Jean Chomereau-Lamotte nous a quittés mardi, à midi. Il a été chef du service des sports de France-Antilles pendant plus de trente ans.
Entré au journal en 1967, Jean Chomereau-Lamotte, décédé hier en fin de matinée au CHU de Pointe-à-Pitre, à l'âge de 74 ans, a connu l'évolution de la presse locale, depuis ce temps où les
journalistes de France-Antilles se comptaient sur les doigts de la main. Une équipe réduite qui abattait le travail, du matin au soir, allant sans états d'âme du fait divers sanglant au match de
foot, en passant par des assemblées générales soporifiques.
De l'Underwood, énorme machine à écrire aux touches abîmées, aux ordinateurs les plus sophistiqués, Jean a tout connu. Du développement des films noir et blanc au numérique, il n'a cessé de
clicher des actions de jeu, des échappées, des images dont certaines sont devenues emblématiques dans la profession. Son fils Dominique a hérité de Jean ce coup d'œil quasi magique, l'air de ne
pas y toucher. C'est dans la boite, retour au journal.
A France-Antilles, au fil des... j'allais dire siècles ! au fil des décennies, il y avait deux têtes de lard, éclatant pour un rien, puis retrouvant leur calme aussi vite, difficiles à maîtriser
pour tout directeur un tant soit peu tatillon : René Cazimir-Jeanon et Jean Chomereau-Lamotte. René c'était l'actualité générale, avec une passion pour l'économie et la politique, Jean, c'était
le sport. Avec une passion exacerbée pour le cyclisme et le foot. Mais Jean était capable d'écrire sur tout : l'histoire de la Guadeloupe, la musique...
Du foot et du cyclisme, ses disciplines préférées, les lecteurs de France-Antilles en avaient des pages entières.
Voir Jean arriver — « Chaud devant ! » de retour d'une course, appareil photo en bataille, la sangle entortillée au cou, son petit carnet à la main, c'était quelque chose. Un boule de nerfs. Les
jeunes journalistes que nous étions dégageaient vite fait, laissant la place à l'aîné. Car Jean explosait vite... et se calmait tout aussi vite. Comediante ! Le casque posé sur un coin de la
table, la chemise largement ouverte, le postérieur solidement ancré sur la chaise, Jean monopolisait le télescripteur. Un bruit de touches écrasées assourdissant, la bande perforée coulant de la
machine pour composer de grands serpentins à ses pieds, Jean tapait son match, puis enchaînait celui de l'un de ses correspondants, qui lui relatait, debout à côté, son match à lui. Chacun
défilait et Jean tapait, tapait, sans cesse. Deux heures plus tard, tandis que Sylvère Selbonne ou Roberto Birhus, plus tard Dominique, son fils, développait les films dans le petit labo à côté,
Jean se relevait... un tantinet ankylosé.
« De l'eau, de l'eau ! » Une bouteille descendue en quelques gorgées.
Tous les dimanches soirs, c'était le même scénario. En semaine, c'était plus calme. A peine plus calme.
Début août, chaque année — et Jean a conservé tous ses petits carnets depuis son premier Tour — c'était le grand show.
Son 51e Tour
Le Tour, Jean l'a suivi, au fil des éditions, juché sur la moto, prenant des notes, clichant des coureurs. Parti de bon matin, increvable, il suivait les coureurs, avant de les attendre sur la
ligne d'arrivée.
Le Tour, c'était aussi la course contre la montre, le soir, avant le départ de l'avion vers Fort-de-France. Car, à l'époque, si les textes partaient par télex, les photos papier étaient confiées
à Air Guadeloupe ou Air France, dans une grande enveloppe. Course contre la montre avec le motard, qui emportait sur sa bécane, dans les embouteillages, et Jean et l'enveloppe ! Epique !.. Quand
l'enveloppe n'était pas retrouvée deux jours plus tard à Orly ou La Guardia (New-York), au gré des vols...
« Je les ai tous, depuis le premier Tour », disait-il en posant délicatement la main sur son petit carnet. Pas question de laisser ce carnet sur la table de travail, même pas pour aller... dans
le labo photo.
Jean, flanqué de son équipe de correspondants, c'était à voir. Une dizaine dans une pièce... pas plus grande que ça, impossible d'en rajouter un de plus ! De longues discussions de spécialistes,
refaisant le match, un verre à la main.
« La plantation, disait-il. Nous sommes des coupeurs de cannes ! » Un grand sourire, car Jean ne mâchait pas ses mots à l'heure de la pause.
Des pauses, on en faisait aussi, d'une édition l'autre... ou entre deux reportages. Quand ceux-ci ne nous rattrapaient pas.
La descente des troupes de France-Antilles — cinq bonshommes armés de leurs appareils photos et de carnets —, elle se faisait au moule, chez Mimi, une restauratrice amie. Accras à vous emporter
la bouche, court-bouillon de poisson, riz-haricots rouges, citron et piment, glace rhum-raisin, le basique de la cuisine antillaise, un petit vieux — rhum vieux s'entend — et la troupe repartait
dans de grands éclats de rire vers le journal, à Pointe-à-Pitre, suivant le doyen, Jean. Souvent en cours de route, un fait divers en retenait certains. Les autres déboulaient au pied de
l'immeuble, rue Hincelin. Et Jean se remettait au clavier, repoussant ses lunettes tombées au bout de son nez. Se penchant vers son petit carnet, tournant et retournant les pages, à la recherche
d'un nom, d'une action, d'une échappée.
Et puis le temps a passé et Jean a poursuivi ce challenge qui nous anime tous : faire le journal. Il y a trois jours, Jean était encore, à 74 ans, sur la moto du Tour. Son cinquante et unième !
Il n'était plus avec nous depuis sa retraite, mais il poursuivait son épopée. Deux jours après le passage de la ligne d'arrivée et la victoire de Contador, ses photos développées, sa copie
remise, il a passé la ligne à son tour, pour rejoindre Fausto Coppi, Raymond Anquetil, qui tournent sans fin sur leurs petits nuages.
André-Jean VIDAL