D’UN CWTC A L’AUTRE
Par Dominique DOMIQUIN
« L’agenda politique et l’agenda social obéissent à deux logiques distinctes. Lorsque ces deux agendas concordent, c’est la Révolution ! ». Au regard
du résultat des régionales du 14 mars 2010, cette phrase du politologue Julien Mérion est pertinente. Seulement… Cette élection n’aurait-elle pas réellement débuté le 20 janvier 2009 ? On
connaît les leaders officiels de la grève de 2009, mais la rumeur (qui a lourdement pesé dans le vote du 14) prétend qu’il y en aurait eu d’officieux, et pas des moindres… Info ou intox ?
Cette campagne électorale ne s’achèvera-t-elle pas par notre OUI tièdasse à l’assemblée unique ?
Bon, oublions que la France Hexagonale ou les Métros de passage nous regardent, fermons les persiennes, tirons les rideaux et causons chwi-chwi-chwi
entre NOUS. Je veux dire entre Nègres, Indiens, Syro-Libanais, Blancs Pays et Békés de toutes classes sociales ou bords politico-idéologiques. Tentons de voir
par-delà l’omerta d’une île sourde à elle-même. D’ailleurs, Monsieur le Prefet, si par inadvertance ce texte parvenait jusqu’à vous, considérez que ce qui suit n’est que le délire d’un
ababa resté trop longtemps au soleil. Vraiment pas de quoi fouetter un iguane.
Depuis que la Guadeloupe est française, excepté durant l’intérim des anglais ou celui du vilain Magloire Pélage, le pouvoir central de l’Hexagone décide du cadre à
l’intérieur duquel nous jouons notre partition. Le Noir guadeloupéen, depuis son implantation de force sur notre île, n’a cessé de lutter pour faire reconnaître à la France Esclavagiste puis
Coloniale, son statut d’Homme, puis de citoyen français à part entière. Ça n’a pas été de la tarte. Le droit de vote, nous l’avons arraché et, n’en déplaise à certains (Noirs ou Blancs d’ici ou
d’ailleurs), nous ne somme pas près d’y renoncer. Même quand le goutte-à-goutte diminue pour cause de crise mondiale, on sait tous que c’est temporaire.
Plutôt que de chercher des oppositions, des contradictions entre le mouvement social d’Elie Domota et le MECHANT coup de boule infligé par Victorin Lurel a tous ses
opposants, il faut bien entendre que c’est le même peuple qui s’exprime, transmettant sa force à un homme et la lui retirant aussi facilement qu’il la lui avait prêtée. Résultat : Une grève
Historique suivie d’une réélection Historique.
La cohérence semble être la suivante : Malgré le poids et les blessures ouvertes de l’Histoire, nous aspirons à jouer notre propre
toumblak, mendé ou graj à l’intérieur du cadre
républicain français (ce dernier fut-il chouké dans l’Europe), tant que le plus grand nombre peut gratter un max de pépettes. Le tout en exigeant
que cet Etat nous garantisse l’application au millimètre du Droit commun, des valeurs républicaines, la continuité territoriale, la justice sociale, le respect de nos spécificités locales, le
monopole EDF à des tarifs défiant toute concurrence, moins 30% sur les impôts, j’en passe et des plus cocasses…
Grâce à l’économie de transfert, une majorité de guadeloupéens peut vivre largement au-dessus de ses moyens (quelle que soit sa classe sociale), Circuler en gwo
loto, stocker an gwo fwigo, croisiérer en gwo bato, etc.
Tant que cette majorité ne crèvera pas la dalle, si en plus on reconnaît notre langue, notre droit à battre monnaie et d’avoir notre propre drapeau, avec une production locale ZERO tout en
restant français à part entière, c’est le jackpot ! Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Comme nous sommes terriblement gonflés, nous sentons bien que cela peut marcher.
L’avenir dira si nous y parviendrons sans y perdre au minimum… notre santé mentale !
Au risque de lasser, je réaffirme que nous sommes d’abord un peuple Pragmatique. Quand je dis « nous », j’entends TOUT le peuple. Un peuple par nature
tellement méfiant qu’il se méfie de lui-même mais qui sait disons… flairer et saisir la bonne affaire ! Depuis toujours se joue chez nous un jeu (extrêmement dangereux), dont les règles
tacites n’appartiennent qu’à nous-mêmes. Ce qui paraît n’« est » pas vraiment et ce qui « est » n’apparaît que de manière fugace. Yves Jégo se souviendra longtemps du bon
kalalou créole infesté de mâles crabes Blancs et Noirs à gwo modan ! Pauvre bougre…
NOUS, le Peuple, « Pèp la », dans toutes ses strates, dans toutes ses composantes, protégeons farouchement nos acquis sociaux et cherchons en permanence
de nouveaux avantages matériels tout en refusant que l’on entame d’un iota notre guadeloupéenneté, notre caribéenneté, notre francité ou notre européanité. Après nous, le Déluge ! Telle est
devenue notre arrogance… Rien ne dit que nous réussirons ce pari, mais tout tend à prouver que c’est ce vers quoi nous tendons TOUS, du Grand Patronat à l’UGTG en passant par l’avocat, le
dentiste, le marin pêcheur, l’artisan, le jobeur, l’UAGiste, l’artiste subventionno-engagé ou même Ti-Sonson. Asi sa, an péké jen
démod !
Entre la Guadeloupe et la France, les guadeloupéens ont, dès la 1ère abolition, choisi de ne pas choisir. Officiellement les Noirs sont Gwada-Gwada, mais
dans les faits ? Officiellement les Békés sont Franco-Franco, mais dans les faits ? La question demeure : Puisque nous ne voulons pas choisir (non par peur du lendemain mais bien
par certitude ancrée qu’« on » tente toujours de nous gruger quelque part !), sommes nous prêts à payer le prix du non-choix ? Dominique Coco l’a
chanté : « An sé pitit enkyèt a on ti lilèt enkyèt ».
Nous descendants d’agriculteurs ayant connu l’exode rural. Nous qui sommes déjà tant « allés à leur école ». Nous qui sommes depuis longtemps devenus,
sans vouloir l’admettre, des « messieurs de la ville ». Des « messieurs comme il faut ». Notre français a déjà monté trop de mornes ! Y compris celui des Flémin,
Desfontaines, Mounien, Gama, Clavier, Déglas, Makouke, Reinette, Barfleur, Domota et autres Théodore. Davwa nou goumé pou sa osi ! Y compris en
2009 ! Il est déjà loin, le temps des Chopin é dimi Po ! Prétendre le contraire, c’est Gwan pawad, Ti kou
baton. Il n’y a plus de bossales en Guadeloupe.
Il y a belle lurette qu’existe chez nous une grande bourgeoisie Noire. Il y a nanni nannan qu’existe un Capital Noir
qui n’investit pas une cacahuète chez nous, à part pour faire des « coups » en défisc, mais qui se fait des couilles en or aux States, en Europe ou en Indonésie. Comment je le
sais ? Parce que la Guadeloupe est, qu’on se le dise, un tout petit pays ! Où étaient-ils donc pendant 44 jours ? Elie Domota a tenu un discours historique au CWTC en Janvier 2009.
Il a eu ce jour là ce que nous artistes appelons l’Inspiration. Lokans ! Je suis d’accord avec 70% des propos qu’il a tenus. Sauf que… i pa
ay an bout.
Alos an ké fèy bay, davwa konba ay paka pewmet li fè sa. Mé an sèten an fondouk a kyè ay i ké dako épi mwen, pas i konnèt pèp ay ! Pourquoi le Syrien ou le Libanais arrivé pauvre comme Job à l’époque coloniale s’est-il enrichi en vendant des casseroles ou des culottes bon marché en parcourant des
kilomètres avec son barda sur le dos ? Pourquoi l’indien coolie manjé chyen qui nous a tant fait rire, en haillons sur son tracteur, avec ses
cinquante enfants dans sa camionnette bâchée, n’a pas vendu sa terre mais l’a travaillée rédomawto jusqu'à bâtir fortune ? Pourquoi c’est
encore le cas aujourd’hui avec les asiatiques qui nous font tant ricaner dans leurs échoppes ou leurs roulottes minables ? Pourquoi ce sera encore le cas demain avec les immigrés Noirs
Haïtiens et Dominicains que nous méprisons ? Pouki ti moun a yo ka réyisi lékol myé ki tan nou ? Les maîtres de la Guadeloupe aujourd’hui
sont ils des Béké Martinique ou les multinationales européennes ? Si oui, en admettant que l’on veuille chasser ces multinationales, qui donc emploiera nos bac + 32 avec salaire, évolution
de carrière et la protection sociale qui suivent ? Non, sérieux ? Ban blag la ?
Sentant confusément que depuis un an, on le prend pour une bille, le peuple, loin de vouloir scier la branche sur laquelle il a mis 150 ans à s’asseoir, s’épuise à
lire à travers les postures, la fumée, le foin, le boucan, l’esbrouffe, le brouhaha du grand, du moyen, du petit patronat. Celui du politique, celui des syndicats, celui du LKP, celui des media,
celui du gouvernement… Tous ceux qui cherchent à séduire, induire ou conduire parce qu’ils nous aiment tant… Tous les moyens sont bons. Mais quand vient l’heure du vote ? Quand le peuple
doit choisir à l’abri des regards réprobateurs ?
One man, one vote. Chaque homme, femme, élu, pauvre, riche, patron, chômeur ou syndicaliste pèse autant que quiconque. Car il sait qu’il en va de son avenir face
aux forces qui cherchent à conserver le pouvoir ou à s’en emparer. Le peuple, quitte à se tromper, vote toujours au mieux de ses intérêts du moment. Mais qui demande chez nous au peuple d’assumer
ses choix ? NEANT. Sauf peut-être… Cédric Cornet !
La grande originalité, la grande utilité du LKP a été de mettre en lumière une partie des dysfonctionnements de notre société. Sa grande faiblesse fut de ne pas
proposer de voie crédible pour y remédier. Car cela demandait l’effort de nous regarder nous-mêmes, TOUS, sérieusement, an mitan zyé. Nou poko
pawé pou sa. Son ossature idéologique comportait une impossibilité congénitale à transformer l’essai sociétal (et plus si affinités) sur le terrain
politique. J’admets qu’on ne peut pas dénoncer l’Etat Colonial pipeur de dés et participer à ses élections ! Ça se tient. C’est cohérent… Sauf que :
Si il y a une chose que les indépendantistes doivent retenir de cette bataille, c’est que l’Etat sait se rendre intangible et qu’il a tout son temps. Un bon paquet
de temps ! Le temps par exemple que le peuple réfléchisse à deux fois. Et chaque seconde qui passe pèse lourdement en sa faveur. Car l’Etat, comme le Peuple dans sa majorité, sont d’accord
sur ceci :
On ne peut pas être fonctionnaire du service Public et demander au peuple de boycotter les élections. On ne peut pas être employé de bureau climatisé et conseiller
au peuple d’aller travailler la terre. On ne peut pas demander aux autres de tenir une grève dure lorsqu’on est sûr de garder son emploi et ses 40% chéris qui font flamber les prix. On ne peut
pas dénoncer la survivance de pratiques coloniales sans exiger la suppression de l’Octroi de Mer qui plombe l’économie locale. On ne peut pas dénoncer la société de consommation et exiger de quoi
brûler plus de thunes dans des couillonnades. On ne peut pas à la fois dénoncer et réclamer plus d’assistanat. On ne peut pas demander aux autres de garder leurs enfants au pays lorsqu’on envoie
les siens faire des études partout dans le monde. On ne peut pas demander aux gens d’arrêter de « bourrer caddie » en continuant pépère a faire ses courses chez Reynoird ou Hayot…
(A pa moun ki di mwen y, sé mwen menm ki vwèy an dé zyé an mwen).
On pourrait ainsi noircir dix pages. Le LKP est devenu un parti politique qui va en politique anba fèy. Alors on le
vénère ou l’on s’en méfie, comme de n’importe quel parti politique. C’est dommage mais c’est comme ça.
Passons sans plus attendre au générique de fin de ce nouvel épisode de « La Baie des Flamboyants » :
LES GAGNANTS
Victorin Lurel a apparemment bouclé une boucle lors du débat bouffon du CWTC. Il est aujourd’hui l’ani-mâle politique
alpha, le grand carnassier qui se hisse au sommet de la chaîne alimentaire. On ne gagne pas deux élections régionales d’affilée par hasard. Surtout après l’année 2009. C’est la fin sans appel de
l’ère LMC-Larifla, respectivement ex-reine mère et ex-faiseur de rois. Toto Lurel s’est battu et a gagné. Il convient de respecter cela. Cependant qu’il soit conscient que la suite est entre ses
mains. La Région Guadeloupe, il l’a voulue, il l’a eue. Je ne voudrais pas être à sa place. Qu’il assume ses choix et garde à l’esprit que nous tendons manifestement à devenir un peuple impatient
en plus d’être gourmand.
Jacques Gillot, l’homme du consensus, mais surtout l’homme qui dure. Il a des chances de devenir le boss du GUSR. Il
prononcera sûrement un poignant requiem aux funérailles politiques de Dominique Larifla.
Cédric Cornet semble avoir capté le vote des déçus du système. Il vole la vedette aux grandes figures du LKP en prônant
travail et réconciliation.
Harry Durimel qui naguère soutenait le kalbandaj, reussit l’exploit de
figurer parmi les garants politiques du système. Il peut désormais revendre sur e-bay son mégaphone et sa 205.
Philippe Chaulet et Gabrielle Louis Carabin ont considérablement pesé sur la campagne de terrain. Ils savourent leur
revanche sur LMC, MLP et l’UMP parisien. Reste a refonder une droite locale…
Pèp Gwadloup, qui une fois de plus a bien niqué tout le monde.
LES PERDANTS
Eric Jalton et ses troupes sont les grands perdants de la course. Pour ne pas tirer sur l’ambulance, contentons nous de
dire qu’ils sont allés là où le riz n’avait aucune chance de gonfler… Veni, vidi mais pas
vici, c’était bien la peine de franchir le rubicon.
Blaise Aldo semble plutôt cuit mais MLP obtient son mandat local. Mission
accomplie. En tant que pièce lourde de la Sarkostratégie Outre-Mer, elle devrait conserver son ministère… pour peu que le LKP fasse des vagues !
Jeanny Marc comprend peut-être aujourd’hui qu’elle ne s’est pas faite toute seule.
Jean-Marie Nomertin, Alain Plaisir, Eric Desfontaines, Rosan Mounien, Alain Felix Flémin vont avoir un mal fou a
remobiliser le peuple avec le Mouvman Nonm et l’UGTG… Difé kako en perspective !
José Toribio va tenter de garder sa mairie. Chienne de vie…
Marlène Mélisse ? Mais que diable allait-elle faire dans cette galère ?
Alain Lesueur gagnerait sûrement à faire semblant d’être modeste. Enfin, moi, ce que j’en
dis…
Pèp Matnik, si vous pouviez juste faire quelques erreurs avec Sarko, ça nous éviterait de commettre les mêmes. Merci
d’avance ! Sans rancune ?
La société guadeloupéenne nie farouchement avoir encouragé l’emballement du quadrige « Décentralisation, Société de Loisirs, Société de Consommation,
Globalisation ». Ainsi tel « jeune », n’ayant pas demandé à naître, n’a aucun devoir envers la collectivité. Encore moins envers l’adulte qu’il risque de devenir. Tel parent se
prive sans compter pour que sa marmaille ait le superflu nécessaire. Tel chef d’édilité, de compromis en choses dues, se verrouille à son siège tel un bougo sur une caye. Tel journaliste fait ce qu’il peut, écartelé entre démocratie d’opinion, pression des annonceurs et promiscuité syndicalo-politicienne. L’entreprise est cette
boucherie où s’étripent cordialement patrons et syndicats. Les commerçants dilatent leurs prix en remerciant le Ciel pour la martingale du passage à l’Euro.
Aujourd’hui plus qu’hier, il est utile de se demander si la Division n’est pas le noyau dur de notre Identité. Le NOUS guadeloupéen ressemble à s’y méprendre à un
serpent de mer chassant désespérément sa propre queue. Le poids de l’Histoire, sans doute. L’évidence est que nous vivons DES réalités personnelles que nous ne souhaitons pas à élargir au delà
d’une couleur ou d’un clan. Le problème est que nous ne voulons pas confronter, amender, raboter, mettre à jour nos convictions afin de cerner froidement notre Réel collectif.
L’emmerdant est qu’il y a chez nous pléthore de « Je » Noirs, Blancs, Roses, Marrons-à-pois et que sais-je encore.
Dominique DOMIQUIN
Goyave, le 16/03/2010