Tambour Montplaisir le 6 Janvier 2010
Dans un texte de novembre 09, je crois, intitulé « La Guadeloupe encayée », Jacky DAHOMAY s’est livré à une analyse que je partage sur bien des points et pose le problème
crucial qui nous concerne tous en ces termes : « La Guadeloupe, on, peut le dire, est encayée. Elle l’est car elle vit une crise sociale intense depuis bientôt un an sans qu’on aperçoive jusqu’à
aujourd’hui le dénouement heureux. Une société peut-elle supporter davantage une pression si longue de la protestation sociale ? Cela ne risque-t-il pas de déliter le lien social ?
D’habitude, une crise sociale exprimée par une longue grève générale aboutit soit à des accords soit à une insurrection. Si un système, tout contestable qu’il soit, n’est pas renversé, patrons et
travailleurs s’accordent sur un consensus social permettant la poursuite de l’activité économique et de la coexistence dans un monde malgré tout commun. »
Si je rejoins cette analyse sur le constat de l’encayage de notre société, je m’insurge contre la notion de « grève générale » qui ne correspond pas à la réalité. Il est d’ailleurs curieux que nous
n’ayons eu que bien peu d’informations sur le nombre réel de travailleurs grévistes auxquels ne peuvent en aucune façon être assimilés ceux qui n’ont pu se rendre à leur travail pour toutes les
causes sur lesquelles je ne reviendrai pas, entre impossibilité de circuler et intimidations, y compris les fermetures forcées des entreprises.
S’il n’y a pas eu de grève générale il y a eu un mouvement social globalisant et une part très importante de la population a adhéré à la protestation générale organisée par les syndicats réunis au
sein du LKP. Du moins dans la phase d’adhésion maximale, lorsque le discours s’érigeait contre l’intolérable injustice, les insupportables abus et revendiquait la considération et
l’attention. La multiplicité du champ du questionnement réunissait nombre de citoyens heureux de se livrer corps et âme à l’immersion dans le grand déboulé carthartique. Citoyens qui, pour la
plupart découvraient des leaders dont ils ignoraient les antécédents et l’idéologie, et dont ils pouvaient croire que vraiment ils étaient tout à la fois Robin des Bois, Che Guevara, Gandhi, Ignace
et Delgrès, réunis dans un grand élan humaniste, du moins a-t-on voulu le leur faire croire…
Par contre j’adhère pour beaucoup à d’autres points de l’analyse s’agissant de :
- L’impuissance du mouvement et de ses leaders à « penser une théorie de la société civile », impuissance qui nous accule tous, intellectuels
ou non, à pallier ce manque d’une vision et d’une conception de cette société civile, dans ses valeurs et dans ses perspectives de développement.
- La nécessité de « …réinterroger notre société à partir du couple Etat/société civile »
- L’affirmation qu’ « Une alternative politique crédible ne peut être que consensuelle, que le fruit de la collaboration de tous. Cela signifie que
nous puissions accepter dans ce moment de crise sans doute historique, nos différences ou nos contradictions »
- La proposition : « Il ne s’agit pas de se mettre d’accord sur un projet politique commun, ce qui n’aurait pas de sens, mais sur une sorte de
nouveau contrat social permettant à la politique de prendre un autre cours, … »
Ainsi la notion de consensus est au cœur de la solution qui permettrait de désencayer la Guadeloupe à ce moment de notre histoire.
Jusqu’à présent je classais les consensus en deux catégories celle des consensus DURS et celle des consensus MOUS.
Dans les CONSENSUS DURS, les consensus idéologiques (communisme, ultra libéralisme) qui ont démontré l’un comme l’autre leurs limites face à la réalité du fonctionnement de l’économie, des
hommes et face aux enjeux de la globalisation et des questions environnementales.
Dans les CONSENSUS MOUS, les consensus opportunistes, ceux auxquels on a recours sur des bases minimalistes, pour éviter l’explosion lorsque le groupe est dans l’incapacité d’adopter les solutions
et de faire les choix nécessaires à la résolution de la crise.
Il me semble nécessaire de nous poser la question de savoir si nous, ici et maintenant, sommes encore capables de recourir à ce bon vieux consensus, et s’il ne faudrait pas revisiter le concept
lui-même.
Revenons à son sens physiologique initial, à savoir la relation des diverses parties du corps, la sympathie qui les unit et qui permet le consensus vital, et encore à la notion
que le consensus est un contrat formé par le seul consentement des parties.
Parlant de nous ici et maintenant, le consensus concerne LE CORPS SOCIAL tout entier, qui ne voudrait ni s’amputer d’un membre, ni se suicider et qui, par le seul
consentement de toutes ses classes sociales et de tous ses partis, souhaite, comme le propose Jacky DAHOMAY, « …passer d’un état de peuple travaillé par une identité complexe mais
malheureuse ou souffrante et par la peur d’assumer son avenir, à une société civile riche, diverse et dynamique, progressivement consciente et sûre d’elle-même … »
Il faut donc un NOUVEAU CONSENSUS que je nomme CONSENSUS D’OPPORTUNITE. Ce nouveau consensus tire son originalité du fait qu’il doit se concevoir comme un consensus de prospective, un consensus
évolutif, un consensus en mouvement.
Comment pourrait-il en être autrement dans un monde en pleine EVOLUTION où ECONOMIE et POLITIQUE sont en demeure de réussir leur MUTATION et dans un contexte géopolitique
particulièrement mouvant pour la Guadeloupe quand de grandes puissances économiques et politiques (Venezuela, USA…) redessinent ou réaffirment leur positionnement et leur stratégie dans la
zone.
Le CONSENSUS D’OPPORTUNITE aurait l’avantage de permettre au corps social de se saisir des opportunités, (y compris les opportunités qui peuvent surgir d’une situation de crise) pour emprunter
d’autres processus et d’autres stratégies qui pourraient lui permettre de se réparer, de se réconcilier et de se réinventer.
Quelques exemples :
LES POMPISTES et le prix de l’essence :
Deux solutions opposées sont proposées à l’opinion et l’Etat somme les élus et la société civile en générale de choisir entre ces deux options :
- D’un côté le consensus UGTG : Il faut maintenir les emplois des pompistes sous le format actuel (13° mois, mutuelle), coûte que coûte,
sachant que le prix de l’essence a été fixé afin de permettre aux gérants de station service de faire face à ces avantages pour leurs salariés. (Sachant qu’à chaque fois que je fais le plein
je contribue à permettre que ces emplois existent avec Mutuelle et 13° mois …)
- De l’autre le consensus libéral : La meilleure manière de faire baisser le prix de l’essence est de supprimer ces emplois et de permettre de cette
manière la baisse du prix de l’essence et le jeu de la concurrence entre stations services. Je paierai mon essence plus chère si je choisis d’aller dans une station où j’ai le service d’être
servie, et je paierai moins cher dans une station service où je me sers moi-même à la pompe.
Le consensus d’opportunité participant d’une DYNAMIQUE n’a pas à choisir entre deux solutions qui s’opposent.
Le Consensus d’opportunité va se faire SUR LA METHODE capable d’apporter des solutions pratiques et pérennes permettant de concilier les deux objectifs à savoir la non perte des emplois
et l’offre variable résultant de la mise en concurrence avec un prix de l’essence adapté au service rendu. Cette méthode pourrait avoir les objectifs suivants :
- maintenir les emplois le temps nécessaire à la conduite au changement (quel projet pour la station ? quel projet pour le pompiste ?)
- permettre aux pompistes d’acquérir une formation qui fournisse une valeur ajoutée à la station qui les emploie (pression des pneus, niveau de
l’huile, lavage des vitres…)
- permettre aux pompistes grâce à des formations adéquates d’accéder à un autre statut, à un autre métier…
On le voit ce consensus n’est possible que si les protagonistes ne SE HAÏSSENT PAS , n’ont pas comme désir avoué ou secret, que la méthode échoue et que l’on retourne de nouveau à l’opposition
frontale et sans issue.
Car le consensus d’opportunité VEUT CREER UN VRAI CHANGEMENT DANS LA MANIERE D’ABORDER LES PROBLEMATIQUES ET VEUT créer l’alliance et la SYMPATHIE entre toutes les parties pour la réussite du
processus.
Enfin, au-delà de la méthode plus haut décrite, le CONSENSUS D’OPPORTUNITE exige de la très grande majorité des citoyens qu’ils consentent à se remettre en question dans leurs comportements, ainsi
en ce qui concerne l’essence, l’abandon de la conduite agressive pour l’adoption d’une conduite apaisée est sans doute une des meilleures manières de réduire dans les budgets le poste
carburant.
LE TOURISME : Service et non pas Servitude.
Le tourisme a été pendant trop longtemps pour des salariés ayant dépassé l’âge des apprentissages, et pas toujours formés dans « le moule métier », l’emploi consenti mais non désiré. De plus
je me souviens pendant des années avoir assisté à la manipulation de certains syndicats alimentant volontairement la confusion entre client blanc et maître possesseur d’esclaves,
instrumentalisation qui n’a pas contribué à favoriser un tourisme d’accueil et de confiance.
Le CONSENSUS D’OPPORTUNITE dans ce cas de figure doit se faire sur LE FOND et sur LA FORME.
Le fond : Service n’est pas servitude et la notion de service doit occuper sa place positive dans nos consciences. Contrairement au sentiment de colère et d’humiliation mêlée exprimée par le leader
du LKP quant « aux métiers de la misère » seuls métiers selon lui laissés aux guadeloupéens, contrairement aux déclarations d’un Charly Lando proclamant sa haine du touriste européen, le service et
l’accueil sont deux cartes maîtresses que la Guadeloupe doit jouer pour alimenter son économie.
Les service quels qu’ils soient, et particulièrement les service aux plus fragiles physiquement, intellectuellement ou socialement, sont les plus nobles des métiers.
Le consensus doit d’abord se construire sur cet assentiment et cette conviction qu’une société évoluée et évolutive doit être une société où des services sont mutuellement rendus et rétribués comme
l’expression d’une solidarité économique et humaine, sachant évidemment, que le droit social doit constamment être respecté et amélioré, mais qu’il ne doit jamais être le prétexte de la destruction
de la maison commune, je veux dire de l’entreprise ou de la société elle – même.
Toutes les parties considèrent donc que le tourisme est une pierre angulaire de l’économie du pays (agriculture, productions locales, culture et loisirs, artisanat et Arts..). Il faut donc faire
que ce secteur crée « la valeur ajoutée Guadeloupe » qui fera que les touristes se rendront chez nous EN CONFIANCE, pour être bien chez nous le temps de leur séjour.
La forme : Une partie de la solution est que les salariés qui le désirent puissent partir à la retraite anticipée, de ce fait de permettre aux jeunes formés dans les métiers de l’accueil et du
tourisme d’accéder aux postes ainsi disponibles.
Pour tous les salariés du tourisme la mise en place d’une formation continue pour la compréhension de l’autre (celui qu’on accueille chez nous) et la valorisation du patrimoine et de la culture
guadeloupéenne (ma culture, mon pays, celui que je suis heureux de montrer, de promouvoir…)
Ce n’est que par une RELATION particulière, librement consentie, et valorisée que le tourisme en Guadeloupe, malgré son niveau de coût élevé dans la Caraïbe, deviendra un SPOT recherché pour la
qualité de ses services, son authenticité culturelle, et la chaleur de son accueil.
LA FORMATION INITIALE des Jeunes
Le consensus doit être pris en compte PAR LE CORPS SOCIAL TOUT ENTIER comme une URGENCE VITALE. L’engagement total de tous, familles, enseignants, services sociaux, associations, afin que aucun
jeune, à l’issue de sa scolarité, ne se retrouve sans formation initiale, sans projet, sans espoir…
Cela signifie que les enseignants, les parents et l’Education Nationale doivent s’interroger sur leur comportement et leurs motivations profondes. L’action syndicale n’a jamais transformé un «
mauvais » élève en « bon » élève et la haine du système qu’éprouvent certains enseignants (cependant incapables de tenter une autre vie), et leur conviction idéologique parfois extrémistes ont été
prétextes pendant la crise à des actions parfaitement injustifiables au regard de leurs missions et du public qui leur était confié.
A côté de cet engagement solennel, il faut également que la société guadeloupéenne cesse de se mentir à elle – même sur l’emploi de ses jeunes.
Comme le maire de Baie-Mahault a eu récemment le courage de le dire à l’occasion d’une émission politique sur RFO Télé : « Jamais la Guadeloupe ne pourra donner du travail à tous ses enfants.
».
Jamais la Guadeloupe ne pourra donner du travail à tous ses enfants, mais la Guadeloupe doit permettre à tous ses enfants d’atteindre les capacités intellectuelles, la créativité et la force de se
projeter dans l’avenir, afin d’occuper le maximum de postes disponibles au pays et aussi en dehors du pays.
C’est là où le consensus d’opportunité prend tout son sens, car il ne se limite pas à la dimension du terrain d’exercice initial, c'est-à-dire l’archipel guadeloupéen, mais se projette sur
l’ensemble du territoire à portée d’objectif ou atteignable prospectivement : l’Europe, la Caraïbe, les USA, le Monde…
Le choix du départ se fait de plus en plus souvent chez les jeunes de manière positive, d’autant plus que la famille existe aussi « là – bas », et que le départ n’est pas vécu comme une
expatriation mais comme une occasion de saisir sa chance.
Pour conclure sur les opportunités offertes aux jeunes antillais en France Métropolitaine ou en Europe, depuis ces quatre dernières année se fait jour un début d’engouement pour les originaires des
DOM formés et compétents, de la part des entreprises métropolitaines qui recherchent des collaborateurs porteurs de diversité pour des raisons à la fois d’image et de stratégie.
CONSENSUS Immigration
La situation
Depuis de longues années se joue un véritable jeu de cache – cache, hypocrite et démago concernant nos immigrés illégaux. Il y a d’un côté ceux qui usent et abusent de leur situation dans tous les
secteurs de l’économie et particulièrement là où il faut des bras. La concurrence apportée par des ouvriers haïtiens non déclarés ou sous-payés a souvent été la cause des tensions à leur
encontre.
Le besoin
Or, nous avons besoin d’eux, dans les champs de cannes, dans la banane, dans le bâtiment, et en réalité ils sont dans les champs de cannes, de bananes et dans le bâtiment…ET ILS ONT BESOIN DE NOUS
…
Une solution
Les solutions électroniques de traçabilité que nous sommes en mesure de développer peuvent faciliter une vraie politique d’accueil et une vraie coopération entre nous et Haïti dans le respect du
droit social et de nos lois.
Nous pourrions contribuer de la sorte à faire que nos immigrés trouvent chez nous de façon saisonnière réponse à leurs besoins économiques et apportent chez eux un développement nécessaire à notre
propre équilibre, tandis qu’ils procurent aux secteurs concernés les bras dont ils ont besoin.
Il faut espérer que l’actuelle crise haïtienne permettra de rouvrir un débat pragmatique, consensuel, sur nos frontières, la relation à nos voisins et particulièrement notre relation avec
l’immigration haïtienne et que, en la matière, les dispositifs de la loi permettent une politique évolutive.
Conclusion provisoire
Nombreuses sont les thématiques et les problématiques qui doivent faire l’objet du CONSENSUS D’OPPORTUNITE et j’arrête ici cette première exposition exploratoire des possibilités offertes par la
méthode pour désencayer la Guadeloupe de la haine ordinaire, de l’idéologie castratrice d’imaginaire et de créativité.
Tous les champs du possible sont ouverts, encore faut-il décider de nous aimer nous-mêmes, de cesser de gratter nos plaies pour avoir mal et faire mal, et de ne pas avoir peur d’être à la fois
REALISTES dans la méthode et IDEALISTES dans les objectifs.
Vive la Guadeloupe
Vive les Guadeloupéens
Michèle MONTANTIN