1
Jean LAFOSSE-MARIN Sèvres le 20 avril 2009
10, rue de la Borne au Diable
92310 Sèvres
jean.lafosse-marin@wanadoo.fr
P. Vincent Cabanac
et l’équipe de rédaction
La Documentation Catholique
18 rue Barbès
92128 Montrouge Cedex
Monsieur l’Abbé et toute l’équipe de Rédaction,
Depuis de nombreuses années je suis abonné et lecteur attentif de la Documentation Catholique. J’y
trouve l’essentiel des textes de l’Eglise et des déclarations des autorités ecclésiales pour alimenter ma
réflexion et ma foi. Mon attention a été retenue par la note (1) de la page 303 du dernier numéro, N° 2420
du 15 mars 2009, liée à la lettre pastorale de Mgr Méranville.
Vous écrivez au début de cette note : « Les békés sont des créoles blancs, descendants des
esclavagistes qui avaient colonisé la Martinique au XVIIe siècle. Ils représentent à peine 2 % de la
population et détiennent la plupart des richesses de l’île. »1
Surpris, je vous demandais, par lettre du 31 mars dernier, de m’indiquer vos sources : « d’où tenez-
vous cette définition des « békés » ainsi que leur proportion et le niveau de leurs propriétés » ? J’aurais
souhaité connaître votre réponse.
Je dois vous dire combien je suis consterné par le contenu et la formulation de cette note. Je le suis
encore plus comme chrétien ; je suis triste, vraiment, que de tels termes et déclarations, aient pu être écrits
dans une revue dont l’objet est de porter les paroles d’amour et de fraternité de l’Eglise. Enfin comme
« béké » ; j’y vois, ainsi que des personnes de mon environnement, pas nécessairement « békés »,
l’expression d’une totale méconnaissance, voire d’une hostilité, d’autant plus vive que ces propos sont, je
vais vous le démontrer, infondés. Nous y voyons même l’expression d’une incitation à la haine contre
eux, … haine raciale ?
Voici donc lancé au monde francophone, aux chrétiens et aux intellectuels ouverts aux événements et
aux déclarations catholiques, par une revue catholique qui fait autorité, un commentaire erroné, sans
nuance, non étayé, qui de plus, par les termes utilisés, apparaît porteur de rancœurs, voire de haine.
Je regrette d’avoir à être un peu long, mais cela me paraît nécessaire.
D’où tenez-vous cette définition des békés ? Je ne la retrouve nulle part, hors des ragots médiatiques
diffamants.
En effet, les dictionnaires Larousse et le Petit Robert définissent le « béké » par : « Créole2
martiniquais ou guadeloupéen descendant d'immigrés blancs ». Pour le Nouveau Petit Robert : « Créole
né aux Antilles françaises ». Pour le dictionnaire Encarta : « Créole né aux Antilles françaises de parents
immigrés blancs ». Du côté des chercheurs universitaires, par exemple Elodie Jourdain3 traduit le mot
« béké » par : « un blanc et plus spécialement : blanc par opposition à noir ». Si l’on se tourne du côté de
1
Le texte complet de la note est : « Les békés sont des créoles blancs, descendants des esclavagistes qui avaient colonisé la Martinique au
XVIIe siècle. Ils représentent à peine 2 % de la population et détiennent la plupart des richesses de l’île. Mgr Méranville fait ici allusion à
l’émoi provoqué en Martinique début février par les propos hostiles au métissage tenus dans un reportage du Canal + par le béké Alain
Huyghues‐Despointes. Ce dernier fait désormais l’objet d’une information judiciaire pour « apologie de crime
contre l’humanité et
incitation à la haine raciale » ».
2
‐ Selon le Larousse le mot créole vient de l’espagnol criollo et du portugais crioulo, signifiant « Noir né dans les colonies ». « Se dit d'une
personne dont les ascendants sont originaires d'Europe et qui est née dans les anciennes colonies européennes. »
‐ Pour le Nouveau Petit Robert « Créole, n. et adj.‐1670 ; altération de criolle, criollo a 1643 ; de l’espagnol Criollo, du portugais crioulo
« serviteur nourri dans la maison », de criar « nourrir ». Se dit d’une « Personne de race blanche, née dans les colonies intertropicales,
notamment les Antilles. ».
‐ Voir http://www.touscreoles.fr/index.php?2008/07/24/17‐la‐signification‐du‐terme‐creole‐a‐t‐elle‐evolue qui s’interroge sur l’usage actuel
de ce mot.
‐ Le Littré discute ce mot de façon intéressante et indique que « Les enfants des Espagnols qui sont nés aux Indes sont appelés criollo ou criolla;
les nègres donnaient ce nom aux enfants qui leur étaient nés aux Indes, pour les distinguer de ceux qui étaient nés dans la Guinée, leur
patrie.... les Espagnols ont emprunté d'eux ce nom, GARCILASO DE LA VEGA, Hist. des Yncas, t. II, p. 460, trad. française par J. Baudoin, 2 vol.
in‐12, Amsterdam, 1704. »
3
Elodie Jourdain, dans le second volume de sa thèse d’Etat de lettres à la Sorbonne : « Le vocabulaire du parler créole de la Martinique » Lib.
C.KLINCKSIECK, 11 rue de Lille, 1956, page 171. Les notes 1 et 2 discutent longuement les étymologies des mots « béké » et « Créole ».
2
la littérature à travers, par exemple, le lexique des particularismes lexicaux de Joseph Zobel (1915-2006)4,
un auteur antillais contemporain qui fait autorité, il ressort qu’il parle de « béké » pour dire « blanc
créole »5.
Ainsi nulle part, dans les références sérieuses, on ne trouve votre définition du «béké ». Pourquoi
l’avoir ainsi formulée ? Quelles sont vos motivations ? L’avez-vous réfléchie ?
Votre note étiquette brutalement les « békés », sans complaisance ni précision, d’un terme en
« iste », qui n’est dans aucune de leurs définitions et dont on connaît tout le poids négatif et péjoratif
par les siècles d’horreurs que ce terme transporte. Pourquoi ?
Ici, l’emploi du mot « esclavagiste » appliqué aux seuls « békés » laisse entendre qu’ils portent toutes
les responsabilités de l’esclavage aux Antilles, qu’ils sont les seuls coupables et qu’ils sont encore, dans
ces départements, pourtant régis et contrôlés par les lois de la République Française, dans la mouvance de
ce qui s’est passé il y a plus d’un siècle et demi et qui est interdit depuis dans tous les pays du monde.
C’est ce que ressent le lecteur, qu’il fasse ou non preuve de sens critique. Est-il sérieux de laisser penser
que perdurent, dans ces départements français, des comportements, « des méthodes d’une autre
époque »6, au nez et à la barbe de l’Etat Français, du Préfet de région, du Procureur de la République, des
sénateurs et députés élus par la population, qui retrouvent régulièrement leurs homologues dans les
Assemblées, des Présidents de la République qui visitent fréquemment ces départements et y font même
des réunions de chefs d’Etats ? Au nez et à la barbe des milliers de touristes qui s’y rendent régulièrement
et des congressistes qui y viennent pour des colloques internationaux ? Cela signifierait alors que l’Etat
Français, avec la complicité des descendants des colons, a maintenu et entretient dans les DOM, malgré
l’abolition de l’esclavage et leur statut de département, un « système d’économie des plantations »,
comme cela est précisé dans le préambule de l’Accord Jacques Bino, signé en présence du Préfet qui
d’ailleurs n’a pas, à notre connaissance, officiellement désapprouvé ces termes. N’est-ce pas insensé ? Le
leader du LKP s’est exprimé sans détour : « Nous ne laisserons pas une bande de békés rétablir
l’esclavage ». Personne ne s’insurge. Dans quel monde vivons-nous ? Alors que les conventions
collectives du travail elles-mêmes sont strictement celles négociées et appliquées en Métropole. Il est
surprenant, n’est-ce pas, que se laissent prendre à ce type de propos des personnes en responsabilité ou
présentées comme faisant moralement ou intellectuellement autorité7.
Le mot « esclavagiste » contient en lui-même, à juste titre, un poids énorme de dénigrement ; appliqué
aux « békés » d’aujourd’hui, est-ce fondé ? Est-ce honnête ? Est-ce chrétien ? Ce n’est pas seulement
réducteur et stupide, c’est faux. Si vous vouliez vraiment les situer par rapport à la colonisation et à
l’esclavage, il aurait été plus juste d’écrire, par exemple: « les békés sont des créoles blancs, descendants
des colons immigrés aux Antilles, arrivés au cours et après la colonisation européenne et l’esclavage».
Qui sont les « békés », ces « créoles blancs » dont vous parlez ? Ils descendent8 de différents types
de colons9, arrivés d’Europe tout au long de la colonisation, laquelle ne s’est pas arrêtée à l’abolition de
l’esclavage. Dans les premiers temps, il y eut quelques nobles cadets de famille, mais surtout des marins,
des soldats, des commerçants, des ouvriers, des agriculteurs, des engagés (blanc travaillant 3 ans sur une
plantation), des indigents envoyés de force aux Antilles. Les femmes, peu nombreuses au début de la
colonisation, étaient pauvres et de milieu modeste ; certaines, orphelines, étaient aussi envoyées de force.
Certaines familles « békés » descendent également d'étrangers tels que des hollandais de confession
protestante, chassés du Brésil, qui amenèrent la culture de la canne à sucre. Il y eut aussi des anglais,
envoyés pendant les périodes où l’Empire colonial britannique possédait l’île.
A la Guadeloupe, les « békés » de la période de l’esclavage furent en grande partie massacrés en 1794
sous la dictature de Victor Hugues, alors commissaire de la République. Ainsi les blancs présents en
Guadeloupe proviennent très majoritairement de la métropole bien après l'abolition de l'esclavage en 1848
et surtout au cours de la seconde moitié du 20ème siècle. De même, à la Martinique de nombreux blancs
4
Auteur, entre autres, du livre bien connu « La rue Cases‐Nègres », Paris, Froissart, 1950. 314 pages
5
http://pagesperso‐orange.fr/andre.thibault/ZobelExtractionAutomatique.pdf
6
Expression irresponsable, jamais justifiée malgré des demandes d’explication, du Secrétaire d’Etat à l’Outre‐mer, le 14 mars sur France 2.
7
On retrouve l’écrivain Patrick CHAMOISEAU, pourtant prix Goncourt, lorsqu’il parle de manière péremptoire et sans justification d’ «une
tutelle coloniale qui maintient les Antillais dans l’irresponsabilité et la dépendance », alors que le statut de ces départements n’est pas
différent de celui des autres départements métropolitains.
8
Voir par exemple pour le début le la colonisation le livre de Léo Elizabeth : «La société martiniquaise aux XVIIe et XVIIIe siècles, 1664‐
1789 », Ed. Karthala, 2003, 526 pages, (dont 24 pages de bibliographie). On y apprend des choses très surprenantes, dès les premières pages.
Par exemple « un blanc peut‐être l’engagé d’un noir libre » page 26 en bas. Ou encore « Dans la catégorie des blancs et assimilés, entre 1660
et 1667, une personne sur quatre vit sous la dépendance d’une autre. », page 31. Ou encore même page : « Plus souvent, le capitaine du
navire qui l’a transporté (l’engagé) le vend à l’arrivée à un habitant pour trente six mois, jusqu’à la décision du 28 février 1670. Pour attirer les
candidats, la durée du service est alors ramenée à 18 mois ».
9
Au sens Petit Robert de « Personne qui est allée peupler, exploiter une colonie – Habitant d’une colonie ressortissant de la Métropole ».
3
sont arrivés, après cette date, de toutes régions françaises ou européennes. Ces derniers sont aussi appelés
« békés » dans le langage courant. Une très forte proportion des « békés » a disparu, avec la totalité des
habitants de Saint-Pierre, lors de l’éruption du Mont Pelé le 9 mai 1902. Encore aujourd’hui des
européens arrivent avec un billet d’avion aller sans retour.
Ainsi quel poids ces braves gens majoritairement modestes, souvent sans instruction, avaient-ils pour
décider quoi que ce soit ? N’étaient-ils pas le plus souvent ou bien de simples aventuriers en mal
d’exotisme, pour les volontaires, ou bien des exécutants, aucun n’ayant de pouvoir sur les décisions
concernant la colonisation et l’esclavage, prises en hauts lieux, dans les salons des capitales ou autres
villes françaises ou européennes, dans les Assemblées nationales ?
Des archives notariées nombreuses permettent d’établir, qu’aux Antilles même, des personnes noires
libres possédaient aussi des esclaves. Doivent-elles être aussi qualifiées d’« esclavagistes » ?
Les colons, volontaires ou non, exploitaient les terres des colonies, possédées par la Métropole, en
utilisant la main-d’œuvre qui leur était envoyée, à savoir les esclaves. L’esclavage était pour ces gens des
colonies un fait mondial de société dont tout un chacun, vous le savez, profitait10. On voit donc que ceux
qui doivent être effectivement nommés « esclavagistes », ceux que le dictionnaire de l’Académie
Française définit par : « Qui veut maintenir l'esclavage des nègres ou Qui en fait la traite », ne sont pas
d’abord à chercher de ce côté-ci, même si l’on doit reconnaître que certains ont participé à ce crime contre
l’humanité. N’occultons pas les autres, les principaux.
Qui sont alors les responsables de l’esclavage ? Ceux qui véritablement « avaient colonisé la
Martinique au XVIIe siècle » et qui sont les « esclavagistes », les vrais, ceux qui ont mis en place,
développé et maintenu le système ? Qui sont ceux qui se sont réellement enrichis ?
Est-il utile de le rappeler ? Ne vivaient-ils pas principalement en France et dans les autres pays
d’Europe ? N’était-ce pas eux qui conduisaient depuis leurs métropoles la politique de leurs empires
coloniaux gigantesques (la quasi-totalité du globe si on les cumule) et de l’esclavage, en se disputant les
pays colonisés, ne donnant par leurs directives que peu de chance de survie aux populations colonisées, à
leurs coutumes, à leurs cultures, à leurs langues, à leurs religion…, légiférant depuis leurs capitales, à des
milliers de kilomètres, définissant et codifiant les moyens de développer la colonisation et l’esclavage,
commanditant des expéditions militaires et négrières, armant des navires commerciaux ou négriers,
faisant piller les matières premières par leurs colons…? On connaît le trio et l’ordre dans lequel cela
fonctionnait : l’Armée, l’Eglise et le Marchand. Où « Le Code Noir »11 a-t-il été discuté et voté ? Etait-ce
au Parlement français en 1685 à Paris ou bien dans les colonies, en l’occurrence dans les îles, qui étaient
chargées et contraintes de l’appliquer, par les relais que représentaient les Conseils Souverains (les
Parlements locaux) ?
Les peuples amérindiens qui habitaient les îles, les peuples autochtones de nombreux pays colonisés
par les puissances européennes, par exemple en Amérique du Nord et du Sud, n’ont-ils pas été éliminés
dans de vrais génocides, par les armées des puissances européennes colonialistes ? Les décisions ne
venaient-elles pas de leurs assemblées législatives et de leurs gouvernements pour implanter leurs colons
et exploiter les ressources ? Celles-ci étaient, dans le cadre du système de l’Exclusif, transférées sur le
continent européen entretenant le système colonialiste et esclavagiste. Pour ce faire, ils déversaient dans
leurs colonies des hommes et des femmes, tous n’étant pas nécessairement volontaires, et des esclaves.
Je ne m’étendrai pas plus, de nombreuses pages ont été écrites sur la question.12
Allons plus avant, demandons-nous quelle était la position de l’Eglise. Cette politique coloniale et ce
trafic d’esclaves ne profitaient-ils pas de la bénédiction des plus hautes autorités de l’Eglise sinon de son
assentiment explicite, quelle que soit l’époque que l’on scrute13 ? Sur ce sujet aussi la littérature ne
10
Vous n’ignorez pas, qu’à la même période de l’esclavage dit « triangulaire », il y avait en méditerranée un non moins terrifiant trafic
d’esclaves blancs. Voir Robert C. DAVIS « Esclaves chrétiens, maîtres musulmans » Ed. Jacqueline Chambon, 2006, 420 pages. Il est écrit
ailleurs :« Environ un million à 1.250.000 Européens, pour la seule période comprise entre 1530 et
1780 – période de forte activité
barbaresque en Méditerranée et dans l’Atlantique – furent enlevés de force au cours des razzias sur les littoraux italiens, français, espagnol,
sicilien, corse en Méditerranée et dans l’Atlantique ». Ou encore : « Au XVIIe siècle, il y
eu davantage d’esclave blancs déportés
annuellement aux Amériques que d’Africains » : Arnaud Raffard de Brienne : « La désinformation autour de l’esclavage », Ed. Atelier Fol’fer,
coll. L’Etoile du berger, 2006. Pages 44 et 45. « Ces références font tomber l’argument selon lequel l’esclavage aurait été la conséquence
d’un racisme préexistant à l’encontre des noirs », p. 45.
11
« Le Code Noir ou le calvaire de Canaan », Louis Sala‐Molins. PUF 1987, 292 pages
12
Voir par exemple :
‐ Sous la direction de Marc Ferro « Le livre noir du colonialisme », Hachette, 1.120 pages
‐
Gilles Manceron « Marianne et les colonies. Une introduction à l’histoire coloniale de la France », 320 pages
‐ Olivier Pétré‐Grenouilleau, « les Traites négrières, Essai d'histoire globale », éditions Gallimard, 2004
‐ Olivier Pétré‐Grenouilleau, « La traite des Noirs », Que sais‐je? PUF, Paris, 1997
‐
Olivier Pétré‐Grenouilleau, « Nantes au temps de la traite des Noirs », Hachette Littérature, Paris, 1998
13
Faut‐il donner des références ? Ainsi, par exemple, à deux périodes éloignées de l’histoire :
4
manque pas. Tout au long de l’histoire, l’Eglise n’a pas manqué d’arguties pour justifier l’esclavage.
Quelle était sa position sur l’esclavage dans le monde colonisé et dans les Antilles à l’époque dont vous
parlez ? Que nous disent par exemple les livres du Dominicain le Père Labat14 ? On relève entre autre, à
titre de justification de la colonisation, le vecteur de l’esclavage, que l’Eglise devait contribuer à l’œuvre
de civilisation conduite par les pays colonisateurs et de plus répondre à l’injonction de son Seigneur :
« Allez enseigner toutes les nations » ou à son vieil adage détourné de sa signification originelle « Hors
de l’Eglise pas de salut »15. On lit aussi que le clergé avait des esclaves et en tirait profit
financièrement16 ; est-ce contestable ? Pourquoi l’Eglise, à quelque niveau qu’elle ait été, n’a-t-elle pas
pris clairement et fermement position contre ces pratiques ? Pourtant elle ne manquait pas de pouvoir
politique pour les remettre en cause. Diriez-vous aussi qu’elle était « esclavagiste » ? Faut-il s’étendre ?
On aurait pu aller voir aussi dans d’autres religions17.
Comment qualifiez-vous les Africains qui pratiquaient aussi l’esclavage, depuis des siècles, à l’issue
de conflits entre ethnies ou de razzias et vendaient leurs frères noirs pour alimenter le commerce
d’esclaves avec les arabes et celui dit « triangulaire » entretenus par les puissances financières et les
armateurs européens ? Quelles responsabilités leur attribuez-vous ? Oseriez-vous déclarer que leurs
enfants d’aujourd’hui sont des « descendants des esclavagistes » ? Cela aurait-il un sens ? Quelle nation
au monde n’a pas fait de même, à un moment ou un autre de son histoire ? Quelle proportion de
l’humanité actuelle devrait alors être dite « descendant des esclavagistes » ? Comment les distinguerait-
on ? Les nommerait-on tous : « béké » ? N’est-ce pas inepte ?
Où étaient les plus grands profiteurs du commerce de l’esclavage ? N’étaient-ils pas sur le territoire
européen, à titre d’exemple, pour les français, à Nantes18, à Bordeaux, à La Rochelle, au Havre, dans les
grands et chics quartiers parisiens ou autres villes de province ? La colonisation et l’esclavage n’étaient-
ils pas essentiels aux économies européennes de l’époque ? Les Français, les Européens ne vivaient-ils
pas en nombre non négligeable de cette colonisation, du trafic et du travail des esclaves ? Sinon, pourquoi
les avoir mis en place, développés, protégés par des lois, par des textes. On sait bien que certains partaient
pour quelques années aux Antilles, afin d’en revenir fortune faite, ce qui leur donnait une reconnaissance
sociale et une entrée à la Cour19.
Si, à la suite de tout cela, on nous disait, clamant à tout va : « les Blancs européens sont des
descendants des colonialistes esclavagistes qui ont colonisé 90 % du globe et qui détiennent aujourd’hui
la plupart des richesses des pays européens », comment réagirions-nous ? Si, de plus, ces propos visaient
particulièrement les chrétiens : « les Blancs chrétiens européens sont des descendants des chrétiens
colonialistes esclavagistes qui ont colonisé 90 % du globe et qui détiennent aujourd’hui la plupart des
richesses des pays européens », que penseriez-vous ? Ce raisonnement et ces propos ne seraient-ils pas
outranciers, pervers et porteurs de haine20, d’autant plus que l’Eglise et la France ont fait des démarches
de repentance ? Des « békés » martiniquais ont aussi fait une démarche de repentance en 199821, trois ans
avant la loi Taubira.
Que sont devenus les « békés » après l’abolition de l’esclavage ? Certains sont rentrés en Europe et
aux Etats-Unis, d’autres blancs métropolitains ou européens sont venus rejoindre ceux qui étaient restés et
se sont implantés dans les îles ; ils sont aussi appelés « békés ». On parle de « békés France » pour les
blancs venant de Métropole et qui sont de première ou de seconde génération aux Antilles.
L’Eglise a été très présente et elle l’est toujours. Elle a été la principale éducatrice de la population
des îles, qu’elle soit noire, métisse ou blanche, à travers ses missionnaires spiritains et les religieuses
Dominicaines et de Cluny. Les Spiritains ont été curés et vicaires de paroisses et ont tenu des
‐ Le 8 janvier 1455, le pape Nicolas V autorise le roi du Portugal à pratiquer la traite (itinéraire : Afrique‐Portugal). Réf : Louis Sala‐Molins :
« Le Code Noir », PUF
‐ « Histoire des chrétiens d’Afrique du nord », sous la direction de Henri Teissier, p.118 en haut.
14
R.P. LABAT « Voyage aux Îsles de l’Amérique » (Antilles) 1693‐1705. Editions Duchartre. Tome I : 366 pages ; Tome II : 478 pages.
15
Il a fallu attendre Vatican II pour sortir de cette logique. Heureusement que des théologiens comme Bernard Sesbouë ont mis un peu
d’ordre là dedans avec son beau livre « Hors de l’Eglise pas de salut », chez Desclée. J’ai noté que la déclaration « Dominus Iesus » donne la
position actuelle de l’Eglise ; manifestement elle ne fait pas l’unanimité des théologiens.
16
Voir R.P. LABAT, Tome II, p. 33 et suivantes, par exemple.
17
Pour l’Islam, voir le livre de Malek CHEBEL « L’Esclavage en terre d’Islam, Fayard, 2007, 500 pages. Pensez‐vous que l’on puisse dire des
musulmans d’aujourd’hui qu’ils sont des « descendants des esclavagistes » ? Quel sens cela aurait‐il ?
18
On avance 1.744 expéditions commanditées de Nantes entre le milieu du XVIIe et au milieu XIXe s. soit 41 % de l’ensemble (4.220) des
expéditions françaises pendant la même période (http://les.traitesnegrieres.free.fr/index2.html )
19
Alain GUEDE : « Monsieur de Saint‐George, Le nègre des lumières », Actes Sud 1999, 400 pages.
20
De manière analogue, peut‐on présenter les Allemands d’aujourd’hui comme « des descendants des fascistes qui …» ?
21
http://www.touscreoles.fr/index.php?2008/02/20/10‐nous‐nous‐souvenons
5
établissements scolaires, avec toutes les activités annexes. Les religieuses ont aussi été très engagées dans
les services des paroisses et dans l’éducation. Aujourd’hui le clergé, de toute couleur de peau, est
essentiellement séculier. Leur dévouement, immense, n’a pas failli. Jamais à ma connaissance, ils n’ont
traité un seul « béké » de « descendant des esclavagistes » ; certes, ils connaissent l’histoire et,
d’expérience, la réalité, puisqu’ils la vivent ; ils n’ont aussi, à n’en pas douter, jamais perdu le sens de la
mesure, de la dignité et du respect des personnes. Leurs paroissiens, quels qu’ils soient, ont eu les mêmes
prêches. Comme mes parents, mes frères, mes cousins et autres « békés », j’ai personnellement fait toutes
mes études secondaires, avec mes camarades, noirs et métis (les plus nombreux) ou blancs, ou chinois, ou
indiens, ou d’origine libanaise, syrienne, … dans un établissement tenu par les pères spiritains à Fort-de-
France22. Mes sœurs étaient chez les religieuses, avec des camarades de toutes origines.
Ces religieux et religieuses ont formé, accompagné, éduqué des milliers d’enfants, d’adolescents,
d’adultes, célibataires ou mariés, à tous les stades de leur vie et dans des mouvements chrétiens aussi
nombreux et variés que ceux de métropole, sans distinction et en toute mixité ethnique. Ainsi je crains
qu’en laissant comprendre, par ce mot d’ « esclavagiste », que les « békés » en général ne gardent de leur
passé que des relents de supériorité, de racisme…23, on en vienne à faire porter une part de la
responsabilité à ces religieux et religieuses et donc à l’Eglise. Ce qui reviendrait à la suspecter, ou bien de
n’avoir pas su appeler à son service des hommes et des femmes capables de porter ses valeurs, ou bien de
leur avoir demandé de transmettre de façon discriminante les valeurs chrétiennes aux uns et des valeurs
négatives aux « békés ». Ceci est illogique et inconvenant. Je suis infiniment reconnaissant à ces hommes
et à ces femmes, mes éducateurs, et à mes parents pour ce qu’ils m’ont transmis et de m’avoir ouvert à
l’Evangile, à l’amour de Dieu et à son projet pour l’homme, et de m’avoir fait comprendre que l’amour
du prochain est le point de passage obligé vers le Dieu de Jésus-Christ.
On constate que depuis l’abolition de l’esclavage, nombre d’hommes et de femmes « békés » ont
consacré leur vie au service de l’Eglise, comme religieux ou religieuses, dans les îles ou en mission en
Afrique ou sur d’autres continents. On dénombre plusieurs Spiritains. Citons les fondatrices « békées »,
Laure Sabès et sa sœur, de la congrégation des « Dominicaines de la Délivrande » en 1868, congrégation
aujourd’hui présente dans plusieurs pays pauvres du monde24 ; une sœur de ma mère, « békée » comme
elle, en a été supérieure en plusieurs endroits du monde, dont en Algérie. Il y a la fondation du Foyer de
Charité de la Martinique25, par le frère « béké » de ma mère, dans la propriété de ses parents, lesquels ne
se sont certainement pas enrichis par cette transaction. Il y a le foyer de Charité du Cap des Biches au
Sénégal qu’une autre sœur de ma mère a contribué à fonder dans les années 60, elle y a passé 35 ans. Une
3ème sœur de ma mère, elle aussi religieuse, a été éducatrice d’enfants handicapés mentaux. Reconnaissons
que sur leurs neuf enfants, mes grands parents ont fait fort. Ce ne sont pas des cas particuliers. On peut
citer le précédent Prieur de Solesmes, encore un « béké ». On pourrait nommer beaucoup d’autres prêtres
« békés » : le Père Gallet, missionnaire pendant 40 ans au Sénégal, les Pères de Reynal, de Lavigne,
Despointes, de Jaham, de Laguarigue, … Il y a bien sûr des religieuses « békées » : de Gentile, Gallet, de
Reynal, Langellier (25 ans récemment en Algérie)… Ainsi, de nombreuses familles « békées » ont donné
un ou plusieurs de leurs enfants, garçon ou fille, à l’Eglise. Ces dernières années, le Vatican lui-même a
employé un « béké ». J’allais oublier de vous inviter à lire et à promouvoir le livre ayant pour titre « Je
briserai vos chaines »26, écrit par un autre prêtre « béké », sur le fondateur, Jean de Matha, des Trinitaires,
ordre auquel il appartient lui-même.
22
Mes premiers camarades et mes amis les plus chers, ceux avec lesquels j’ai le plus
d’expériences d’enfance, d’adolescence, de
mouvements de jeunes (scoutisme…), d’étudiant, les âges où nous nous constituons humainement, ne sont pas seulement blancs. Il est
évident que nous, « békés », n’avons pas reniés nos amis d’enfance. Que savent des relations et du dialogue interracial ceux qui n’ont
jamais vécu dans un tel contexte et qui donnent des leçons théoriques extraites de livres ?
23
Je ne prétends absolument pas que ces départements soient exempts de cas de racisme ou d’autres comportements condamnables.
Mais où est la société idéale ? Je constate cependant que les organismes qui luttent contre de telles attitudes : SOS racisme, la LICRA, la
Ligue des Droit de l’Homme, La HALDE… et les tribunaux sont submergés de cas régulièrement relevés dans l’hexagone métropolitain,
contre les immigrés, les étrangers, les noirs, les arabes, les juifs, les musulmans, les Roms, les tziganes, les femmes, les homosexuels, …
relativement aux coutumes, à l’emploi, aux logements, à l’Education, aux services publics … , dans les transports, dans les magasins … Votre
note, s’en prenant aux « békés », ne pourrait‐elle pas être considérée comme un de ces cas par ces organismes ?
Selon les échos, les français « de souche » ne sont pas les champions du monde dans l’acceptation de la différence, mais ils le sont
certainement dans l’art de prodiguer des enseignements sur les manières de bien se comporter.
24
http://www.nddelivrande.com/histoire.html et le livre : fr. J.D. LEVESQUE « Mère Marie de la
Providence, fondatrice des religieuses
missionnaires dominicaines de Notre‐Dame de la Délivrande », Ed. Privat, Toulouse, 1968
25
http://trinite.foyer.fr
26
Loïc HUYGHUES‐DESPOINTES : « Je briserai vos chaines », Ed. Nouvelle Cité, 1995, 260 pages.
6
Il serait fastidieux de relever tous les « békés », hommes et femmes non religieux, engagés de par le
monde dans des structures de l’Eglise, qu’elles soient caritatives, éducatives ou autres27. Ainsi l’Eglise est
parsemée de « békés » qui ne semblent pas, aux yeux de ses autorités, avoir démérité.
On doit alors s’interroger sur les valeurs que véhiculent les familles de ces hommes et de ces femmes
qui ont consacré leur vie à l’annonce du message d’amour de l’Evangile et au service des autres, le plus
souvent au service des plus pauvres. Ne doit-on pas reconnaître, si on croit en elle, que l’Eglise, par
l’intermédiaire des évêques, des supérieurs des communautés ou des directeurs de ses institutions, a
reconnu en ces hommes et en ces femmes les vraies valeurs évangéliques qu’elle prône, valeurs qui sont
nées et qui ont grandi dans des creusets porteurs, fondamentalement chrétiens, ceux de leurs familles
« békées » ?
Les « békés » n’ont pas non plus été à la traine en matière d’engagements dans la société et pour le
pays. Il serait trop long de les énumérer.
Avec leurs frères des colonies de par le monde, quelle que soit la couleur de leur peau, car les balles ne
font pas la distinction, on ne saurait compter le nombre de « békés » qui ont donné leur vie28 aux cours
des guerres coloniales, européennes et mondiales crées par les nations européennes, qui plus est
chrétiennes, ravageuses, insatiables en expansion, en pouvoir et en puissance, et en même temps …
donneuses de leçons29.
Actuellement, les métiers et les engagements sociaux des « békés » recouvrent pratiquement toute la
palette française : la santé, l’éducation, l’agriculture, le commerce, la justice, l’armée, la religion, …
Leurs niveaux de revenu sont très variés ; on trouve aussi parmi eux des Smicards et des Rmistes.
Venons-en à la place économique qu’occupent les « békés » actuellement en Martinique. D’où
tenez-vous qu’ils « détiennent la plupart des richesses de l’île » ? Quelles sont vos sources ? Avez-vous
vérifié leur véracité ? Elles ne sont manifestement pas fiables si on se réfère aux documents30 de l’INSEE,
27
Par exemple, moi‐même. Mon ancêtre paternel à immigré à la Martinique au milieu du 19ème siècle, à la suite de son service militaire qui
durait six années ; il venait de l’Orne, près de Sées.
Je suis arrivé en Métropole au milieu des années 1960. Après dix années d’études supérieures en Mathématiques et en Economie à Paris,
études totalement payées par des bourses ou des prêts d’Etat et des petits boulots de vacances, j’ai consacré au moins quatorze années
de ma vie professionnelle dans des structures éducatives catholiques, refusant des postes beaucoup plus rémunérateurs. Ainsi, au regard
de la définition que vous donnez du « béké … descendants des esclavagistes », je réalise aujourd’hui combien les Jésuites ont pris des
risques en m’engageant pendant dix années (1988‐1998) comme Directeur des Etudes au Lycée Sainte‐Geneviève de Versailles (Ginette). Il
en a été de même de la tutelle catholique de la FESIC, en me recrutant et en me maintenant (1998‐2002) comme Délégué Général de cette
Fédération des 25 Ecoles d’Ingénieurs et de Cadres de l’enseignement catholique ( http://www.fesic.org ) et simultanément comme
Directeur des deux concours qui conduisent aux écoles : la Sélection FESIC et le concours ECRIN. A ces derniers postes, pendant quatre ans,
j’ai eu à défendre de nombreux intérêts des Ecoles, mais aussi des cinq Cathos, en collaboration avec mon homologue de l’UDESCA. J’avais
certes dit à mes employeurs et collaborateurs, que je venais de la Martinique, mais ne connaissant
pas encore votre définition
« descendant des esclavagistes », je ne pouvais ni le leur dire ni les mettre en garde.
Je m’aperçois aussi aujourd’hui que je n’ai pas totalement dévoilé mon identité à mes examinateurs pendant mes études de théologie à
la Catho de Paris, à mon directeur de mémoire de Licence, théologien assomptionniste, longtemps Directeur de l’ISTR et auteur de
nombreux ouvrages, un des derniers étant « Les traces de Dieu », ou encore à cet autre éminent théologien, mon tuteur pendant une
année en séminaire de Maitrise, devenu archevêque de Strasbourg, directeur de nombreuses collections. Je suis vraiment navré de ne leur
avoir pas dit de qui je descendais. Je me hâterai bien sûr d’en informer Mgr Gérard Daucourt, Evêque de Nanterre, en lui transmettant une
copie de cette lettre, puisque je suis engagé dans le groupe diocésain des relations avec l’Islam, il pourra décider de ma collaboration en
toute connaissance de cause.
Je l’ai aussi caché au cardinal DUVAL, ayant été pendant quatre années à son Conseil pastoral en Algérie, à Pierre Claverie et aux moines
de Tibhirine, dont le frère Christian, avec lesquels j’ai beaucoup partagé. Je ne dois pas oublier Mgr Lustiger, mon aumônier d’étudiant et
mon Curé pendant des années.
Obtiendrai‐je le pardon des hommes pour cette omission ? Personnellement, j’ai confiance dans celui de Dieu, je suis certain qu’il ne me
fera pas porter l’éventuelle faute ou responsabilité de mes ancêtres.
Si vous souhaitiez en savoir plus, je pourrais vous faire parvenir le témoignage de mon itinéraire spirituel fait au GAIC (Groupe d’Amitié
Islamo‐Chrétienne) le 19 janvier 2009, bien avant les conflits antillais, à la demande de ses responsables. Soyez rassurés, ils sont informés,
depuis que j’ai lu la note de la DC de mars, qu’ils ont dans l’Atelier un « descendants des esclavagistes ». Je préfère ne pas vous dire ce
qu’ils ont pensé des termes de la note.
28
Voir le documentaire « Parcours de Dissidents » d'Euzhan Palcy qui montre ce que les antillais, sans distinction de couleur, ont été capables
de faire ensemble pour rejoindre la résistance et la France libre pendant la seconde guerre mondiale et combattre pour la liberté aux côtés
du général de Gaulle» : http://www.africamaat.com:80/EUZHAN‐PALCY‐Parcours‐de
29
Quel bouc émissaire sera désigné pour porter la responsabilité de tous ces massacres, comme aujourd’hui les « békés » sont désignés pour
porter le colonialisme et l’esclavagisme ?
30
www.insee.fr/martinique et www.insee.fr/guadeloupe
Liste des pièces jointes qui vous seront adressées par mail :
‐ 1_Martinique_Fév 2009_Un conflit destructeur
‐ 2_INSEE_Les salaires dans les régions_2006
‐ 2_AE68_art01_Plus du tiers des emplois salariés dans la sphère publique aux Antilles
‐ 3_INSEE_Logement dans les DOM_Martinique‐Guadeloupe‐Guyane
‐ 3_INSEE_Guadeloupe_Logements
‐ 3_INSEE_Martinique_Logements
‐ 4_INSEE_Martinique_Etablissements et entreprises
‐ 4_INSEE_Guadeloupe_Etablissements et Entreprises
7
de la CCI, du CES... On constate d’abord que le poids des entreprises de « békés » dans l’économie
martiniquaise est très minoritaire (8 % de l’emploi, 14 % de l’économie marchande (PIB))31. En
Guadeloupe, il est encore plus faible puisque les « békés », descendants des premiers colons, ont en
majorité disparu.
Vous trouverez toujours selon ces organismes, des éléments sur le développement des îles. Ainsi, le
rapport joint 32 de la CCI établi en 2004 rend compte de « 50 ans de développement économique et social
en Martinique ». Il expose que le niveau de vie a été multiplié par huit pendant cette période et, en 2000,
l'indicateur de développement humain place la Martinique en 15e position mondiale, c'est-à-dire au
niveau de développement humain du Danemark ou encore de l'Autriche (La Côte d'Ivoire étant à la 156e
place). Les îles voisines indépendantes, Ste Lucie et La Dominique, anciennes colonies anglaises, ont un
niveau de vie 4 à 5 fois inférieur. L’INSEE révèle la création, au 1er janvier 2006, de quelque 30.000
entreprises à la Martinique et 40.000 en Guadeloupe. Toujours d’après l’INSEE, « Les trois quarts des
logements sont des maisons individuelles » et « la moitié des ménages sont propriétaires ».
Si, comme vous le dites, « les békés représentent à peine 2 % de la population et détiennent la plupart
des richesses de l’île », comment auraient-ils pu créer et être propriétaires de toutes ces entreprises et de
tant de maisons ? Cela montre que votre affirmation est fausse. On ne peut pas dire qu’ils possèdent la
plupart des richesses puisque les chiffres montrent qu’elles sont largement partagées. La réalité
concernant les « békés » est que, malgré leur petit nombre, ils ont contribué de façon significative à la
dynamique de développement de l’île.
Toujours selon L’INSEE, on constate que les salaires du privé sont comparables sinon supérieurs aux
salaires métropolitains. J’ai déjà indiqué que les conventions collectives sont strictement celles de la
Métropole. J’attire votre attention sur le fait que, encore selon cet Institut, « plus du tiers des salariés
actifs sont dans la sphère publique »33 ; n’oublions pas qu’ils bénéficient tous de 40 % supplémentaire de
rémunération par rapport à leurs homologues métropolitains. Des fonctionnaires métropolitains se font
muter aux Antilles pour profiter de ce bonus non négligeable. Cela crée bien sûr un déséquilibre
préjudiciable entre le public et le privé. On n’omet pas, en plus, de noter que le montant des impôts est
diminué de 30 % aux Antilles du fait de la vie chère.
Je ne conteste pas que des produits de consommation courante soient plus chers dans ces départements
qu’en Métropole et que ce soit un réel problème pour les bas salaires. Un document joint34 explique les
raisons et les mécanismes du surcoût des produits importés par la grande distribution. Mais, semble-t-il, la
vraie cause n’est pas là si l’on examine les points du catalogue des revendications contre « la vie chère »
des Collectifs de la Guadeloupe ou de la Martinique. On s’aperçoit que, dans celui de la Guadeloupe, les
services publics sont les premiers concernés, presque exclusivement : plus de 100 fois pour l’Etat et ses
administrations et près de 80 fois pour les collectivités locales ou autres organismes locaux35. On est alors
mieux informé pour situer les monopoles et reconnaître qu’ils ne sont pas tenus par les « békés » ni par
les entreprises privées.
On constate en effet que le chômage est important, plus qu’en métropole, mais pourquoi en rendre les
« békés » responsables, d’autant que plusieurs d’entre eux sont dans cette situation ? Où sont alors ceux
qui font de la « pwofitasyon» ? Pourquoi en accuser exclusivement les « békés » ? Au regard des relevés
et des analyses de l’INSEE, des administrations, du CES, de la CCI, … il importe d’être très prudent dans
la réponse si l’on ne veut pas s’éloigner de la réalité, être le vecteur de n’importe quelle grossière erreur,
stigmatiser un groupe et le blesser profondément, enfin perdre toute crédibilité36.
Concernant les propos d’Alain Huyghues-Despointes, rapportés par le reportage de Canal +, il est
certain que je les réprouve très fermement, je les condamne avec vigueur. Je n’y reconnais ni ma position
ni celle des « békés ». Mais, permettez que j’attende les décisions de la justice avant de condamner
l’homme. Pour l’instant une enquête est ouverte. J’attends de connaître exactement ce qu’il a dit et dans
quelles conditions. Il est possible qu’il soit coupable d’avoir dit ces paroles, la probabilité est peut-être
forte, je n’en disconviens pas, mais je n’en sais rien. Je ne présume pas a priori de sa culpabilité et je me
tais. Etait-il nécessaire, dans une note si courte, de faire état de cette accusation et de préciser les termes
radicaux de « l’objet de l’information judiciaire », dont on ne sait ce qu’elle adviendra et qui pourrait
31
Document joint : Martinique_Fév 2009_Un conflit destructeur, page 14
32
Documents joints : ‐ 50 ans de progrès économique et social en Martinique _ Rapport de synthèse
‐ 50 ans de progrès économique et social en Martinique_Résumé
33
Le Secrétaire d’Etat à l’Outre‐mer dit 40 %
34
Martinique_Fév 2009_Un conflit destructeur, page 13
35
Document joint « KKP : Plateforme de revendications …KA NOU VLE » (Ce que nous voulons)
36
Voir aussi l’exposé du 16 avril 2009 de Roger de JAHAM, « béké », Président de « Tous créole », à la grande loge maçonnique au temple de
Tartenson à la Martinique.
8
laisser penser, après que vous ayez parlé de « descendants des esclavagistes », que ces termes
s’appliquent à tous ceux qui sont nommés en premier dans la note 37 ?
Par formation et par expérience, je ne me fie pas a priori aux médias, je les confronte entre eux. On a
déjà dénoncé plusieurs mensonges flagrants de ce reportage diffusé par Canal +, manifestement construit
pour appuyer une thèse préétablie et non pour informer38. C’est malheureusement trop souvent le cas dans
les médias (cf. les commentaires des propos du Pape dans l’avion qui l’amenait au Cameroun39), vous
comprendrez alors ma prudence.
Dans sa lettre pastorale, Mgr Méranville ne fait pas, me semble-t-il, seulement allusion aux propos
rapportés de Alain H.D, mais aussi très probablement aux autres propos racistes et anti « békés », créoles
ou métropolitains, colportés abondamment par les médias et par les rumeurs et mouvements populaires,
dont ceux qui vous ont influencé. Pensez-vous vraiment qu’il puisse adhérer à ce que vous avez écrit ?
Soyons vigilant pour ne pas affaiblir ni dénaturer son message. Homme remarquable, attentif à l’autre,
d’une spiritualité communicative, pertinent dans l’analyse, il s’adresse à l’ensemble de ses communautés,
composées de toutes les catégories de personnes ; il est pasteur de tous, qu’elle que soit la couleur de leur
peau, leur niveau social, leur histoire et les souffrances qui en résultent.
Voici quelques réflexions que me suggère votre note. Elle me donne l’impression, n’ayant pas eu de
réponse à ma question sur vos sources, d’être basée sur le reportage contesté et malhonnête de Canal+,
construit sur un stéréotype primaire, ou de quelques médias et rumeurs du même niveau ou encore de
propos de pseudo-intellectuels en mal d’identité ou en recherche d’audimat.
Encore une fois, je regrette que sa formulation abrupte et sans nuance, ainsi que ses affirmations
contestables, paraisse dans la Documentation Catholique. Car votre note contribue à stigmatiser cette
petite communauté40 « békée », au fer rouge de la diffamation, par l’expression «descendants
des esclavagistes », et de la désinformation en déclarant qu’ils « détiennent la plupart des richesses de
l’île » ; à cause de cela, ces hommes, ces femmes et leurs enfants, oui même les enfants qui ne savent pas
encore ce que ce mot en « iste » signifie, se voient aujourd’hui montrés du doigt41. Si cette communauté
peu nombreuse a tendance à un certain repli sur elle-même, comme la plupart des minorités dans un
ensemble plus vaste, elle a conscience de la souffrance ressentie encore aujourd’hui par les habitants de
ces îles qui sont descendants d’esclaves et dont elle partage la vie au quotidien au point de parler le même
créole et d’aimer les mêmes musiques.
Vous vous honoreriez un publiant un correctif, j’ose espérer que vous le ferez.
Pardon si j’ai pu vous offenser en quelque manière. Telle n’était pas mon intention, elle était
seulement de vous éclairer sur plusieurs points importants, faisant ressortir l’énormité des termes de votre
note, et de vous faire ressentir l’étendue de la blessure de certains de vos lecteurs, en particulier « békés ».
Je suis abonné depuis plusieurs années à la Documentation Catholique car je pense y trouver les textes
exacts de l’Eglise, sans qu’ils soient tronqués. C’est ce qui m’importe. Merci de nous les rapporter. Je suis
à votre disposition pour toute précision ou complément d’information. J’adresse bien sûr une copie de ma
lettre à Mgr Méranville.
Veuillez croire, Monsieur l’Abbé et toute l’équipe de rédaction en mes sentiments fraternels.
Jean LAFOSSE-MARIN
37
On n’a pas le droit de faire porter par un groupe la faute d’un seul ou de quelques isolés. Nos amis musulmans souffrent beaucoup
d’entendre généraliser à un milliard et demi de croyants le comportement de quelques « islamistes ». J’aime alors les entendre proclamer
en s’inclinant profondément, les mains ouvertes : « Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux … Ne vois‐tu pas que Dieu est au courant
de tout ce qui se passe dans les Cieux et sur la Terre » (Coran 58/1,7).
38
A la suite de cette émission, il y eut un ouragan médiatique de désinformation, un lynchage de dénigrement et de calomnies sur les
« békés », qui n’est malheureusement pas terminé et dont les auteurs ne pourront qu’avoir honte. Votre note, courte mais cinglante, fait
malheureusement parti de ce triste mouvement. On sait aujourd’hui que SOS racisme s’est porté partie civile dans la procédure ouverte
contre Alain HD pour mettre en avant la responsabilité de Canal Plus dans le développement du racisme anti‐béké qui a suivi son émission.
39
J’ai personnellement écrit au journal « Le Point » pour m’en offusquer. Je peux vous transmettre ma note.
40
il n’est pas nécessaire de remonter très loin dans l’histoire pour trouver des petites communautés qui se sont vues prises à partie et
agressées injustement. On sait combien les conséquences ont été tragiques. Certains docteurs et prêcheurs de morales n’ont pas eu à se
glorifier de leurs positions. On peut se demander, toujours au regard de faits historiques, si la
création dans le site facebook de
l’association « AKIB » (Association koké ich béké = baiser /violer les enfants des békés) n’en est pas un signe précurseur. Une plainte a été
déposée ; SOS racisme s’est porté partie civile.
41
Ce doigt accusateur, justicier, qui exprime la plus vieille et plus profonde maladie de l’humanité, la racine de son péché, celle relevée dès
les premiers versets de la Bible, celle qui consiste à se défausser sur l’autre : ce n’est pas moi, « …c’est la femme … c’est le serpent » ; ce
doigt qui continue d’être pointé sur l’autre, bien que Jésus l’ai retourné contre lui‐même pour nous faire comprendre que l’on ne peut pas
dire aimer Dieu, son Père, notre Père, sans aimer son prochain, son frère, notre frère ; qu’accuser un homme injustement, c’est accuser
Dieu lui‐même ; que ne pas se sentir « gardien de son frère » (Gn 4/9), c’est ne pas aimer Dieu.