TRIBUNE LIBRE
L’art de l'alerte : la grippe et la politique du pire
par Michel EYNAUD
Alerte générale ! Le dispositif de soins est mobilisé pour faire face à la grippe… et quand la secrétaire d’Etat passe par la Guadeloupe elle va vérifier l’organisation prévue au centre
Hospitalier de la basse-Terre. Mais pendant qu’on prépare un plan de vaccination massive, pendant que les politiques et les médias s’agitent, les professionnels doutent…
Une épidémie mondiale de grippe est en train de s’installer, c’est incontestable. Il y aurait urgence à lancer un plan généralisé de vaccination, c’est moins évident. Et pourtant la France a
commandé 94 millions de doses de vaccin… pour ses 60 millions d’habitants. Au-delà des polémiques plus ou moins scientifiques, des évidents intérêts économiques de l’industrie pharmaceutiques, et
en dépit des clameurs des lobbies a priori « pro » ou « anti », il faut quand même s’interroger une fois de plus sur une gouvernance qui consiste à surfer sur les
événements au fil d’annonces médiatisées.
Comment créer l’urgence
Dans leur revendication d’impunité, les gouvernants invoquent souvent « l’urgence d’informer » pour justifier rétrospectivement des abus ultérieurement objectivés par la simple épreuve du temps. Or
l’urgence évoquée ne peut dispenser d’un minimum de méthodes et de compétence. D’autant que souvent en médecine, « il n’y a pas d’urgence, il n’y a que des gens pressés », et que la
précipitation consiste surtout à privilégier le spectaculaire sur l’authenticité, l’effet de surface sur le traitement en profondeur.
Comme pour l’utilisation politique de nombreux faits divers, la méthode est connue et éprouvée. On l’avait déjà constaté pour la « grippe aviaire ». On commence par dramatiser un
événement anecdotique : un phénomène assez banal (la grippe frappe chaque année des millions de personnes avec un virus qui est connu pour muter cycliquement) devient un péril menaçant
chaque citoyen. On continue par amplifier le risque : on annonce des morts dont on n’est pas sûr du nombre réel, ni des causes effectives, ni des pathologies associées, et dont on n’est même
pas toujours sûrs qu’ils avaient une « grippe A » vérifiée (et de toutes façons, on peut avoir la grippe mais mourir d’autre chose !). On s’arrange pour monter en épingle le risque
sélectionné en gommant les autres risques : la grippe fait en général 1 mort pour 1000 cas, surtout chez les personnes fragilisées, mais on oublie que le manque d’eau potable a à son
actif 8 millions de morts par an, des enfants en général, que les accidents de la route tuent 1,3 millions de personnes, le paludisme ayant à son actif environ 1 million de cadavres chaque année…
Quant au réchauffement climatique, à cause de l’aggravation de la malnutrition et de la diffusion accélérée de certaines maladies qu’il favorise, on le crédite déjà de 300 000 morts
annuels.
Comment mobiliser les médias
Mais pour conquérir les médias mondiaux, il faut encore rajouter quelques ingrédients. Le premier repose sur une rhétorique de globalisation. On ne parle que de la grippe en faisant l’économie du
terrain auquel elle s’associe et qu’elle complique, le plus souvent des personnes fragilisées par des maladies ou par l’âge, et dont la vie est prolongée grâce aux progrès de la médecine. Jusqu’au
moment où elles rencontrent un facteur plus ou moins grave de déstabilisation, que ce soit la grippe, un accident cardio-vasculaire ou un cancer. Il en est de même de la globalisation
géographique : le virus sera en fait bien moins redoutable chez les occidentaux bien en chair que chez les habitants dénutris des pays du sud… tout comme l’est le paludisme (c’est évident),
mais aussi la rougeole ou l’hépatite. Il est vrai que les occidentaux sont plus préoccupés de leurs bourrelets et de la lutte contre l’obésité que de la famine dans le monde. Un autre ingrédient du
succès médiatique est la culture du pire. En l’occurrence en évoquant le spectre de la grippe espagnole, celle de 1918 et de ses millions de morts d’après-guerre, dans des populations fragilisées
par la guerre, exténuées par les privations, parfois gazées ou tuberculeuses. Mais ce faisant, on oublie que le virus A a continué à sévir pendant des décennies, et notamment à travers d’autres
épisodes de pandémie en 1957 et en 1968 dont personne n’a le souvenir car elles n’eurent rien de catastrophique dans un autre contexte et avec des moyens thérapeutiques bien plus développés… La
politique du pire diffuse une information « décontextualisée », où l’absence de repères permettant des comparaisons libère les fantasmes et les émotions, les croyances et les dogmes.
S’il est si facile d’utiliser les médias dans la stratégie du pire, c’est que ceux-ci ne sont pas très vigilants. Sous couvert d’information sensationnelle, les médias participent à de la
désinformation en manquant à leur obligation déontologique, qui consiste d’abord à vérifier et hiérarchiser les sources d’information, afin de s’assurer de leur crédibilité. Il y a en effet
toujours intérêt à savoir si les doutes sont émis par les activistes sectaires des lobbies anti-vaccinations, ou si les encouragements viennent d’industriels en quête de commandes
exorbitantes. Beaucoup de supposés experts s’expriment en fait en fonction de leurs intérêt ou de ceux de leurs amis, financeurs ou protecteurs. Et ce n’est pas parce qu’on se pare du titre
d’expert que l’on est indépendant et crédible, même si on est cité de façon redondante par de multiples organes de presse qui reprennent en écho des informations toutes issues de la même
source non fiable. Répétition ne vaut pas preuve ! Ce n’est pas non plus parce qu’on est expert dans un domaine, qu’on l’est dans tous. Même –et peut-être surtout- si on est membre ou en
relation avec un cabinet ministériel. Il n’y a pas de compétence universelle !
Du parapluie au principe de précaution
Bien sûr, tous les experts ne sont pas corrompus ou arrogants, et la plupart ne sont pas emprisonnés dans des conflits d’intérêt. Mais les sommes astronomiques en jeu dans la production
industrielles des vaccins ont un poids qui peut influer sur bien des participants aux décisions à prendre. Directement ou indirectement, et que ce soit pour surestimer ou sous-estimer. Car s’il y a
des bénéfices à faire, il y a aussi des risques de gaspillage : les médicaments et les vaccins ont des dates limites d’utilisation, et pas mal de stocks faits antérieurement ont déjà dû
finir à la poubelle !
En fait, on peut craindre que les politiques prennent leurs décisions sous les auspices du principe de précaution. Un nouveau nom pour l’antique propension à « ouvrir le parapluie »… Un
concept à la mode qui consiste à se polariser sur les risques potentiels, redoutés, ou à la mode plutôt que sur les risques avérés, constatés, prouvés. Une nouvelle gouvernance qui suit
l’émotion populaire et parfois la génère, et qui n’hésite pas à flirter avec le populisme. Tant pis si les antiviraux et les masques ont une efficacité toute relative, pourvu qu’on donne
l’impression « de faire quelque chose » et de rassurer le bon peuple qui attend que ses élus le protègent de tout, et surtout de son voisin.
S’affirmer comme décideur
Le résultat de cette agitation est un sentiment d’impuissance qui livre un peu plus les populations aux improvisations de leurs gouvernements. Les gourous et les dictateurs le savent bien :
plus les sujets se sentent impuissants, plus ils sont perméables à la manipulation. Et les psychanalystes l’ont montré : quand un risque mortel apparaît comme imminent, n’importe quelle action
est préférable à la passivité pour échapper à l’emprise d’une pulsion de mort envahissante. Le passage à l’acte peut alors apparaître comme libérateur, même si on n’en mesure que trop tard
toutes les conséquences. On est prêt à faire n’importe quoi pour se donner l’illusion de maîtriser l’inconnu, mais il faut s’attendre à en payer un prix dont le montant est encore plus inconnu.
D’ailleurs les décideurs le savent bien : la vaccination ne sera pas obligatoire, et il faudra signer une décharge quant à ses conséquences éventuelles. S’il y a des conséquences, elles seront
à la charge du vacciné apeuré.
Alors, plutôt que de suivre les Cassandre médiatiques et les pythies professionnelles, il faut élaborer une stratégie personnelle, s’informer, peser les risques et participer à une décision
personnelle avec l’aide de son médecin. Les vaccins proposés auront une efficacité incertaine et des effets indésirables imprévisibles. Sur certains terrains fragiles, la grippe représente un réel
danger, bien pire que celui du vaccin, et il ne faudra donc pas hésiter à en passer par les piqûres (celle pour la grippe saisonnière ET celle(s) pour la grippe A H1N1). La décision passe par
l’estimation du rapport bénéfice/risque : si il y a risque grave pour la santé il est utile de prendre un médicament, même si il comporte une certaine toxicité. En revanche, si on est en
pleine forme, on peut hésiter à se faire vacciner contre une maladie que l’on n’attrapera peut-être pas, ou qui sera éventuellement bénigne (30% des cas passent même inaperçus), ou dont on se
rétablira en 5 jours en prenant seulement du repos et des médicaments contre la fièvre… Et ce sera autant d’économisé pour le « trou » de la sécurité sociale.
De toute éternité la grippe a mis au lit les humains, la plupart pour une petite semaine de fièvre et de courbatures, et quelques uns pour des complications parfois mortelles. Rien n’est
changé en 2009 ou 2010. C’est déjà arrivé à chacun de nous et ça nous arrivera encore. Ce qui est nouveau c’est l’agitation politico-économique d’un XXI° siècle bien inquiet. Plus que la
mutation du virus, il faut s’interroger sur la mutation sociale qui accompagne cette nouvelle épidémie. Et répondre fermement au plan individuel et collectif. Au plan individuel en revendiquant
d’être pleinement informé de ses propres risques et du rapport bénéfice/risque de toute stratégie employée : activisme de la vaccination ou fatalisme de l’abstention. Et donc de participer
activement à toute décision concernant notre santé. Pour la grippe comme pour toutes nos misères. Au plan collectif en replaçant dans son contexte le risque de ce virus, et en visant plutôt à
éradiquer les fléaux qui endeuillent le monde : la malnutrition et la diarrhée par absence d’eau potable, le paludisme, les accidents de la circulation, voire les suicides (qui ne se limitent
pas au personnel de France Télécom !).
Michel EYNAUD
Vu sur le Blog du Monde
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Lu sur le site du Syndicat National des Professionnels Infirmiers (extraits)
http://www.syndicat-infirmier.com/Vaccination-H1N1-mefiance-des.html
Vaccination H1N1 : méfiance des infirmières
Notre devoir d’infirmières est d’informer correctement la population, pour que chacun prenne sa décision en toute connaissance de cause, par un consentement libre et éclairé, et non par une
campagne de publicité et des discours alarmistes
1er septembre 2009
Le syndicat des infirmières SNPI CFE-CGC estime qu’une vaccination massive contre un virus grippal relativement bénin, présente des risques, du fait d’un vaccin développé trop rapidement, et d’un
adjuvant susceptible de déclencher des maladies auto-immunes.
Nous invitons la population à se vacciner contre la grippe saisonnière : ce vaccin (réalisé dans des conditions normales) sera disponible dès la quatrième semaine de septembre. Cela permettra
de réaliser rapidement un diagnostic différentiel en cas de syndrome grippal. Par contre, chacun doit bien mesurer le rapport bénéfice/risques du vaccin H1N1 : d’un côté une semaine de grippe,
de l’autre une probabilité, faible mais définitive, d’avoir une maladie neurologique (Syndrome Guillain-Barré) ou auto-immune.
Comme nos collègues infirmières de Grande Bretagne et de Hong Kong, nous craignons que le remède risque d’être pire que le mal, et nous pensons qu’il faut savoir "raison garder". La pandémie peut
causer une crise économique, et l’Etat s’est très bien organisé pour y faire face (conseils d’hygiène, masques, Tamiflu). "Mais injecter 94 millions de doses d’un produit sur lequel nous n’avons
aucun recul peut poser un problème de santé publique, et il est de notre devoir d’infirmières d’informer correctement la population, pour que chacun prenne sa décision en toute connaissance de
cause, par un consentement libre et éclairé, et non par une campagne de publicité et des discours alarmistes" souligne Thierry Amouroux, le Secrétaire Général du SNPI, le Syndicat National des
Professionnels Infirmiers.
Le Progrès Social daté du 24/10/2009 ; PAGE 4