différentiel de vignette entre rhums des DOM et autres spiritueux, la base
de calcul étant la même pour les deux dispositifs : le titrage en alcool.
Il en résulte que l’évolution des positions concurrentielles, si l’on veut préserver la position des rhums des DOM, ne peut plus être appréciée sur la base du seul différentiel d’accises, mais
sur la base de la combinaison des deux différentiels.
C’est la raison pour laquelle il faut se fixer l’objectif de maintenir le différentiel de 42,41% à partir des deux dispositifs générant des différentiels assis sur la même base de calcul, et plus
seulement des seules accises.
L’effet cumulé des deux nouveaux différentiels résultant de la LF 2012 pour la SS a fait passer le différentiel fiscal de 42,41% appliqué aux seules accises à 44,3 % sur la base fiscale cumulée
(accises et VSS).
Fiscalité du rhum
|
Accises
|
VSS
|
Total
|
Différentiel
|
Taux plein
|
1660,00
|
533,00
|
2 193,00
|
|
Taux réduit
|
872,00
|
348,85
|
1 220,85
|
44,32 %
|
La France doit donc se positionner d’urgence vis-à-vis de la Commission afin que les deux modifications apportées dans la LFSS, et qui nécessitent des
réajustements de taux pour les rhums, n’affectent pas le différentiel fiscal actuel en points de pourcentage en faveur du rhum des DOM.
Cette question fera l’objet d’un arbitrage imminent de Matignon. La loi de finance rectificative annoncée par le Président de la République et qui doit être adoptée en Conseil des ministres le 8
février prochain constitue une opportunité pour corriger le dispositif fiscal applicable aux rhums des DOM.
Une solution à proscrire de manière radicale serait le déplafonnement, soutenu par Bercy, de la vignette de sécurité sociale (533 euros pour tous les spiritueux y compris les rhums des DOM) et
une augmentation plus forte des accises (956 € soit 42,41 % des seules accises), option qui conduirait à la fois à pénaliser les rhums à fort titrage (rhums des DOM pour lesquels la répercussion
de la vignette sur la bouteille serait substantiellement plus élevée), et à réduire le différentiel global de 42,41% à 33%.
Cette option qui implique une réduction du différentiel de la fiscalité aurait pour conséquence de faire perdre leurs parts de marchés aux rhums des DOM, les premiers touchés étant les rhums à
fort titrages, et de provoquer la disparition de la filière.
Ceci serait en totale contradiction avec les engagements du Gouvernement vis-à-vis de la filière.
***
Proposition de l’INTERPROSSION
Il existe une en effet une solution qui permet de respecter le plafond de 42,41 % de différentiel tout en préservant pour l’essentiel la compétitivité du
rhum traditionnel des DOM.
Afin que la demande qu’adressera la France à la Commission, demande qui doit être précisée dans les prochains jours par arbitrage interministériel, ne place pas les rhums des DOM en position
moins favorable, le CIRT DOM tient à préciser sa position qui est la seule selon ses membres à préserver la compensation actuelle de l’écart de compétitivité entre rhums des DOM et autres
spiritueux.
Cette position est la suivante :
En €/HAP
|
Taux plein
|
Taux réduit applicable au rhum des DOM
|
Différentiel
en %
|
Accises
|
1660,0
|
903,0
|
|
Vignette SS
|
533,0
|
361,2
|
plafond de 40 % du TR
|
Total
|
2193,0
|
1264,2
|
42,4 %
|
Avec une fiscalité globale de 1 264 € par rapport à une fiscalité au taux plein de 2 193 €, le différentiel fiscal, et donc la compétitivité des rhums des DOM, serait maintenu c’est-à-dire qu’il
représenterait toujours 42,4 %.
Toute option qui consisterait à réduire le différentiel en point de % entre le rhum des DOM et les autres spiritueux modifierait, en contradiction avec les engagements de l’Etat vis-à-vis de la
filière, un paramètre essentiel de la viabilité de cette grande filière.
Modifier ce paramètre, qui est au centre des négociations entre Paris et Bruxelles depuis 20 ans sur la fiscalité du rhum, inciterait les investisseurs extérieurs qui se sont engagés dans cette
filière (canne, sucre et rhum) à se détourner des DOM pour aller produire (ou s’approvisionner) dans des zones plus favorables.
Ce risque est d’autant plus fort que les accords commerciaux UE / Colombie-Pérou et Amérique centrale sont en cours d’adoption par le Parlement européen. Ils prévoient une disparition totale du
tarif douanier sur 3 ans pour les rhums en bouteilles.
Si l’on ajoute que les investisseurs dans les DOM maîtrisent la commercialisation du rhum qu’ils possèdent majoritairement, il n’est pas besoin d’insister sur le risque considérable qui
résulterait pour les DOM d’une baisse du différentiel de taxation actuel.
La filière canne-rhum assure la pérennité d’une des très rares industries dans les DOM, de surcroît exportatrice. Il faut également rappeler que le rhum et la canne à sucre constituent (avec la
banane) la colonne vertébrale de l’agriculture des DOM (les rhums des DOM sont produits exclusivement à l’aide des cannes à sucres cultivées localement) : 60.000 emplois directs et indirects
pour les 4 DOM, 51,4 % de la SAU à La Réunion, 32,8 % en Guadeloupe et 15,1 % en Martinique. Il n’existe pas de production alternative.
La filière canne-sucre-rhum est le pilier indispensable pour développer la diversification agricole : les agriculteurs, qui peuvent compter sur un revenu minimal « garanti » issu
de la vente de leurs cannes à sucre en sucrerie et en distillerie, peuvent développer sur leurs parcelles des cultures vivrières destinées à la vente locale sans être pénalisés par l’étroitesse
des marchés insulaires. Ce revenu « garanti » est un support indispensable à la concrétisation de la politique de développement endogène décidé par le Président de la République.
Enfin, il convient de rappeler que les grands pays producteurs (USA, Brésil, Inde) protègent et subventionnent leur production de rhum : subvention de 3 milliards de dollars pour le rhum
produit aux Iles Vierges et à Porto Rico par Diageo et Bacardi (sans pour autant demander à ces entreprises d’utiliser exclusivement des cannes à sucre produites localement), aides à la
production d’éthanol au Brésil, protectionnisme douanier et normatif en Inde, autant d’éléments connus de la Commission qui décrédibilisent totalement les critiques portées sur le dispositif
fiscal appliqué au rhum des DOM par les mêmes sociétés multinationales qui bénéficient de ces avantages sans les contreparties imposées aux DOM.
Calcul du coût de la Vignette SS par bouteille avec le plafonnement (situation depuis le 1er 01 2012)
Format bouteille
|
Taxe VSS en vigueur 1er 01 2012
|
Coût de la VSS par bouteille
|
Rhum pays tiers (type Bacardi) 70 cl à 37,5 °
|
533 € / HAP
|
0,375/(1/0,7) x 5,33 = 1,40€
|
Rhum des DOM 1 l à 40°
|
348,85 € /HAP
|
1 X 0,4 X 3,4885 = 1,40 €
|
Rhum des DOM 1 l à 50 °
|
348,85 €/HAP
|
1 X 0,5 X 3,4885 = 1,74 €
|
Rhum des DOM 1 l à 55 °
|
348,85 HAP
|
1 X 0,55 X 3,4885 = 1,92 €
|
Calcul du coût de la Vignette SS par bouteille sans le plafonnement (arbitrage de Matignon).
Format bouteille
|
Taxe VSS en vigueur 1er 01 2012
|
Coût de la VSS par bouteille
|
Rhum pays tiers (type Bacardi) 70 cl à 37,5 °
|
533 € / HAP
|
0,375/(1/0,7) x 5,33 = 1,40€
|
Rhum des DOM 1 l à 40°
|
533 € /HAP
|
1 X 0,4 X 5,33 = 2,13 €
|
Rhum des DOM 1 l à 50 °
|
533 €/HAP
|
1 X 0,5 X 5,33 = 2,67 €
|
Rhum des DOM 1 l à 55 °
|
533 €/ HAP
|
1 X 0,55 X 5,33 = 2,92 €
|
Ecart fiscal réel si application de l’arbitrage de Matignon, solution inacceptable.
Format bouteille
|
Taxe totales en vigueur 1er 01 2012
|
Coût des taxes bouteille
|
Différentiel par bouteilles
|
Rhum pays tiers (type Bacardi) 70 cl à 37,5 °
|
1660 + 533 € / HAP
|
21,93 x 0,7 x 0,375 =5,75 €
|
|
Rhum des DOM 1 l à 40°
|
533 + 872 /HAP
|
1X 0,4 X 14,05 = 5, 62 €
|
- 2,3%
|
Rhum des DOM 1 l à 50 °
|
533 + 872 €/HAP
|
1 X 0,5 X 14,05 = 7,02 €
|
+ 22 %
|
Rhum des DOM 1 l à 55 °
|
533 € + 872 €/ HAP
|
1 X 0,55 X 14,05 = 7,73 €
|
+ 34 %
|
Ecart fiscal réel en cas d’application de la solution proposée par l’Interprofession
Format bouteille
|
Taxe totales en vigueur 1er 01 2012
|
Coût des taxes bouteille
|
Différentiel par bouteilles
|
Rhum pays tiers (type Bacardi) 70 cl à 37,5 °
|
1660 + 533 € / HAP
|
21,93 x 0,7 x 0,375 =5,75 €
|
|
Rhum des DOM 1 l à 40°
|
903 + 361 € /HAP
|
1 X 0,4 X 12,64 = 5, 06 €
|
- 12 %
|
Rhum des DOM 1 l à 50 °
|
903 € + 361 €/HAP
|
1 X 0,5 X 12,64 = 6,32 €
|
+ 10 %
|
Rhum des DOM 1 l à 55 °
|
903 € + 361 € HAP
|
1 X 0,55 X 12,64 = 6,95 €
|
+ 21 %
|
Ecart différentiel global dans l’hypothèse arbitrée par :
2 193 € (TP) vs 1 405 € (TR) soit un différentiel de 788€/2193 € = 36 %
Demande de l’interprofession 2193 € (TP) vs 1 264 € (TR) = différentiel de 929 €/2193 € = 42,35 %