D’abord les précautions d’usage. Dominique Strauss-Kahn a droit à la présomption d’innocence tant qu’il n’est pas définitivement reconnu coupable. Soit. Mais parlons un peu des faits qu’on lui reproche. Il est en prison à New-York parce qu’une femme l’accuse de l’avoir violée. Oui violée. Même si le terme de viol est réservé aux USA à la pénétration vaginale, en France quand on sodomise ou qu’on oblige à accomplir une fellation une personne non consentante en usant de la force physique, cela s’appelle un viol. Donc Strauss-Kahn est accusé d’avoir violé une femme en usant de la force physique. Et en plus de l’avoir séquestrée. D’avoir attenté non seulement à son honneur, mais aussi à sa liberté. D’après l’accusation - et sans tenir compte des dénégations de l’accusé dont il devra apporter la preuve - les circonstances sont d’une violence inouïe et dénotent une barbarie, une sauvagerie, particulières. Ophélie - tel semble être le prénom de la victime - s’est débattue, a pleuré, a hurlé, a supplié, bref s’est défendue comme elle a pu. Ne pouvant la pénétrer après qu’il l’eut traînée jusqu’à son lit, l’agresseur - qui l’a attaquée par derrière - a réussi à la sodomiser. Il l’a obligée - toujours d’après l’acte d’accusation - à une fellation. Tout cela pour l’avilir et l’humilier, précise le document. On peut imaginer aussi ce qu’il aura pu lui dire dans ces circonstances, si elles sont avérées. De toute évidence, la terreur et la souffrance de cette femme auraient stimulé le désir de cet homme. Cette femme sans histoires, âgée de 32 ans, mère d’une adolescente, et employée comme femme de chambre dans un grand hôtel, est originaire de Guinée. Aux USA, elle est considérée comme «noire». Toute la presse française a pris connaissance, dans la nuit du samedi 14 au dimanche 15 mai, que Dominique Strauss-Kahn était accusé d’avoir violé une femme «noire». Et pourtant, personne - absolument personne en France- n’a évoqué jusqu’à présent les origines, encore moins la couleur de peau, de cette femme. Et surtout pas ceux qui se disent défenseurs ou représentants des «noirs», ceux qui appellent à des statistiques ethniques, à des quotas, ceux qui, en un mot, ne tarissaient pas d’éloges, jusqu’à présent, pour Dominique Strauss-Kahn, un homme qui a porté le CRAN sur les fonts baptismaux. Lorsque Obama a été élu, pour toute la presse française unanime, c’était un président «noir». Si Anne Sinclair avait accusé un Afro-Américain de l’avoir sodomisée, de l’avoir obligée à une fellation, que n’aurait-on entendu sur la sauvagerie des «noirs» sans qu’on se préoccupe outre mesure de la présomption d’innocence d’un présumé sauvage ! Mais là, où de toute évidence la sauvagerie n’est pas du côté que l’on croyait, un silence complet. Un silence insupportable qu’il faut bien briser. Si les faits dont Dominique Strauss-Kahn est accusé sont avérés, ils dénotent non seulement un crime odieux contre une femme, mais un crime aggravé par le racisme le plus barbare. Bien sûr, l’ex-directeur du FMI a des alibis, si l’on ose dire. Il est en effet accusé par une autre femme - qui celle là n’est pas d’origine africaine (une femme au visage d’ange, nous dit une certaine presse, pas un visage de démon comme celui d’une «négresse») de s’être livré contre elle à une tentative de viol, mais rien de comparable, en violence, en férocité, en volonté d’humilier, à ce qu’on peut lire dans l’acte d’accusation qui accable Strauss-Kahn. Car, cette fois, l’accusé serait allé jusqu’au bout. Avec un étrange acharnement. Pour punir la «négresse» de se défendre. Comme si la résistance d’une femme à la peau noire était inadmissible. Comme si les cris d’une « négresse » qui se défend étaient l’occasion d’un supplément de jouissance. J’entends des rumeurs monter de Sarcelles. Suis-je le seul ? Certains prétendent que le brillant économiste socialiste - qui, faut-il le rappeler, ne venait à Sarcelles que les jours d’élection dans une limousine avec chauffeur- avait un goût très prononcé pour l’Afrique subsaharienne et que ça ne se serait pas toujours très bien passé. L’exploitation sexuelle des femmes africaines a marqué toute la période esclavagiste. Les viols par tous les orifices commençaient sur les bateaux de traite et se poursuivaient tant que les femmes étaient assez jeunes et désirables pour exciter le désir des colons, dont le racisme ne peut pas être mis en doute au motif qu’ils violaient des femmes à la peau noire. Non seulement ces viols n’étaient pas incompatibles avec le préjugé de couleur, mais ils entretenaient avec ce préjugé une dialectique infernale. Les colons se persuadaient que la lubricité des «négresses» faisait partie de leur essence même. Il était impensable qu’une femme refuse de se soumettre au désir de son maître. Qu’il en soit ou non conscient, Dominique Strauss-Kahn, s’il est reconnu coupable de ce dont Ophélie l’accuse, s’inscrit dans la droite ligne de ce racisme négrier, féroce, barbare et abject. Strauss-Kahn, un séducteur, si l’on en croit ses « communicants» ? S’il est reconnu comme violeur, le mot est-il vraiment approprié ? N’est-ce pas justement quand on n’est guère séduisant qu’on est obligé d’avoir recours à la force et à la contrainte ? Les avocats de l’ex-directeur du FMI se sont empressés de dire, pour la défense de leur client, que la victime présumée n’était «pas attirante». Ceux qui connaissent Ophélie parlent d’une « grande et belle femme ». Mais Strauss-Kahn, trente ans de plus qu’Ophélie, petit, gros et laid - en un mot pas très attirant, pour ne pas dire répugnant - avait le droit, certainement, de ne pas la trouver attirante, cette «grande et belle femme» puisqu’elle est «noire» et n’aurait pas, du fait de sa couleur, un «visage d’ange» comme d’autres victimes finalement moins malmenées. Ce qui peut apparaître effrayant c’est que les instances dirigeantes du parti socialiste aient pu miser - pour la conquête du pouvoir - sur un pareil homme, dont personne ne pouvait ignorer sinon les turpitudes, du moins les penchants avérés, le cynisme, la vanité et la certitude affichée d’une impunité absolue ; ce qui peut paraître effrayant c’est qu’on ait brandi des sondages désignant sans conteste un tel individu comme le futur président de la République française ! Comment a-t-on pu à ce point tromper des militants sincères et confondre propagande et information ? Que les amis indulgents de Strauss-Kahn - sans doute pas complètement désintéressés - ne veuillent pas croire à sa culpabilité, on peut le comprendre. Mais de là à nier la couleur de la victime ! De là à l’accabler, à l’accuser, à faire du bourreau présumé un martyr ! Quelle abjection ! Qu’on retienne bien les noms des témoins de moralité de l’ancien député-maire de Sarcelles, qu’on observe avec attention ceux qui accuseront Ophélie d’avoir été payée pour faire croire qu’elle a été violée : ce sont les mêmes qui témoignaient naguère en faveur des racistes Pascal Sevran et Georges Frêche. Ce sont les mêmes qui ont tenté d’occulter la commémoration de l’abolition de l’esclavage le 10 mai 2011, en engageant à prix d’or des artistes antillais et africains peu scrupuleux pour venir chanter et danser place de la Bastille en mémoire de Mitterrand. Mauvais calcul ! Certainement, cette soirée négrophobe du 10 mai 2011 laissera des traces qu’il sera aussi difficile d’oublier que les accusations d’Ophélie portées contre un monstre, un monstre bien entendu présumé innocent de sa monstruosité tant qu’il n’aura pas été déclaré définitivement coupable.
CEREMONIE « Limyè Ba Yo ! » Vendredi 27 mai 2011 – Pointe-à-Pitre
Discours du président du Conseil régional Victorin LUREL
« Yo té sa yo té, pou jodijou, nou sé sa nou yé ». ` « Ils furent hier, pour que nous soyons ce que nous sommes aujourd’hui... » et sans eux nous serions ces « arbres sans racines »
qu’évoquait Marcus Garvey.
Ici, aujourd’hui, nous mettons leurs âmes dans la lumière pour renouer les fils d’une histoire qui pendant trop longtemps nous a échappé.
L’esclavage fut une tragédie. La résistance : une longue patience. L’abolition : un big bang.
Et il faut imaginer les milliers d’esclaves affranchis et nouveaux libres comme autant d’étoiles qu’il fallut un jour nommer, telles les constellations sur la carte du ciel de la liberté.
Pour beaucoup d’entre nous, le questionnement des origines, l’idée de lignée et d’ascendance, furent les objets d’une quête impossible, alors même que tout homme a non seulement le droit,
mais le besoin vital de connaître la longue succession d’individus qui lui a permis d’édifier ce qu’il est aujourd’hui.
D’où viens-je ? Ou plus exactement de qui suis-je issu ? Qui sont ceux qui ont initié ma lignée ? Qui sont ceux qui m’ont précédé et qui m’ont transmis ces valeurs que j’ai fait miennes?
Qui sont ceux qui ont été hier, pour me permettre d’être ce que je suis aujourd’hui ?
Autant de questions simples mais lancinantes, trop longtemps restées sans réponse...
Des historiens, de chez nous et d’ailleurs, y ont consacré des heures et des heures de recherches. L’association CM98 en a fait l’une de ses raisons d’être. Et cet ouvrage précieux qui est
aujourd’hui remis à la Guadeloupe rassemble ce commencement de réponses à nos questionnements.
Je suis évidemment honoré, mais plus encore ému, de recevoir au nom des filles et des fils de Guadeloupe les noms de nos aïeux. Les noms de ceux qui, les premiers, ont porté les patronymes
qui sont les nôtres aujourd’hui.
Ces noms d’hier, que nous portons sans bien savoir pourquoi, comment, par qui ou de qui... ont une lourde et puissante symbolique.
Il s’agit des noms de la liberté.
Des noms de l’accession à l’humanité. Oui, il s’agit en réalité des noms de la naissance après la réification et la deshumanisation que fut l’esclavage. Ces noms attribués au sortir de
l’esclavage à nos aïeux nouveaux libres.
Ces noms incarnent leur passage de la condition de biens meubles, tout au plus recensés dans les actes notariés entre l’argenterie, les bijoux de familles et les meubles précieux ou le
bétail, à la condition d’hommes faisant leur entrée dans les registres d’Etat civil de la Nation.
Cette liste de noms que vous nous offrez, ces noms que nous portons, sont les symboles de la naissance au monde de nos aïeux esclaves, enfin reconnus dans leur évidente humanité.
Ces noms sont la « liaison covalente » qui nous raccroche à ceux qui nous ont précédés. Ils nous permettent de savoir qui était cet homme ou cette femme, mon ancêtre. De connaître
l’habitation d’où il venait. De connaître son numéro de matricule. Ainsi pouvons-nous commencer à établir notre lignée, notre ascendance, afin de mieux construire notre descendance.
Car connaître d’où l’on vient ne vaut que si cela nous aide à savoir où l’on va,que si l’on sait où l’on va. Sénèque l’a dit depuis bien longtemps.
Oui. Mettre en lumière ce passé terrible n’a d’intérêt que s’il peut éclairer, aujourd’hui, notre chemin vers demain.
Mais surtout, cette démarche mémorielle n’a de sens que si elle conduit chacune des composantes de notre peuple, je dis bien chacune des composantes de notre peuple, à ressentir cette histoire
comme étant notre histoire commune.
Cette histoire, nous devons en effet tous l’apprivoiser, la connaître et l’accepter, parce qu’elle est constitutive de ce que nous sommes. On ne peut se construire un avenir que si l’on est en
paix avec son passé. Mais cette paix, nous ne
l’obtiendrons jamais si nous confondons devoir de mémoire et recherche en responsabilité ou en culpabilité.
L’histoire sépare, divise - déchire même ! - les hommes et les communautés. La mémoire, elle, peut et doit les réconcilier pour dépasser, pour transcender ce qui, un jour, les a
opposés.
Il y a beaucoup à faire pour que la mémoire de l’esclavage soit une mémoire apaisée et partagée par toutes les couleurs de notre pays. Il y a encore beaucoup à faire pour que le 27 mai soit
le bien commun de chacun, par-delà les couleurs, les origines et les ascendances.
Inlassablement donc, nous devons faire de ce jour un jour de réconciliation et de partage. Un jour qui parle à la conscience et à l’intelligence des blancs de ce pays, des noirs de ce pays,
des métis de ce pays, des indiens, des syro-libanais, des asiatiques de ce pays qui est le leur...
C’est dans cette démarche que nous avons inscrit ce moment que nous vivons ensemble aujourd’hui. C’est encore plus largement dans cette démarche que s’inscrit le Mémorial ACTe, le Centre
caribéen d’expressions et de mémoire des traites et de l’esclavage qui bientôt s’élèvera sur le site de Darboussier.
La première pierre que nous avons posée en 2008 fut apportée par trois enfants de cette terre, symbolisant nos belles couleurs. Ces couleurs que je vois aujourd’hui devant moi, sur les visages
qui composent cette foule.
Le Memorial ACTe sera le symbole de cette mémoire partagée en construction. Il sera le lieu pour se recueillir et pour mieux connaître les méandres de cette histoire. Car, c’est lorsque
l’histoire est tue, niée, cachée, qu’elle peut être instrumentalisée pour de sombres desseins et servir encore à diviser, à opposer, à cliver, à segmenter, à fragmenter.
La Guadeloupe est l’héritière d’une histoire tourmentée.
Bien des injustices qui subsistent dans notre société sont les fruits amers des antagonismes du passé et d’un ordre qui aujourd’hui n’a plus droit de cité.
Il revient aujourd’hui aux femmes et aux hommes de bonne volonté, héritiers eux aussi de cette histoire tourmentée, de construire ensemble une société plus juste sans laquelle notre
aspiration à l’apaisement ne serait qu’une belle incantation.
Nous avons déjà ajouté une teinte inédite à l’arc-en-ciel comme l’annonçait notre poète Paul NIGER. Nous avons depuis toujours ramassé les injures pour en faire des diamants. Nous avons,
ici, bâti une humanité neuve, assoiffée de liberté s’abreuvant au soleil des résistances fertiles.
Nous ne voulons plus dire que nous habitons des ancêtres imaginaires, que nous habitons un long silence. Nous voulons dire que c’est l’Esprit qui donnera à notre peau sa couleur définitive ;
un jour, on dira « couleur guadeloupéenne »...
Nous ne devons pas trahir le rêve formé par nos ancêtres au moment où ils accédèrent à la liberté en même temps qu’à un patronyme.
Ils ont été pour que nous soyons. Alors soyons à la hauteur de ce qu’ils nous ont légué.Limyè ba yo !