IDENTITES REMARQUABLES
Par Dominique DOMIQUIN
Généralement, l’émission d’Emmanuel Gombault « Pawol l’AGEG »… euh… « Pawol LKP »… pardon, « Pawol Annou » m’intéresse moyennement. Pas qu’elle soit de mauvaise
qualité, mais parce qu’elle me donne souvent l’impression que l’on y acquiesce confortablement entre soi. Un « Soi » dans lequel, bien qu’étant sûr et certain d’être guadeloupéen
moi-même, je ne me reconnais pas toujours. Je la regarde parfois pour connaître la façon dont certains guadeloupéens voient et vivent « leur » Guadeloupe. Le thème de la dernière
émission portait sur l’identité guadeloupéenne (vieux marronnier du militantisme nationaliste local).
Pour rigoler un peu, je me suis demandé quels invités j’aimerais voir débattre dans une telle émission. De mon cerveau d’aliéné s’est alors échappée la scénette suivante :
Manno Gombault : Bonswa tout moun. Sa pa té fasil mais pou on fwa, nou réyisi sanblé anlè on menm plato dé pewsonalité ki asé enblématik a la gwadloup jodi jou. Misyé alain Lesueur, sé ou ké
wouvè lawonn la : Silon vou, ka ki on gwadloupéyen jôd la ?
Alain Leueur, essuyant ses lunettes : Tout d’abord, je tiens a m’excuser auprès des téléspectateurs qui ne comprennent pas le français, car en tant que guadeloupéen, je vais m’exprimer
principalement dans cette langue (qui est l’une de mes deux langues maternelles). La Guadeloupe a, selon moi, besoin de rationalité…
Ary Encelade se prenant la tête à deux mains : L’identité, c’est bien mais… Kitan nou ka palé d’ECONOMIE ?
Edouard Boulogne, bourrant sa pipe : Messieurs et dames, un guadeloupéen, tout comme un auvergnat, est d’abord un français. La Guadeloupe, comme l’auvergne a ses spécificités et ses
traditions, mais jusqu'à nouvel ordre, la Guadeloupe c’est la France ! Et aujourd’hui, c’est la France entière qui fout le camp !
Nathalie Minatchy : Awa ! An pa fwansé ! An pa fwansé !
Patricia Braflan Trobeau, maternelle : Nathalie, tu sais précisément ce qu’est un vrai guadeloupéen et moi aussi… mais tu dois comprendre que beaucoup de guadeloupéens n’ont pas encore
compris ce qu’ils doivent comprendre, c’est à dire ce que nous savons qu’il faut qu’ils comprennent. Tu comprends ?
Hector Déglas : C’est l’école coloniale qui tente d’effacer notre identité. Donc il nous faut la déconstruire… Ensuite nous détruirons aisément l’économie coloniale.
Jacky Dahomay : Personnellement, je trouve qu’aujourd’hui, en 2010, la colonisation a bon dos.
Tony Albina : An nou arété épi sa ! Nous sommes tous ici des preuves vivantes que l’école française ne produit pas des citoyens formatés. Il ne tient qu’aux enseignants de Guadeloupe
d’adapter et de proposer. Tu le sais très bien Titor ! Nous l’avons déjà fait et obtenu par le passé. Souviens-toi, d’ailleurs, que les réticences étaient plus fortes dans le corps
enseignant local qu’au sommet de l’Education Nationale !
Gaby Clavier, douloureusement : Yo démouné nou ! Sé pou nou pa konstwi on nasyon Gwadloup !
Jacky Dahomay : Le nationalisme est toujours, en dernière instance, une dialectique de l’extermination.
Henri Joseph : La solution est pourtant simple, il faut manger des pôyô…
Julien Mérion : Alors franchement, vous ne pensez pas que l’article 74 ou n’importe quelle évolution normative offrant un ti zing d’autonomie, nous permettrait d’adapter la loi française en
respectant notre identité et nos spécificités ? Nou té é la toujou ka radoté menm biten la dèpi les années 60 ?
Jacky Dahomay : Quel rapport entre une évolution statutaire ou institutionnelle (qui peut être souhaitable) et la quête du Graal ? Pardon, celle de l’identité ?
Ernest Pépin : Quand je pense qu’après Césaire, Glissant et Fanon nous en sommes encore a nous interroger sur l’identité… C’est terrible !
Frantz Succab : Justement les gars ! Négritude, créolité, tout ça c’est bien sympa mais quel est notre objectif ? Et si nous pensions « Guadeloupe », tout
simplement !
Willy Angèle : Pourquoi pas. Mais accordons nous d’abord sur le fait qu’on ne construit rien de solide sur du sable… J’ai des ancêtres noirs esclaves et des ancêtres blancs esclavagistes.
Alors qu’est-ce que je fais ? Je me coupe en deux ? La « one drop theory », on l’encourage ? La classification hiérarchique des nuances de la peau Noire, on la
conserve ? C’est quoi l’identité française aujourd’hui ? C’est quoi l’identité africaine ? Pour ma part je suis guadeloupéen ET français. Ma carte d’identité ne me pose pas de
problèmes.
Alex Nabis : Mé Ka ki on carte d’identité ? On ti môso plastik sé tout !
Hervé Damoiseau : Ouais-ouais, mais ou pa-a brilé y toujou…
Gaby Clavier : Yo ka ban nou fwèt ! Lesklavaj ka kontinyé ! Yo démouné nou !
Ernest Pépin : Bon an ka foukan, an bon épi zot ! Lè nou ké paré pou dékolonizé imaginaire an nou, nou ké pé vwè pou la suite ! Pewsonelman an sav ki moun an yé ! An
chapé !
Julien Mérion : Mwen osi an bouffi ! Des Constitutions pour la Guadeloupe, j’en ai déjà rédigé plein chez moi, comme ça, quand j’ai du temps, juste pour m’amuser. Mais ka ou vlé
fè… Nul n’est prophète en son pays.
Jean-Pierre Sainton : Notre identité s’est construite au cours d’étapes clé de notre Histoire. Déjà, si nous prenions le temps de faire la lumière sur mai 67…
Amédée Adélaïde : Hé bien chiche ! Mais alors TOUTE la lumière !
Dominique Domiquin répondant à son cellulaire : Quoi ? Y’a encore rupture de foie gras à Continent ? Moi qui adore ça, j’ai vraiment pas de bol !
Henri Joseph : Ce n’est pas bon pour la santé, (surtout pour vous qui avez déjà un certain embonpoint) ni pour la production locale… Il vaut mieux manger des dachines… Ce sont nos
traditions. La tradition nous aide à cerner ce qui fait un guadeloupéen.
Dominique Domiquin : Ouais… sauf que les dachines, je trouve ça beurk ! Comme la viande salée d’ailleurs… Est-ce que ça me rend moins guadeloupéen ? Ou mauvais guadeloupéen ?
Selon des critères définis par QUI ? Alors je vous propose un truc : que ceux qui aiment les madères continuent à siroter des madères (personnellement, ça ne me gêne pas) mais qu’on me
laisse bouffer mon foie gras tranquille ! Mes ancêtres esclaves ont bien bossé gratos pendant des années ? Alors je fais ce que je veux, selon mon GOUT, de l’argent que je gagne a la
sueur de mon front. Ne le prenez pas pour vous, docteur, mais en 2010, celui qui veut m’empêcher de manger ce que je veux ou qui vient m’expliquer ce qu’est un « vrai » guadeloupéen,
pfff !
Hector Déglas, un peu réprobateur : Tout ça n’est pas orthodoxe, ti gason…
Frank Régent : Nous avons beaucoup fouillé l’histoire du côté des descendants d’esclaves. Pour être exhaustifs, il est peut être temps de l’approcher du point de vue des anciens
maîtres ? Ceci peut nous aider à comprendre qui nous sommes.
Wonal Selbonne : Ou sèten ou adan LKP vou ? Tchiiip !
Ary Encelade, les yeux au ciel : Mais tonnan di sô !… Kitan nou ka palé d’ECONOMIE ???
Maryse Condé : Pour moi c’est clair : les guadeloupéens sont un peuple Décervelé… euh, d’Ecervelés… enfin bref ! Je suis fatiguée, ciao pantins !
Gaby Clavier, les yeux embués : Mi sé sa an ka di, YO DEMOUNE NOU !
Finalement, je crois que nous savons depuis toujours qu’on n’avancera jamais avec cette histoire d’identité. Tout simplement parce que nous ne pouvons pas figer ce qui n’est pas
« figeable », ni décréter ce qui n’est pas « décrétable ». Autant essayer de saisir de l’eau dans son poing. Alors l’émission peut continuer ad vitam aeternam sans rien
changer. Je veux dire « Pawol GONG »… euh… « Pawol UTA »… pardon, « Pawol Annou ».
Dominique DOMIQUIN
Goyave, le 22/05/10