INTERVIEW
Alex Lollia, secrétaire général de la CTU, adhérent de Liayannaj kont pwòfitasyon
« Le cahier de revendications est tel qu'il ne peut pas être discuté en moins d'un mois et demi... »
Alex Lollia est l'un des syndicalistes les plus en vue du moment. Il n'est pas à la table des négociations mais il parcourt les rues, allant d'entreprise en
entreprise pour convaincre. il nous donne sa vision de la mobilisation en cours et des négociations.
Alex Lollia, vous êtes l'un des secrétaires généraux de la CTU. Vous êtes très actif en ce moment.
Dans la situation actuelle, il y a un programme de revendications, très ambitieux. Si nous voulons que cette lutte populaire se conclue par une victoire des mobilisés, il faut que les dirigeants
transpirent, soient sur le terrain, remontent le moral défaillant. Ceci d'autant que certains salariés n'ont pas compris la finalité du mouvement. D'où le fait que nous allions d'entreprise en
entreprise pour parler avec les salariés. Nous sommes démocratiques. Tout le monde a droit à la parole, ceux qui sont d'accord, ceux qui veulent travailler, le patron,généralement, qui est présent
et peut intervenir. Nous laissons les salariés face à leur conscience. Nous comprenons qu'on continue le travail. Les gens ont peur de ne pas avoir de salaire en fin de mois. Nous comprenons tout
cela.
Il n'y a pas d'exactions lors de ces rencontres avec les salariés dans les entreprises ?
Non.
« Parfois, disons-le, les esprits s'échauffent »
Il n'y a pas eu de bousculades ?
Il faut dire les choses telles qu'elles sont si l'on veut être crédibles. Parfois, disons-le, les esprits s'échauffent. De temps en temps, tel ou tel patron ferme son rideau, séquestre quand au
fond les salariés, cela devient énervant pour des manifestants qui ne voulaient pas agresser qui que ce soit. Nous, à la CTU, mais les autres syndicats font la même chose, nous avons un service
d'ordre qui réagit à ces comportements. Nous ne pouvons pas nier qu'il y ait ici ou là tel dérapage. La rue n'est pas livrée aux vandales. Les Huns amenés par Attila arrivent, personne ne peut le
dire pour ce qui se passe en ce moment. Après leur passage, aucune herbe folle ne repoussera sur le sol guadeloupéen, ce n'est pas vrai.
On l'a d'ailleurs vu lors des manifestations de masse.
C'est ceci qui est extraordinaire. Il y a des milliers de manifestant mais pas une seule bouteille de bière cassée, pas une poubelle arrachée. Le service d'ordre est impeccable. Les militants et
sympathisants sont bien encadrés. Par contre, il y a eu une manifestation à Paris avec des débordements. Sans doute les grandes centrales syndicales françaises devraient-elles venir ici pour
prendre modèle sur notre organisation et notre sens citoyen.
Vous n'avez pas assisté aux négociations...
Non, je n'ai pas le don d'ubiquité : à la fois sur la table des négociations et dans la rue, dans les entreprises. Je sais ce que contiennent ces négociations. Je sais ce qu'il y a dans le
protocole d'accord qui devait être signé si M. Jégo n'était pas parti de manière précipitée.
Le dimanche matin, quand tout le monde se quitte, on est prêt de signer un accord...
Il me semble que ce document a été appelé officiellement pré-accord. On s'orientait, donc, vers la signature d'un accord.
« Avant de signer, il faut un débat public »
Sur ce projet, tout le monde était prêt à signer ?
Avec la fatigue, une certaine ferveur, les camarades n'ont pas saisi les pièges de ce protocole. Si je l'ai bien lu, on y lit que les deux cents euros seront appliqués aux salariés qui font 35
heures hebdomadaires, ce qui suppose que ceux qui font 32 heures à temps complet, les salariés de match, Cora, Ecomax, par exemple, seraient écartés des bénéfices de cette négociation. Mais, il n'y
a pas que cela. Il y a le fait que ceux qui perçoivent le Rmi ou le Rsa sont quelque peu oubliés, les retraités aussi, ceux qui perçoivent les allocations chômage. Les 25 000 travailleurs
indépendants aussi. En ce cas, prenons le temps de revoir tout cela. Les salariés qui se sont véritablement mobilisés ne doivent pas être déçus par un accord signé à la va-vite. Avant de signer, il
faut un débat public, une discussion autour de tout pré-protocole. C'est cela aussi la démocratie. Si les 49 ont été délégués pour représenter le peuple mobilisés, ils ne sont pas le peuple
mobilisé. Ce sont les représentants.
Quand vous me dites cela, vous parlez au nom des 49 ?
Non, je ne parle pas au nom des 49, mais au nom de la CTU. Notre syndicat est démocratique. Le mouvement tout ensemble est démocratique et le restera jusqu'au bout. Il faut tenir compte des
observations faites par ceux qui sont mobilisés. Même si l'accord était bon, il ne faut pas que les 49 décident pour nous. Nous avons transmis le message aux autres parties. Si nous voulons rester
à la hauteur de ce combat, nous avons intérêt à ne pas décevoir le peuple.
L'accord qui devait être signé, qui pourrait être signé, est fragile financièrement car, dites-vous, il ne comporte pas de modalités de financement. Expliquez-vous.
L'accord dit globalement que les salariés percevront une augmentation de deux cents euros. D'où viennent ces deux cents euros, on ne l'écrit nulle part.
« Pourquoi ne pas supprimer la CSG et la CRDS pour un temps ? »
D'autant que l'Etat ne veut pas mettre de participation...
Mais oui, justement ! Dans un tel protocole d'accord, il faut dire que les deux cents euros seront accordés à tout le monde. Sinon ceux qui gagnent un salaire entre le Smic et 1,6 fois le Smic vont
forcément dépasser ceux qui les précédent. On aura un effet domino, des conflits sociaux interminables. Il faut régler le problème de manière globale, ne pas faire de négociation dans chaque
entreprise. Deuxième élément, nous disons que jusqu'à ce jour, l'Etat a accordé des exonérations ou à tout le moins des allégements de taxes sociales aux patrons. Pourquoi ne pas accorder des
allégements de charges sociales aux salariés aussi ? Les articles 72 et 73 de la Constitution permettent aux collectivités majeures de demander une expérimentation. Pourquoi ne pas supprimer la CSG
et la CRDS pour un temps, ce qui permettrait aux salariés d'avoir une augmentation sur leur salaire brut. Pour les salariés au dessous de deux cents euros, il appartiendrait au patronat de faire
l'effort.
Vous demandez que tous les jours de grève soient payé aux salariés. Vous y croyez vraiment ou c'est une figure de style ?
Un protocole d'accord se termine généralement par une demande de ce type. Maintenant, c'est un projet de protocole d'accord qui est présenté. On peut en discuter. On peut faire moitié-moitié
puisqu'il y a eu des jours où les patrons ont refusé de négocier. Sont-ce des jours de grève ? Il y a eu des jours où le ministre s'est absenté. Donc, il n'y avait pas de négociation. On peut
jongler avec les jours de grève, compenser avec les jours de congés, les RTT. Mais, par principe, les jours de grève doivent être payés.
Vous demandez aussi que les litiges ne soient pas poursuivis. De quels litiges parlez-vous ?
Samedi dernier, à la CTU, nous avons bloqué l'entrée de la rue Frébault. Le LKP descendait en masse à Basse-Terre. Le ville était livrée aux souris. Il fallait bien que le chat veille. Les numéros
des voitures des camarades de la CTU ont été relevés. cela n'a pas été le cas lors de la mobilisation des transporteurs. Si cela est vrai pour eux, ce doit être vrai pour nous. le protocole
d'accord concernant le mouvement des transporteurs disait qu'aucune poursuite ne serait engagée contre ceux qui avaient bloqué toutes les routes de Guadeloupe. Alors, nous, pour la rue Frébault
!..
« J'étais partant pour deux mois. Donc, nous galvanisons nos troupes pour tenir... »
S'il y a eu des dégradations dans des entreprises ?..
Nous sommes d'accord à aller devant le tribunal. Nous avancerons des arguments. Tout le monde a droit à une défense.
Certains syndicalistes qui participent aux négociations en cours disent que le confit s'achève vendredi. Etonnant, non ?
Oui, c'est très étonnant. Il y a peut être des prophètes parmi nous. Qu'ils disent publiquement ce qu'ils pensent, ce qu'ils font. Le cahier de revendications est tel qu'il ne peut pas être discuté
en moins d'un mois et demi... moi j'étais partant pour deux mois. Donc, nous galvanisons nos troupes pour tenir...
Le ministre a dit qu'il se donnait huit à neuf mois pour mettre en branle tout ce qui a été acté. Si tant est que quelque chose ait été véritablement acté. Il parlait des 131 revendications... pour
lesquels il n'y a pas eu de désaccord.
Mais non, nous en sommes encore un premier chapitre sur les salaires et le pouvoir d'achat. M. Jégo a donné son avis sur 131 points. Mais cela ne veut pas dire que nous sommes d'accord avec ce
qu'il dit. Ce qu'il dit concernant l'accord sur 131 point, c'est faux ! Nous voulons une négociation point par point sur ce cahier de revendication. Il est allé vite en besogne.
En Martinique, le Collectif du 5 février a donné une liste de cent produits de première nécessité. Et Liyannaj ?
Ils ont mieux préparé leurs affaires, plus en amont, tout en partant plus tard en grève, mais nous avons donné l'exemple pour ce qui est de la mobilisation massive. Et de la qualité de nos
revendications.
La contagion se poursuit, dit M. Domota.
Ce n'est pas une contagion, qui serait une maladie, mais une extension. La Guadeloupe, au lieu de suivre, précède. la Martinique fait comme nous, la Réunion fait comme nous. Les travailleurs de
France nous regardent avec intérêt. Et l'on suppose que Besancenot va reprendre à son compte certaines de nos propositions...
« En marchant, je redécouvre un pays que je ne voyais plus »
On m'a dit que Besancenot était derrière votre mouvement... On le voit souvent en vacances en Guadeloupe, chez certains camarades...
(Rire) Non, on voit les trotskystes infiltrés partout. Il ne veut pas venir en Guadeloupe en ce moment parce qu'il ne veut pas qu'on dise que ce qui se passe ici, c'est un combat Besancenot/Jégo.
Mais, il viendra, comme les socialistes, les communistes, qui sont venus ces dernières semaines ou qui vont venir. le LKP a pris l'initiative le 16 décembre et conduit le mouvement. A ce propos, on
peut comprendre la démarche du Gouvernement. En donnant deux cents euros en Guadeloupe,les travailleurs français vont demander la même chose, les travailleurs allemands aussi, les Anglais aussi,
l'Europe va s'embraser. Voilà pourquoi M. Jégo a fait marche arrière, sous la pression du Gouvernement.
On dit qu'on ne reconnaît plus Alex Lollia, qui était un syndicaliste considéré comme particulièrement raisonnable et qu'on voit dans la rue. Partout à la fois, très actif.
Je suis cardiaque. Mon médecin me conseille de faire de la marche. Là, je fais vingt kilomètres par jour. En marchant, je redécouvre un pays que je ne voyais plus, des gens qui sont préoccupés par
ce qui se passe au pays, par ce qui se passe dans le monde. Regardez, il n'y a pas de barrages, pas de coupures d'eau ni d'électricité gênantes. Nous sommes parfaitement raisonnables.
Le cœur va bien ?
Cela pourrait aller mieux. mais j'y vais. Ça roule toujours !