LUTTONS FERMEMENT MAIS CORRECTEMENT
CONTRE LE RACISME
L’émission de Canal + rediffusée vendredi 6 février 2009 sur la puissance des Békés de marti-nique a sans doute surpris plus d’un téléspectateur par l’arrogance et la sérénité
cynique de cette caste raciste et endogamique. Disons tout de suite que les Blancs-Créoles de Guadeloupe ne sont pas éloignés de leurs « cousins de l’île-soeur », sauf qu’ils sont plus faibles
économiquement et ethniquement plus éclatés. Il y a encore, ici et là, chez nous, quelques anciens « békélands » (jadis à St-Claude), mais ce sont surtout les Français qui, aujourd’hui, par
le biais de sociétés immobilières, tentent de « se regrouper », à St-François, à St-Rose ou sur la Côte-sous-le-Vent…
Le racisme négrophobe, comme toutes les autres ségrégations de par le monde, est très ancien.
L’émergence et l’évolution des sociétés de classes (esclavagisme, féodalisme et capitalisme) ont toujours généré des idéologies, parfois érigées en doctrines (cf. l’antisémitisme, le
nazisme), prêchant le mépris, l’intolérance et la ghéttoïsation à l’égard de groupes humains. FANON a écrit
« Lorsque l’on parle des Juifs, c’est de toi qu’on parle ! ». En Afrique, l’esclavagisme tribal fournit à Rome, durant des siècles, des esclaves et des fauves pour ses jeux de cirque. Le réservoir
humain de l’Europe fut également les pays slaves, d’où l’on a tiré d’ailleurs de mot « esclave ». Les Vénitiens et les Arabes du Sud furent de zélés commerçants esclavagistes. La colonisation de
masse, européenne, du Nouveau Monde mit en place un esclavage-de-plantation avec la béné-diction de l’Eglise, l’Afrique subsaharienne devenant le second réservoir humain. Mais tout comme les hommes
ignoraient l’existence des microbes jusqu’à la fin du 19e siècle, ceux-ci ont cru longtemps à l’existence des races. Les livres français de géographie de l’après-guerre expo-saient, avec des
images, les quatre races humaines, la « rouge » et la « noire » étant généralement les dernières citées! Le Congrès international d’anthropologie de Nice, en 1982, a balayé tout cela
Donc, les propos de M. Alain Hughes-Despointes ne seraient pas indécents pour tous les racistes du Monde, c’est-à-dire pour tous ceux qui croient, dur comme fer, à l’existence
des races et qui, souvent, peuvent avoir des diplômes de sociologie ou être des scientifiques compétents dans leur domaine. Récemment, à la Télé, Lilian THURAM déclarait qu’il suffirait d’enseigner
très tôt aux enfants qu’il n’y a qu’une seule race sur terre pour que recule progressivement le racisme. Pas si simple. Nombreux sont ceux qui, même lorsqu’ils sont convaincus de cette vérité, n’en
sont pas persuadés et préfèrent conserver des postures affectivement, voire passionellement racistes. SARTRE a bien voulu justifier la Négritude en tant que « racisme anti-raciste ».
Autre-ment, l’Ecole refuse d’être clair sur ce point : elle dit lutter contre le racisme non point au nom de l’unicité de la race humaine, mais indirectement au nom de la sempiternelle « égalité
des races » ! Pourquoi donc le Guadeloupéen refuse d’admettre cette évidence ?
PARCE QU’il croit que cette vérité-là renforcerait le camp de ses oppresseurs en lui enlevant un argument défensif du genre « Je suis Noir, et après ? », « Ce Noir vous em… !
»
PARCEQUE le racisme a tellement façonné et modélisé sa victime jusqu’à lui faire admettre qu’il est nègre et qu’il existe une « Afrique noire », une « culture noire » (cf.
SENGHOR), etc…
PARCEQUE la force économique de l’Europe et de ses anciennes colonies de peuplement (USA-Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) inonde le Monde de ses images, de son esthétique et
de ses critères de beauté, au point que les Afro-Américains ont eu l’idée de lancer ce slogan « Black is beautiful », ce qui est juste en terme de thérapie anti-raciste. Ils ont également développé
une cosmétologie et une capilliculture de type africaniste afin d’empêcher que des femmes africaines ou de la diaspora se décrêpent agressivement leurs cheveux pour ressembler au modèle féminin
européen, afin d’empêcher que ces femmes soient obligées de porter une perruque dès 40 ans !
Et c’est souvent le regard de l’Homme qui contraint ces femmes-à-cheveux-grennés à démélaniser leur chevelure, voire à tenter « criminellement » de se blanchir la peau (cf.
Sénégal,
République Dominicaine, etc.). Quand on interroge les ados guadeloupéennes, elles vous disent que les garçons prêtent une plus grande attention aux filles à la peau claire et/ou à cheveux
lisses.
Alain Hughes-Despointes a osé parler de dysharmonie chez les enfants de couples « mixtes ». En Guadeloupe, tout un stock lexical a façonné notre histoire : mulâtre (venant de mulet !), mulatresse,
bâtard (en créole bata), métis, chabin, câpre, etc… Cette hiérarchie colorimétrique correspondait à une hiérarchie sociale où l’esclavagiste « blanc » se trouvait au sommet. C’est lui qui régnait
sur ce cheptel imprévu et « involontaire ». L’esprit du Code Noir a toujours tenté d’interdire, non seulement ce « mélange » mais tout mariage entre maître européen et esclave africaine.
L’inverse était généralement puni de mort. C’est vrai que l’avènement d’un Yanick NOAH, d’un Harlem DESIR ou d’un Barrack OBAMA n’était pas concevable jadis. Toutefois, sur le plan biologique, le
sperme africain est rigoureusement semblable au sperme européen. Car, quant au fond, tout homme est métis, par la génétique de son père et de sa mère, point trait !
La mélanisation de sa peau ou la couleur bleue de ses yeux a une histoire qu’expliquent les anthropologues. Les Européens et les Sibériens sont des ex-Africains qui se sont démélanisés par le
faible éclairement solaire, le froid de la dernière glaciation et les vents violents (cf. bridage des yeux, rigidification du faciès, agrandissement du cartilage nasal, etc.). Cela dit, ces
gens-du-Nord ont beaucoup perdu de leurs aptitudes à gérer l’espace, à vivre toute l’année dehors, à danser. C’est ce qui explique la domination toute relative (j’en conviens) des Africains et ceux
de la dias-pora africaine dans les sports de vitesse pure ou d’improvisation rapide (boxe, basket, escrime). Ces aptitudes, mêmes différentes entre frères et sœurs, participent pour 15 % d’inné au
côté des acquis de l’éducation familiale et sociale. LEVI-STRAUSS disait qu’il pouvait y avoir plus de points communs entre un Bushman du Botswana et un Norvégien, qu’entre un Angolais et un
Camerounais ! C’est pourquoi il faut lutter contre tout un vocabulaire issu du racisme : il n’existe pas de discriminations raciales (ce qui supposerait une discrimination entre races), mais de
discri-nations racistes. L’élection d’OBAMA n’a pas auguré d’une ère « post-raciale » aux USA, mais tout simplement l’aboutissement d’un long processus de luttes anti-racistes. C’est en cela
qu’OBAMA est une victoire sur le racisme et que celle-ci donne espoir à tous ceux qui le subissent.
Le formidable mouvement revendicatif et identitaire du LKP a, par la bouche de DOMOTA, dénoncé la situation d’apartheid raciste qui existe en Guadeloupe tant au niveau de
l’emploi et de l’ascenseur social que de l’invasion de Français, fonctionnaires ou pas, qui occupent des positions dominantes dans la prétendue économie du pays. Ces Français prennent vite, comme
en Algérie, un comportement de colons et se mettent à vivre « à part » comme les Blancs-Créoles. C’est nou-veau, car la plupart du temps les Guadeloupéens hésitent à briser ce tabou. Ils commencent
toujours par affirmer ne pas être racistes, alors que ce sont « les autres » qui le sont. Ce complexe (et c’en est un) se retrouve dans l’usage du Créole et du Français. Il faut souvent qu’ils
disent, en guise d’introduction : « Es an pé pwan’y an kréyol ? » (Est-ce je peux parler créole ?) ou encore « An ka pwan zépon natirèl an mwen ! » (Je prends ma langue de combat ! ). A contrario,
l’on a bien remarqué que DOMOTA s’est mis à ne parler que créole après le départ du Préfet et de son staff de fonctionnaires français, sans demander aucune autorisation, car ils savaient ne
s’adresser qu’à des Guadeloupéens.
C’est pourquoi, sans en faire un sine qua non, notre manière de parler et de discuter doit être éducative. La Guadeloupe n’est pas, comme le dit souvent LUREL, un « pays de
toutes les cou-leurs », un « peuple multiracial » voire pluriethnique. Chez nous, il y a des Hommes qui sont majoritairement guadeloupéens, par leur culture commune, par leur histoire et leur
bilinguisme. Il y en a d’autres (désolé de le dire) qui, minoritairement, continuent à pratiquer un racisme négrophobe, souvent à travers un paternalisme patronal qui exclut tout « homme de couleur
» du capital qu’ils ont hérité pourtant du travail des esclaves ou des ouvriers d’après 1848. Ce sont eux (y compris les Békés) qui bloquent le développement de la Guadeloupe, qui font perdurer le
système colonial d’antan. Ils se disent pourtant guadeloupéens et ils le sont malgré tout, mais à leur manière. Que faire ? Il est sûr que les aspects anticapitalistes de la lutte du peuple et le
contrôle progressif de notre économie les emmèneront à choisir le camp de la guadeloupéanité.
Titor DEGLAS (08.02.09)