Intervention de Victorin LUREL
Président du conseil régional de la Guadeloupe
Vendredi 7 mai 2010
Las Palmas - Canaries
Monsieur le secrétaire d’Etat espagnol aux affaires européennes,
Madame la ministre française de l’Outre-mer,
Madame le secrétaire d’Etat portugaise aux affaires européennes,
Monsieur le Commissaire en charge de la politique régionale,
Messieurs les députés européens,
Monsieur le président de la conférence des régions ultrapériphériques,
Messieurs les présidents des régions ultrapériphériques,
Mesdames et Messieurs,
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C’est pour les présidents des RUP, la première rencontre avec vous Monsieur le Commissaire et je voudrais tout d’abord vous exprimer mes remerciements d’être ici, fidèle au partenariat qui s’est
instauré depuis très longtemps entre nos régions et la Commission européenne.
J’ai également le plaisir de saluer chaleureusement les nouveaux présidents récemment élus des RUP françaises, ainsi que le président de la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin, qui, depuis
l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, bénéficie du statut de RUP. Il a bien voulu, sur mon amicale suggestion, participer à cette réunion avant de pouvoir rejoindre formellement la
conférence des présidents des RUP.
En octobre 2009, nous étions réunis ici, dans cette belle île des Canaries, pour adopter le mémorandum conjoint des RUP « les RUP à l’horizon 2020 ». Nous prenions l’engagement avec les
représentants des trois Etats, l’Espagne la France et le Portugal de nous retrouver pour signer un nouveau mémorandum conjoint Etats-régions cette fois-ci, à l’attention de la Commission
européenne, sous la présidence par l’Espagne du Conseil européen.
Depuis notre dernière rencontre, grâce à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’Union s’est dotée d’un nouveau cadre pour sa gouvernance et d’outils pour renforcer son action, tant à
l’intérieur de ses frontières qu’à l’extérieur de celles-ci.
Si par l’adoption de ce traité, c’est finalement le choix de l’idéal européen qui a triomphé plutôt que celui du repli national, c’est aussi au nom de cet idéal que l’Europe devra, dans un
contexte de crise persistant et face à des défis nouveaux, prendre en compte les disparités territoriales et assurer à chaque région un traitement équitable.
Au plus fort de la crise financière de 2009, c’est parce-que l’Europe était unie et solidaire que son intervention a permis d’en limiter les effets. Le soutien à la Grèce défaillante est
l’expression de cette même unité et de cette même solidarité qui fondent le modèle européen fait d’obligations réciproques.
Cette nouvelle situation en Europe vient nous rappeler que les Etats, en dépit du pacte de stabilité, de la monnaie unique et des politiques communes, sont vulnérables. Elle nous rappelle
également que les territoires sont eux aussi très exposés et requièrent une attention particulière.
Et ce n’est que si l’Union européenne se montre capable de faire face aux grandes crises mondiales, que ses citoyens croiront davantage en elle.
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I Depuis la signature en octobre dernier du mémorandum des RUP, la Commission européenne a proposé en mars 2010 sa nouvelle stratégie pour les dix prochaines années.
Cette grande ambition fait le pari d’une triple croissance :
la croissance intelligente basée sur la connaissance et l’innovation,
la croissance durable préservant les ressources et diminuant les rejets en carbone,
et enfin la croissance créatrice d’emplois.
Elle nécessitera que les régions, tout comme les Etats en soient les moteurs. Les RUP devront en prendre toute leur part.
Je ne doute pas un instant que les RUP contribueront pleinement à cette grande ambition. Pour cela, il conviendra que l’Union européenne les accompagne par des politiques communautaires
cohérentes et adaptées permettant de valoriser leurs atouts et de leur assurer une véritable égalité des chances.
1) Monsieur le Commissaire, sur le premier point, la croissance intelligente, la Guadeloupe dispose en effet de réels facteurs de croissance grâce à la recherche et l’innovation. Nous en avons
d’ailleurs fait une priorité et une grande part des fonds structurels y est consacrée.
Toutefois, vous me permettrez de regretter que cette recherche reste isolée, repliée sur elle-même, parce que les conditions de son accès aux programmes cadres européens, tels les PCRD, sont peu
favorables et parce qu’elle ne peut pas bénéficier des ressources du privé, en raison de la faiblesse du tissu d’entreprises dans nos régions.
L’objectif de croissance intelligente auquel nous souscrivons naturellement ne doit cependant pas être exclusif et mobiliser l’essentiel du soutien européen à nos régions. Il ne doit pas nous
faire oublier que la Guadeloupe par exemple ne pourra véritablement se développer que lorsqu’elle aura achevé son rattrapage en matière d’équipements structurants. Aussi me paraît-il nécessaire
d’assouplir la règle du ear-marking pour les RUP et ce, dès la révision à mi-parcours des programmes. Cela nous permettra de financer plus facilement nos infrastructures.
2) Sur le 2ème point, la croissance durable, je rappelle que les RUP ont souvent été pionnières dans la mise en œuvre de modèles de production d’énergies renouvelables et durables. L’objectif
européen fixant la part des énergies renouvelables à 20% de la consommation finale sera atteint par la Guadeloupe bien avant 2020. Dans les deux autres domaines du paquet « énergie
climat » nous serons également en mesure de porter notre contribution.
Outre l’atteinte de ces objectifs auxquels j’adhère pleinement, tout l’enjeu pour la Guadeloupe est maintenant de parvenir à exporter son savoir-faire technologique dans le domaine des énergies
renouvelables, vers les marchés environnants et d’en faire un nouveau moteur de croissance.
Cela est possible, mais à certaines conditions. :
d’une part, que l’amélioration de l’accessibilité promue par la Commission européenne dans sa communication de 2004 se concrétise et permette enfin le développement des exportations.
d’autre part, que les barrières douanières à l’entrée des marchés des Etats de la Caraïbe, préservées par l’Accord de Partenariat Economique UE/CARIFORUM, soient rapidement démantelées
comme l’ont été celles à l’entrée de notre marché.
«3) Je me réjouis que la Commission européenne retienne la croissance inclusive comme troisième priorité de sa nouvelle stratégie « UE 2020 ». Faire de l’économie européenne une
économie fortement pourvoyeuse d’emplois est un objectif auquel souscrit naturellement le président d’une région comme la Guadeloupe, qui compte sur une population de 400.000 habitants, 60.000
demandeurs d’emplois, dont une forte proportion de jeunes.
Eloignés du continent européen, les jeunes guadeloupéens ne se trouvent pas en situation d’égalité des chances, en particulier en matière d’accès à la formation et aux marchés de l’emploi.
Face à cela, je ne suis pas resté inactif et j’ai pris des initiatives pour réduire l’exclusion qui fragilise la cohésion sociale. Mais cela ne suffit pas malheureusement pas.
Alors quand l’Europe fait de la mobilité des jeunes une condition de l’accès aisé à l’offre de formation européenne et aux marchés européens de l’emploi ; quand l’Europe prévoit de
moderniser les marchés du travail afin de rendre plus accessibles les offres et améliorer ainsi les taux d’emplois ; quand enfin elle prévoit de créer une plateforme européenne contre la
pauvreté, nous ne pouvons qu’approuver, bien sûr !
Néanmoins, nous devrons faire preuve de vigilance, et nous comptons également sur la vôtre Monsieur le Commissaire, afin que les politiques qui déclineront cette nouvelle stratégie « UE
2020 » s’appliquent pleinement et de manière adaptée, si nécessaire, dans nos régions. A titre d’exemple, il conviendra d’adopter les dispositifs pour permettre de développer la mobilité des
jeunes des RUP, non seulement sans l’espace communautaire, mais aussi dans leur zone géographique.
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II) La signature d’un nouveau mémorandum à l’adresse de la Commission européenne est aussi l’occasion de faire le bilan des politiques communautaires afin de les consolider ou de mieux les
adapter.
A Cayenne, en 1999, les RUP s’accordaient sur trois grands principes devant guider la politique de cohésion en faveur des RUP : l’égalité des chances, la cohérence des politiques
communautaires, le partenariat et la valorisation des atouts.
Dans sa communication de 2004, en réponse au mémorandum des Etats-membres et des RUP, la Commission européenne quant à elle retenait comme priorité l’accessibilité, la compétitivité et
l’intégration régionale.
Enfin, le mémorandum des RUP d’octobre dernier souscrit au nouveau paradigme « les RUP des atouts pour l’Europe » et intègre les nouveaux défis posés par le changement climatique
et les pressions démographiques. Mais il rappelle aussi, que les principes de Cayenne et les priorités de la communication de 2004 restent d’actualité.
Nous reconnaissons bien sûr que, depuis le mémorandum de Cayenne, la Commission n’a pas ménagé ses efforts pour consolider 1999 les acquis communautaires en faveur des RUP. Toutefois, vous me
permettrez de souligner les domaines qui nécessitent davantage de détermination et une plus forte mobilisation de la part de la Commission, afin de donner tout son sens à son action pour nos
régions.
1) En matière d’accessibilité des progrès ont été réalisés, mais ils demeurent encore insuffisants pour que la Guadeloupe, qui a fait le pari de l’ouverture à l’international, puisse saisir les
opportunités commerciales que peuvent offrir les marchés de son environnement proche, mais aussi, et surtout à ceux d’Europe et du reste du monde.
2) Avec le soutien de la politique régionale, la Guadeloupe a su renforcer de façon significative la compétitivité de ses secteurs productifs. Des progrès considérables ont été accomplis dans ce
domaine. Les produits locaux, plus compétitifs, gagnent des parts du marché local et peuvent trouver des débouchés sur les marchés proches.
C’est dans le domaine de l’agriculture que les gains en productivité et en compétitivité sont les plus forts.
Vous me permettrez de citer en exemple la production de la banane. Avec l’aide communautaire et l’engagement des producteurs, la Guadeloupe a atteint une production d’excellente qualité qui
s’exporte sur les marchés européens et qui répond totalement aux exigences sociales et environnementales. Cependant, comme pour toutes les autres productions agricoles, ce secteur doit
bénéficier d’un accompagnement financier à la hauteur de ses besoins, ainsi que d’un cadre commercial stable.
Je ne vous cacherai pas, Monsieur le Commissaire, ma profonde opposition à l’accord bilatéral annoncé en mars dernier entre l’Union européenne, le Pérou et la Colombie, qui ouvre la voie à une
forte baisse des tarifs douaniers applicables à la banane, mais aussi aux autres produits agricoles concurrents. La baisse du tarif douanier sur la banane du tarif douanier telle qu’annoncée dans
ce projet d’accord va bien au-delà de celle que la Commission européenne a retenue dans l’accord signé avec l’OMC, et qui ne date que seulement du 15 décembre 2009. Ceci est inacceptable pour
nous et appelle la mise en œuvre urgente d’une plus grande cohérence dans la prise en considération es RUP par l’Union et d’une véritable complémentarité entre les volets interne et externe des
politiques communautaires.
3) Enfin, en matière d’insertion régionale, les RUP demandent depuis des années un véritable plan de grand voisinage. Un plan doté, je le rappelle encore une fois, d’outils opérationnels, tels un
instrument financier alliant FEDER et FED, et prévoyant la localisation physique dans une RUP pour chaque espace de coopération, d’une représentation de l’Union européenne, en charge de la
coordination avec les pays tiers de la zone et de la mise en synergie des actions de la politique de coopération et de l’action extérieure de l’Union.
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La Guadeloupe est confrontée en cette année 2010 à une profonde crise économique, accentuée par la longue crise sociale du début de l’année 2009. De nombreux secteurs d’activités sont
durement affectés par cette crise. C’est le cas par exemple de l’industrie touristique, du bâtiment et des travaux publics, du secteur agricole…
Pour passer ce cap extrêmement préoccupant, il est nécessaire d’adapter les politiques régionales, nationales et communautaires. Dans des régions éloignées du continent européen comme les nôtres,
les impacts de la crise sont accentués par l’isolement territorial. D’ores et déjà, nous enregistrons un ralentissement très sensible dans la consommation des fonds européens. Cela résulte de la
difficulté tant pour les opérateurs privés que publics de mobiliser leur contrepartie financière.
Outre l’assouplissement de l’ear-marking que je viens de mentionner, il sera nécessaire d’introduire davantage de flexibilité dans les règles d’utilisation de l’enveloppe additionnelle de
compensation des surcoûts, pour éviter un échec possible, d’un des dispositifs les plus représentatifs de la prise en compte par l’Union des contraintes liées à l’ultrapériphérie.
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Nous allons signer dans un instant notre nouveau mémorandum. Je remercie la présidence espagnole pour son engagement dans sa rédaction, tout comme celui des Français et des Portuguais.
Permettez-moi, donc, de formuler le vœu que les conclusions du Conseil européen de juin tiennent compte de ce mémorandum et fassent mention de l’ultrapériphérie comme une composante à part
entière de l’Europe, une composante qui lui donne une dimension mondiale et qu’il convient donc de considérer avec une approche adaptée.0
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Je vous remercie.