Discours de
Jacques GILLOT
(Président du Conseil Général)
(Prononcé à Basse-Terre, le 28 décembre 2010, lors du Congrès des élus régionaux et départementaux)
Monsieur le Président du Congrès,
Mesdames et messieurs les élus,
Très chers compatriotes,
Nous nous réunissons aujourd’hui dans une configuration et sur un enjeu qui convoquent tout à la fois notre sens des responsabilités et notre devoir collectif devant l’Histoire.
Ce rendez-vous, ici, à l’hôtel de Région, je l'ai souhaité.
Tout d’abord parce qu’il est un rite établi pour les élus de rendre compte à l’opinion publique de leur mandat, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un engagement souscrit collectivement.
Mais, à l'observance d'un rite, j'entends ajouter autre chose, qui est la foi dans notre action et la volonté de la mener à bien.
A quelques jours de la visite officielle en Guadeloupe du Président de la République, il m’apparaissait en effet fondamental de fixer à nouveau le cap de la volonté des élus guadeloupéens sur la
question institutionnelle.
De l'aventure collective conduite depuis la dernière réunion du congrès, nous n'avons pas à gommer les aspérités, à retrancher ce qui pourrait nous déplaire, à ne retenir que ce qui nous
convient...
Et parce qu’un peuple sans mémoire n'est pas un peuple libre, nous sommes réunis dans cet hémicycle pour nous interroger sans fard ni complaisance sur ce qui nous lie à ce passé récent et pour
mieux concevoir notre tâche à venir.
Le 24 juin 2009 au palais du conseil général, nous nous étions engagés solennellement à l’unanimité, permettez-moi de le rappeler, à mettre en œuvre une méthode fondée sur la démocratie
participative et les relations mutuelles de dialogue, d'échange et de coopération.
Il est intéressant de se demander 18 mois plus tard où nous en sommes et si nous nous sommes éloignés ou rapprochés des principes que je viens de rappeler ?
La méthode fixée s'est, à l'expérience, révélée heureuse même s’il faut reconnaître qu’elle a insuffisamment été appliquée.
Des instances de concertation ont été installées mais force est de constater qu’elles n’ont pas suffisamment fonctionné,
Un calendrier a été fixé mais il faut bien admettre que sa mise en œuvre a subi les retards dus aux échéances électorales autant que les hésitations liées à l’intégration, à marche forcée, de la
Guadeloupe à la réforme territoriale nationale,
La société civile, les socioprofessionnels, les universitaires et les medias ont été sollicités, mais force est d’accepter que les contributions ont été timides,
Un important travail a malgré tout été réalisé à la faveur des réunions des comités communaux, et plus récemment de la commission mixte région/départementaux chargée de préparer nos débats.
Et je pourrais bien sur me réjouir d’avoir atteint l’objectif dans ma ville du Gosier ou l’ensemble du corps social a su se rassembler pour envisager collectivement l’avenir du pays.
Mais nous ne sommes pas là pour faire le compte de nos mérites respectifs.
Oui, mes chers compatriotes, il est indéniable que le processus dont nous avons fixé le cap le 24 juin 2009 n’a pas encore totalement abouti !!
Mais en affirmant cela je voudrais aussi tordre le cou à l’idée qui consiste à en imputer la responsabilité aux seuls élus, alors qu’il s’agit bel et bien d’une responsabilité collective,
Responsabilité en premier lieu, j’en conviens, des élus et des partis politiques qui ont peut être eu du mal à faire partager l’enjeu au plus grand nombre,
Responsabilité des plus hautes instances de l’Etat qui n’ont pas totalement respecté la parole donnée,
Responsabilité aussi des élites intellectuelles, économiques, sociales, dont on souhaiterait qu’elles s’engagent davantage, non simplement par souci de reconnaissance, mais par volonté d’apporter
leur nécessaire et précieuse contribution à la marche du pays,
Responsabilité de tous les citoyens, même si chacun constate combien il est difficile de bâtir un projet quand l’inimitié des hommes se surajoute aux clivages partisans,
Responsabilité, au final, de l’ensemble de notre corps social qui peine parfois à bannir l’ostracisme et la défiance pour s’impliquer dans un projet collectif,
Je sais que cette question de l’évolution institutionnelle interpelle beaucoup de nos compatriotes et en inquiète même certains.
Mais c’est bien le rôle des élus de proposer les choix du possible conformément à ce droit d’adaptation consacré par la Constitution sans le carcan d’une quelconque date butoir!
Et les guadeloupéens sont libres de choisir, en leur âme et conscience, le chemin qu’ils souhaitent emprunter au moment où la réforme territoriale validée en grande partie par le conseil
constitutionnel s’impose à la Guadeloupe.
C’est pourquoi je considère qu’il faut qu’un large débat se poursuive et que chacun puisse y participer.
Un débat sérieux, un débat fondamental, qui questionne l’exercice du pouvoir local dans une démocratie.
Un débat qui exige de bannir la caricature et la mésinformation qui provoquent des peurs irrationnelles dans la population.
L’Etat arrogant, l’Etat qui impose, ce n’est pas celui que nous voulons !
Ce que nous voulons, c’est un Etat qui assume son rôle mais qui respecte la volonté du peuple et de ses élus, pour réparer le passé et préparer l’avenir en construisant des relations fondées sur
le respect, la responsabilité et la fraternité.
Différents scénarii sont possibles et parfaitement respectables :
Le choix de l’évolution statutaire dans le cadre de l’article 74, le statu quo dans le cadre de la réforme Balladur, son adaptation à nos spécificités; ou encore la création d’une
collectivité unique ou d’une assemblée unique.
Toutes ces hypothèses présentent des avantages et des inconvénients que le débat public doit contribuer à clarifier.
Mais j’ajouterais pour ma part que l’évolution institutionnelle peut aussi se concevoir comme un processus, une démarche comportant plusieurs étapes, à pas cadencés mais assurés.
Ce qui est fondamental, c’est que les Guadeloupéens soient amenés à se prononcer librement à chacune de ces étapes, et que rien ne se fasse sans leur consentement éclairé !
Ce qui est fondamental c’est que les élus avancent à visage découvert en bannissant les calculs politiciens !
Ce qui est fondamental c’est d’éviter les errements du passé qui démontrent qu’aucun projet d’évolution ne saurait être viable s’il n’était élaboré par le peuple lui même !
C’est une exigence démocratique à laquelle nous ne saurions déroger, mes chers collègues !
C’est pour cela que nous devons poursuivre et faire évoluer le débat, pour œuvrer à la maturité des consciences.
Il nous faut pour cela faire preuve de cette valeur, trop souvent négligée mes chers collègues : le courage politique.
Courage de ses idées, courage de ses actes.
Je n’ai pour ma part jamais transigé, jamais renoncé à ces principes.
J’ai toujours souhaité qu’advienne enfin la conscience d’une responsabilité partagée pour démontrer que nous ne sommes pas des "confettis de l’Empire", des "danseuses" de la République, mais des
terres de créativité et de diversité assumée.
Lorsque, qu’après la décentralisation, au début des années 80, l’idée de l’assemblée unique a pris forme au sein du parti socialiste. J'y étais, et j'y croyais !
Lorsqu’au début des années 90, la création de mon parti Guadeloupe Unie Socialisme et Réalités était fondée sur la nécessité de faire évoluer nos institutions vers davantage de responsabilité
assumée localement, j'y adhérais et j'y croyais !
Lorsque, en 2003 l’immense majorité des élus guadeloupéens proposait la mise en place d’une collectivité unique régie par l’article 73, j'y étais et j'y croyais !
Et aujourd'hui, alors qu'il nous faut sortir la Guadeloupe de ses querelles et la conduire résolument sur les chemins de l'avenir, je puis le dire encore, j'y suis et j'y crois !
Ceux qui me connaissent le savent : je ne suis pas de ceux qui pratiquent la palinodie,
Et cette inspiration, ce souffle qui m’anime pour tous les guadeloupéens, partout en tout lieu, cette soif de responsabilité jamais personne ne pourra l'étouffer.
Les 18 mois écoulés nous l’ont démontré, mes chers collègues, l’exercice n’est certes pas aisé, mais il est absolument indispensable.
Œuvrer avec sérénité à changer notre regard sur nous-mêmes et sur notre histoire pour décoloniser les esprits,
Œuvrer à mettre un terme à la méfiance, parfois même à la défiance, qui marque les relations ambivalentes entre société civile et classe politique depuis des décennies en Guadeloupe,
Favoriser la coopération contre l'esprit de clocher, le respect mutuel contre la domination, le souci de l'avenir contre les calculs à court terme,
Moderniser les institutions guadeloupéennes, en tournant la page de l’enchevêtrement des compétences, tout en réaffirmant la certitude de notre ancrage dans la République,
Ce sont ces défis auxquels nous devons répondre aujourd’hui et sans doute encore plus demain.
Mais nous devons aussi regarder plus loin.
La brutalité des mutations sociologiques, l'affaiblissement des solidarités traditionnelles, l'émergence de nouveaux modes de vie sont autant de facteurs qui ne sauraient être ignorés.
La jeunesse guadeloupéenne ne trouvera ni les perspectives d'avenir, ni les repères dont elle a besoin, si tous les efforts ne sont pas faits pour renforcer le dialogue social et inscrire le
progrès économique dans le respect des valeurs traditionnelles de la Guadeloupe.
Alors allons droit au mensonge principal à partir duquel prolifèrent tous les autres, car au bout des mensonges propagés, il y a le poison de l’obscurantisme instillé dans les veines d’un
peuple,
Et c’est là le grand reproche que j’adresse aux partisans de l’immobilisme : d’avoir trop longtemps rapetissé l’ambition qui sous-tend la volonté de faire évoluer nos institutions,
D’en avoir eu une conception étroite et parcellaire, partielle et partiale et, tout compte fait, sordidement bête.
Le drame, comme le disait si bien Cocteau, c’est qu’aujourd’hui la bêtise pense…et j’ajouterais que la colonisation déshumanise l’homme, même le plus civilisé.
En regardant la marche de la Guadeloupe, je me dis qu’en vérité le débat qui s’ouvre aujourd'hui devant nous est d'abord un débat de conscience et que le choix auquel chacun d'entre nous
procédera l'engagera personnellement.
Le congrès se doit d’être ce phare qui ouvre la voie de l'ombre pour le pays, conformément à la loi fondamentale de la démocratie qui est la volonté du suffrage universel et, pour les élus, le
respect du suffrage universel.
Sachons donc reconnaître que tout n'a pas été fait pendant les mois écoulés pour éclairer suffisamment cette opinion publique et que certains ont parfois entretenu l'angoisse, stimulé la peur,
favorisé la confusion.
Alors maintenant mes chers collègues, l'alternative qui s'offre à nos consciences est donc claire:
Ou bien de laisser à d'autres, le soin de décider du sort de tous, et donc du nôtre,
Ou bien d’œuvrer à réunir la somme des talents et des capacités, les ressources matérielles, spirituelles, et culturelles dont la Guadeloupe regorge.
Comme CESAIRE nous le rappelle : « une Nation n'est pas une création, mais un mûrissement, année après année, anneau après anneau. ».
Alors même si nous sommes dans une phase où le destin hésite encore, l'heure est venue pour nous de souder l'anneau de la volonté des élus guadeloupéens,
Cette volonté majoritaire, à défaut d’être unanime, il ne dépend que de nous tous qu’elle reste vive, comme il ne dépend que de nous tous que nos compatriotes l'entendent, la comprennent et nous
appuient.
Il ne dépend que de nous de démontrer la volonté d’une démocratie dans laquelle chacun se respecte en s'efforçant de comprendre l’autre.
Et il ne dépend que de nous de produire un texte de synthèse, mais aussi - le mot est lâché - un texte de consensus, en privilégiant l'éloquence du cœur et l'éloquence de la raison.
Oui mes chers collègues, nous avons le devoir d’oeuvrer ensemble à la construction d'une Guadeloupe forte, d'une Guadeloupe capable, d'une Guadeloupe volontaire.
Les générations futures méritent bien cette ambition, méritent bien ce combat, car nous le savons, un peuple est fort lorsqu'il est rassemblé.
Certes, il est des attitudes commodes.
Dire oui a priori à toute évolution de nos institutions, par souci légitime de fidélité à ses convictions mais en faisant fi du réalisme politique qui impose de mesurer l’état de maturation des
consciences.
Ou alors dire non, quoi qu'il arrive, en refusant tout examen d’une adaptation de notre cadre institutionnel alors que l’immobilisme dans un monde en pleine évolution est synonyme de
régression.
Refusons ces facilités mes chers collègues !!
Entre l’empressement de nos convictions et l’immobilisme réactionnaire, le champ des initiatives s'étend désormais largement devant nous avec son éclairage d'ombres et de lumières, son alliage
d'élans et de blocages.
Il est clair que le temps s'éloigne où la Guadeloupe n'avait pour destin que d'être partagée et divisée par d'autres.
Et j'ai personnellement trop confiance en notre histoire pour admettre que nous puissions jamais nous laisser aller au déclin dont l'intolérable immobilisme est le signe le plus inquiétant.
Nos différences sont naturelles, nos interrogations légitimes.
Mais nous devons parvenir à surmonter les clivages en reconnaissant que si chacun voit le monde de l’endroit où il se trouve, ce point de vue est généralement déformant.
Ce qui doit nous rassembler, ici et maintenant, mes chers collègues, c’est cette volonté commune de mettre le peuple guadeloupéen en mouvement et de rendre à chacun de nos compatriotes la fierté
d'être Français de Guadeloupe.
Ce qui doit nous rassembler, c’est ce désir que nous avons tous que chaque Guadeloupéen soit capable d’inventer son avenir au sein de la République.
Alors allons-y mes chers collègues, défendons nos positions, confrontons nos idées en n’ayant pas peur de la contradiction !
Mais de grâce, faisons-le en refusant l’outrance des calculs politiciens, en cessant d’avoir les yeux systématiquement rivés sur les urnes !
Faisons-le en bannissant la nostalgie d'une France unitaire, qui appartient définitivement au passé, et qui dorénavant ose se projeter résolument dans l'avenir en conjuguant judicieusement unité
et diversité.
Faisons-le en pensant à ces milliers de compatriotes qui ont le regard rivé sur nous et qui désespèrent parfois de la classe politique !
Sachons donc quitter le maquis des petits procès pour réconcilier, rassembler, atteler à une œuvre commune un peuple à l’histoire déchirée par la force et le sang.
En un mot cherchons à convaincre et non à vaincre !
Au moment où certains entendent opposer légitimité des urnes et légitimité de la rue, la Guadeloupe a plus que jamais besoin d’être rassemblée, mes chers collègues !
Peu importe la personnalité de celles et de ceux qui assumeront la responsabilité initiale de cette tâche, car l'essentiel est qu'elle soit accomplie.
Du Parti Socialiste Guadeloupéen au PPDG, de Guadeloupe unie Socialisme et Réalités aux Divers droite, de la Fédération du PS à l’UPLG, des Verts à l’UMP en passant par le Parti Communiste,
Nous sommes tous ici dépositaires d’une part de représentativité et de légitimité populaires.
L’heure est donc au travail collectif pour déblayer la route !
L’heure est à la responsabilité de tous pour reprendre notre marche en avant mes chers collègues !
Pour répondre un jour à ceux qui nous diront, vous saviez tout cela, et qu'avez-vous fait ?
Pour que tous les guadeloupéens, d’ici et d’ailleurs, trouvent dans ce défi qui s’ouvre l’occasion d’un engagement collectif et le lieu exigeant d’une espérance nouvelle !
Kon di Lékouz Lilian : ki dyab sa ki pòkò péké !
Si nou ka nou ké !
Alòs’ an nou pòté mannèv !!
Je vous remercie de votre attention